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3. LES AXES CONTINUITÉ/DISCONTINUITÉ

3.5 Rapports continu et discontinu entre la continuité et la discontinuité culturelle:

Réfléchir à la nature continue ou discontinue du rapport entre la continuité et la discontinuité culturelles suppose que nous identifions ces deux processus comme deux polarités en interaction. Au préalable, nous nous sommes intéressé aux polarités d’un objet donné, soit la continuité, soit la discontinuité culturelle. Nous nous demandons ici comment le chercheur appréhende le rapport entre ces deux processus considérés en tant qu’objets d’un méta-processus (méta parce que situé sur un plan épistémologique). Le chercheur lie ces deux polarités selon une perspective additive ou non-additive. C’est ce que nous cherchons à savoir.

Au niveau épistémologique où nous nous situons, nous ne devons pas nous-même mettre le focus sur l’un ou l’autre des rapports continu et discontinu (entre la continuité et la discontinuité culturelle), ceci pour éviter de nous inscrire dans une perspective statique. Sous cet angle, Branco (2009) a mis en évidence comment la tendance, des chercheurs, à catégoriser les phénomènes ainsi que les théories qui les fondent selon des classes mutuellement exclusives (objectivité/subjectivité par exemple) conduit à les simplifier abusivement. Ces phénomènes et théories doivent être situés dans un rapport inclusif et non pas exclusif en regard des polarités classiques (objectivité/subjectivité, par exemple). Nous situant dans la perspective de Valsiner (1987, 1998, 2013) sur laquelle Branco s’appuie, nous considérerons que tout phénomène socioculturel (dans le cas qui nous occupe, les rapports école-famille ou la discontinuité culturelle) se définit à la fois en regard d’une perspective épistémologique de continuité et de discontinuité et que le rapport continu et discontinu entre les polarités relève d’une logique inclusive ou exclusive.

Figure 3. Continuité/discontinuité en termes d'inclusivité et d'exclusivité

Dans la figure 3, plutôt que de prendre comme ancrage des dichotomies en privilégiant l'une ou l'autre d’entre elles selon un mouvement d'alternance, nous prenons comme point de départ un phénomène (rapport école-famille) que nous triangulons en fonction de polarités (continuité et discontinuité) articulées dynamiquement. Dans la perspective de Branco (2009), ceci assure une certaine transcendance des dichotomies que nous considérons dans un rapport d'inclusivité. À ce sujet, certaines précisions s'imposent.

Dans un ensemble donné (en regard d’un phénomène), les unités sont généralement reconnues comme tel dans notre champ de recherche, comme lorsqu'Epstein (1987, 1995, 2010a) ne nie pas a priori l'existence de la discontinuité culturelle. Toutefois, ces unités sont clairement distinguées (et l’une d’elles est privilégiée), plutôt que d'être considérées comme indissociables et interdépendantes. De plus, elles sont dissociées de leur contexte, de la totalité dans laquelle elles s'inscrivent. Cette tendance, dominante en sciences humaines et sociales ainsi qu’en éducation, est caractérisée par une séparation exclusive des éléments d'un tout (Valsiner, 2013). Le fait de séparer de telles unités n'est pas en soi problématique et reflète la propension de l'humain à saisir le monde, à se le représenter par et à travers des catégories. C'est la nature exclusive de cette séparation qui pose problème, les phénomènes étant appréhendés de manière statique (continue). Voyons ce que nous disent Valsiner et Cairns (1992) à ce propos:

The exclusive partitioning of the world is the basis for a rather simple view of conflict (and opposition), by redefining it as difference and assuming that, by the

elimination of differences, one resolves conflicts. This classical logic-based

world view leads to homogeneization of the differenciated world: The world becomes differentiated into a limited number of homogeneous classes of phenomena. (p. 24).

Les auteurs précisent que, dans cette perspective, le but poursuivi consiste à diminuer ou enrayer la différence, appréhendée de manière additive, en fonction d'un critère, lui-même statique, donné avant l'analyse des phénomènes et en dehors de leur contexte. Sous cet angle, la différence entre les parents de mséf et les personnels enseignants se substitue à la discontinuité culturelle appréhendée dynamiquement, et elle justifie l’exclusion de la première catégorie d’acteurs. Au préalable, nous avons présenté ce phénomène sous l’angle de la discontinuité continue.

Penser en termes de séparation inclusive permet, au contraire, de considérer les unités dans un rapport d'opposition, sans que cela conduise à réduire la différence culturelle exprimée. C'est ce qu'expliquent Valsiner et Cairns (1992):

These oppositions (including conflict as a subclass of oppositions) make it possible for the parts to coexist, or temporarily transform into one another. [...] Likewise, well-known opposite concepts of ''cooperation'' and ''competition,'' ''dependance'' and ''independence'' or ''rationality'' and ''irrationality'' cease to be mutually exclusive, but rather become interdependent and coexistent. Each of the opposing concepts depends upon the other for its existence, and the elimination of one leads to the elimination of the whole system in which both are parts. The opposite are inseparable as they are functional interdependent parts of the whole. (p. 25).

Les éléments préservent leur identité, leur contexte, et se définissent l'un au regard de l'autre, dans une logique d'interdépendance. Nous avons désigné, dans la figure 3, la représentation inclusive ou exclusive de la lecture continue et discontinue du rapport école- famille36.

36 Nous avons simplifié, mais nous aurions aussi pu référer à la conception statique et non-linéaire du rapport

entre la continuité et la discontinuité culturelle, conception appréhendée dans une logique inclusive ou exclusive. En parlant en termes de choix, par l'usage du ou, nous nous plaçons pour l'instant dans une logique statique. Nous devrions alors nous situer sur un plan métathéorique, celui associé à une conception continue ou discontinue du rapport épistémologique continu et discontinue entre la discontinuité et la continuité culturelle. Ne passons pas à ce niveau qui ajoute inutilement un degré de complexité à ce que lecteur a certainement saisi :

À la lumière de ce que nous avons mentionné dans les précédentes sections, et en appui sur Gutiérrez et ses collègues (2009), il nous apparaît que le champ du partenariat école-famille-communauté s'établit, de manière prédominante, autour d'une séparation exclusive de la continuité et de la discontinuité culturelle. En effet, nous avons vu que l'un des deux processus, à savoir la continuité culturelle, est privilégié à l'autre. L’accent qui est mis sur la continuité culturelle se décèle par le fait qu’elle constitue soit le point de départ de la démarche intellectuelle des auteurs- le consensus (continuité culturelle) étant considéré comme donné a priori- soit sa destination, son point d’aboutissement ultime. La dimension de discontinuité est reléguée au second plan (pour parler en termes de rapport figure/fond), mais elle est représentée de manière tacite, ceci sur une base statique.

Dans une perspective de séparation exclusive, la valeur des pratiques éducatives des parents de mséf est jugée selon leur adéquation à la culture scolaire. La capacité de ces pratiques à soutenir la réussite éducative de l'enfant est déterminée selon un degré de rapprochement plus ou moins élevé à la culture scolaire (en particulier, dans les typologies fondées sur un continuum, comme celle de Larivée, 2011; voir la section du cadre conceptuel qui s’y réfère). La différence culturelle elle-même est appréhendée dans une perspective statique, les écarts étant considérés stables et n'évoluant pas eux-mêmes sur une base temporelle. Par le fait de privilégier l'une ou l'autre des cultures en présence, nous passons subtilement de la discontinuité à la continuité culturelle, celle-ci reflétant un degré de symétrie élevé entre les systèmes–elle est donc appréhendée dans une perspective statique. Cette symétrie, qui passe par un rapprochement entre l'école et la famille, suppose a priori une conception de la discontinuité culturelle en termes de différence à réduire, d'écart à enrayer. Sous cet angle, Epstein (1987, 1995) est critiquée pour privilégier a priori la culture scolaire (Pushor, 2001).

Pourtant, comme traitement socioculturel et réponse à la discontinuité culturelle en mséf, les programmes d’intervention (Epstein, 2010) comme FECRE (Blain, 2004; Gouvernement du Québec, 2003a) s’articulent foncièrement à une finalité de rapprochement entre l’école et la famille. À cet égard, les discours scientifiques et institutionnels, rattachés aux tendances épistémologiques qui viennent d’être soulevés, se « matérialisent » (Valsiner,

le caractère statique et dynamique de la continuité et de la discontinuité culturelle s’établit en regard de différents plans logiques hiérarchiquement interreliés.

2013) sous forme de pratiques inscrites dans un cadre institutionnel (Lighfoot, 2004; Vincent, 1993), pratiques qu’il convient maintenant d’étudier.