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1. LE CHAMP DU PARTENARIAT ÉCOLE-FAMILLE-COMMUNAUTÉ

1.1 Présentation d’ensemble

Plusieurs auteurs (Hill et Taylor, 2004; Mole, 1996; Sanders et Lewis, 2004; Sheldon et Van Voorhis, 2004) désignent le partenariat école-famille-communauté comme un champ de recherche, au sens états-uniens de field of study. D’ailleurs, comparativement à d’autres concepts (engagement, collaboration, coopération, etc.), celui de partenariat serait pour certains (Driessen, Smit et Sleegers, 2005; Smit, Moerel et Sleegers, 1999) le plus indiqué pour désigner ce champ. C’est la perspective que nous adoptons et que nous avons exposée ailleurs (Boulanger et al., 2014).

Epstein (2006) considère que le partenariat école-famille-communauté forme un champ relativement cohésif et unifié, la convergence et l’internationalisation des idées se décelant à l’importance des politiques éducatives et au nombre de programmes soutenant le partenariat école-famille-communauté. Epstein et Hollifield (1996) considèrent que le fait, pour les chercheurs, de parler le même langage, de partager des préoccupations et des visions communes, largement reflétées dans les orientations des politiques éducatives et soutenues par celles-ci, ainsi que de prendre généralement appui sur un même modèle conceptuel, celui d’Epstein (1987, 1995), contribue à la cohérence interne du champ. De fait, le modèle epsteinien est nommément présenté à la fois comme une solution aux écarts de scolarisation en mséf et comme un cadre qui fournit un appui aux politiques éducatives états-uniennes (Epstein et Dauber, 1991). Le Ministère de l’éducation des Etats-Unis l’a formellement adopté.

D’autres auteurs (Jordan, Orozco et Averett, 2001; Sheridan, 2005) considèrent, au contraire, que le grand nombre d’inconsistances qui prévalent dans le champ nuit à la constitution d’un corpus de savoirs réifiés. D’une recherche à une autre, le modèle théorique, les définitions, les indices de mesure et les méthodes de collecte et d’analyse sollicités diffèreraient considérablement, ce qui rendrait les études peu comparables entre elles (Baker

et Soden, 2005; David, 1998). Mattingly, Prislin, McKenzie, Rodriguez et Kayzar (2002) estiment qu’il s’agit d’un obstacle important à la réalisation de leur méta-analyse portant sur les termes de collaboration école-famille-communauté et d’engagement parental.

Les deux alternatives complémentaires généralement proposées consistent à reconnaître les principes relationnels (partage de la responsabilité éducative, réciprocité, etc.) qui fondent le champ du partenariat école-famille-communauté et à circonscrire les recherches autour de modèles conceptuels communs considérés le mieux refléter ces principes (Henderson et Mapp, 2002; Jordan, Orozco et Averett, 2001; Powell, 2005; Swick, 2003). À cet égard, le modèle privilégié est celui d’Epstein (Kohl, Lengua et McMahon, 2000). Il est le plus sollicité (Daniel, 2011; Fishel, 2005).

Le modèle conceptuel d’Epstein, majoritairement adopté et s’édifiant au titre de représentant du champ souvent décrit comme unifié, fonde un discours dominant (Doucet, 2011a; Fishel, 2005) et monolithique (Graue, 1998). Si cette position privilégiée qu’il y occupe facilite, pour certains, la consolidation des savoirs appelés à se réifier (2006), pour d’autres, il freine le potentiel d’innovation que génèrent des perspectives alternatives (Fernandez, 2010; Gottlieb, 2009; Schnee, 2010; Theodourou, 2007).

Le champ du partenariat école-famille-communauté, qu’il soit unifié ou éclaté, relève certainement d’un mouvement dynamique qui, autour de vifs débats de nature disciplinaire et épistémologique, en représente l’élément constitutif. Pour en rendre compte, certes partiellement, nous réfléchirons sur les savoirs qu’il produit.

Le champ du partenariat école-famille-communauté serait sous développé théoriquement et épistémologiquement, les chercheurs l’ayant peu approfondi sous ces dimensions. De plus, les recherches s’inscrivent surtout dans une perspective inductive (Baggett, 2002), au sens où les données empiriques à elles seules suffiraient à renseigner sur le réel (Baker et Soden, 2005; Daniel, 2011; Price-Mitchell, 2009). Pour ces auteurs, cette tendance nuit considérablement au cycle de production de savoirs scientifiques. D’ailleurs, plusieurs des éléments du discours institutionnel et politique sur le partenariat école-famille- communauté ne reflètent pas l’état des connaissances scientifiques (Mattingly, Prislin, McKenzie, Rodriguez et Kayzar, 2002). En ce sens, le commentaire de Ryan et Adams (1995) nous semble encore d’actualité:

As the reviews noted above reveal, the scholar who seeks to examine this literature has been left largely to the mercy of the content of the research studies themselves along with his or her own purposes as guides to where the internal structures of the literature might lay. To date, there has been a paucity of large- enough theoretical models or conceptual schemes for organizing the myriad of pieces involved in accounting for the family’s role in its children’s learning and success in school. (p. 10).

Bien que les bases de définition des notions constituant l’armature conceptuelle du champ soient abondantes, elles ne reflètent pas la pluralité des pratiques des acteurs, en particulier des parents de mséf dont les référents socioculturels diffèrent de ce qui est privilégié à l’école (Taliafero, 2009). Les chercheurs documentent le plus souvent le champ en référence à des tendances générales peu représentatives de la complexité des concepts, et ils tendent à surestimer certains aspects empiriques qu’ils n’inscrivent pas dans un espace de débats, pensons au constat, souvent tu sinon présenté de manière superficielle, d’un effet nul ou même négatif de l’engagement parental sur la réussite éducative de l’enfant (Fishel et Ramirez, 2005; Sheridan, 2005). Parallèlement, pour ces mêmes auteurs, les pratiques évolueraient nettement plus rapidement que les recherches les étudiant. C’est ce que Jordan, Orozco et Averett (2001) évoquent en ces termes :

the field is moving forward and work is being done without the research-based knowledge desirable to support the work. As one researcher said, “Connections between schools and other organizations are being formed at a rate that has caused action on them to outstrip knowledge about them”. (p. 1).

À l’inverse, d’autres auteurs (Deslandes et Lemieux, 2005; Weiss, Bouffard, Bridglall et Gordon, 2009) considèrent que les savoirs scientifiques sont en nette progression par rapport aux pratiques. Ceux-ci orienteraient peu les programmes d’intervention, et les acteurs de l’institution scolaire adapteraient peu leurs façons de faire en fonction des résultats de recherche. Ceci traduirait une résistance au changement.

Les recherches, généralement de types descriptif et corrélationnel, permettent peu l’appréhension en profondeur des phénomènes dans leur contexte et portent peu sur l’évaluation de l’implantation et des effets des pratiques et, plus particulièrement, des programmes d’intervention, surtout dans une perspective longitudinale (Daniel, 2011; Mattingly et al., 2002). Très peu d’études expérimentales étant réalisées, il devient difficile

d’assurer la validité et la fidélité des recherches et donc d’attribuer les résultats mesurés aux interventions déployées ainsi que d’assurer la généralisation de ceux-ci à la population ciblée (Fishel et Ramirez, 2005).

Les recherches traitent le plus souvent simultanément un ensemble de composantes des rapports école-famille sans délimiter celles qui sont spécifiquement associées à des mesures d’impacts sur la réussite éducative, et ce, sans en isoler les effets sur celle-ci (Baker et Soden, 2005). Parallèlement, les chercheurs ciblent rarement les variables intermédiaires, en particulier celles renvoyant à des indices sociodémographiquees médiatisant l’effet des variables indépendantes (Mattingly, Prislin, McKenzie, Rodriguez et Kayzar, 2002). Pour ces raisons, il s’avère difficile pour le chercheur d’évaluer de manière effective les programmes visant à soutenir le rapport école-famille et donc de constituer un corpus de savoirs réifiés permettant de soutenir l’évolution des pratiques professionnelles, notamment celles des personnels enseignants (Kratochwill et Hoagwood, 2005; Sheridan, 2005).

Lorsque les chercheurs utilisent un devis qualitatif, ils étudient rarement les représentations des acteurs –qui plus est, dans une logique sociale (savoirs de sens commun)-, de même que des éléments d’ordre contextuel (Sheridan, 2005). Selon Pelt et Poncelet (2010), les savoirs de sens commun (propres à un groupe) sont peu pris en compte dans le champ du partenariat école-famille-communauté, les chercheurs ciblant généralement les croyances et les attitudes des personnels enseignants qui, par définition, relèvent de la sphère cognitive (et conative, dans le cas des attitudes) individuelle (Fishbein et Ajzen, 1975). Ces différentes limites ne sont pas sans questionner l’affirmation selon laquelle le partenariat école-famille- communauté constitue un champ d’études parvenu à maturité (Epstein, 2006).