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C HAPITRE 3 : Identification, traçage et variabilité des processus d’altération des phyllosilicates par des souches bactériennes

II.5 Synthèse sur la variabilité des processus d’altération des minéraux

Cette étude expérimentale a permis de mieux contraindre et comprendre la variabilité des processus d’altération des minéraux et en particulier d’identifier les paramètres importants qui influent directement sur les taux de lixiviation du fer contenu dans deux micas.

Les paramètres testés ne peuvent pas être véritablement classés par ordre d’importance. On peut néanmoins les voir agir sur deux niveaux étroitement liés : celui de la réponse globale du système tout entier et celui de la réponse plus spécifique des microorganismes. La nature de la source carbone disponible dans le système ou les conditions de préculture ont une influence sur la physiologie des bactéries et par conséquent sur le taux de lixiviation du fer. Néanmoins, on voit que l’effet est autant qualitatif (e.g. nature des sources de carbone) que quantitatif (e.g. quantités disponibles).

Ces paramètres souche-dépendants influent notamment sur les métabolites bactériens produits (nature et quantités) et les modalités (acidolyse et complexolyse) de lixiviation du fer lors du processus d’altération.

Toutefois, au niveau du système, indépendamment du minéral et de la souche utilisés, les variations qualitatives (processus) et quantitatives (taux de lixiviation d’éléments) les plus significatives sont observées lors des changements de source de carbone et des modalités de contact. Ces deux paramètres engendrent des variations importantes dans la réponse du système.

Le contact entre les bactéries et les particules minérales n’est pas une condition nécessaire à la lixiviation du fer à partir des deux sources minérales : phlogopite et biotite. Cependant, le contact bactérie/minéral permet une amplification de la lixiviation de fer alors que les concentrations de protons ou métabolites en solution (« bulk ») sont sensiblement les mêmes en conditions de contact ou de non-contact. Ces résultats suggèrent des domaines réactionnels locaux, limité à la surface des particules minérales où les conditions physico-chimiques à l’interface bactérie/minéral sont différentes de celles mesurées en solution. En particulier, des concentrations en acides minéraux ou organiques plus élevées et non détectables en solution assureraient une amplification de la lixiviation du fer .

Le phénotype d’altération doit donc être attribué au système bactérie-minéral-solution et non à la souche bactérienne.

III. T

RAÇAGE ISOTOPIQUE DES PROCESSUS DE LIXIVIATION

III.1 Contexte et objectifs

L’altération des minéraux est considérée comme la somme d’une série d’interactions complexes incluant des mécanismes physiques, chimiques et biologiques. Ainsi, dans la section précédente, le modèle décrivant les taux de libération du fer des micas en conditions aérobies a permis la distinction et la caractérisation de deux processus majeurs impliqués dans la lixiviation du fer par les bactéries en conditions aérobies : l’acidolyse et la complexolyse. Cependant, dans la nature, la contribution entre des processus strictement chimiques, des processus biochimiques dont les agents sont des produits d’êtres vivants et des processus « vivants » où la présence d’une bactérie est essentielle, s’avère très difficile à estimer. Le développement récent de nouvelles techniques analytiques permet maintenant d’analyser précisément, dans différents milieux naturels ou expérimentaux, le fractionnement entre les isotopes stables d’éléments minéraux majeurs. L’utilisation de ces nouveaux traceurs devrait permettre de préciser le cycle global des éléments dans les écosystèmes et notamment d’identifier plus précisément des produits résultant de l’altération de phases minérales. Dans des dispositifs expérimentaux contrôlés (plantes, substrats, minéraux), les mesures isotopiques paraissent être une voie prometteuse pour étudier les processus d’altération minérale spécifiques aux êtres vivants et leur modalité d’expression.

Des études récentes ont montré que certains processus biologiques et cinétiques pouvaient induire des fractionnements isotopiques entre les isotopes des métaux de transition (Beard 1999; Brantley 2001; Beard 2002; Anbar 2003; Brantley 2004; Mathur et al., 2005). Cependant, le fer et le cuivre sont très dépendants des conditions physicochimiques du milieu et possèdent plusieurs états d’oxydation, ce qui rend difficile l’interprétation de leurs variations isotopiques. Contrairement aux métaux de transition, le magnésium est moins sensible aux conditions physico-chimiques du milieu car il ne possède qu’un unique état d’oxydation (+II). Récemment, les compositions isotopiques du Mg ("26Mg) ont été mesurées et varient de -6 à 1 ‰ dans divers échantillons naturels (Galy et al., 2002; Tipper et al., 2006a; Tipper et al.,

CHAPITRE 3. IDENTIFICATION, TRAÇAGE ET VARIABILITE DES PROCESSUS D’ALTERATION DES PHYLLOSILICATES PAR DES SOUCHES BACTERIENNES

109 2006b; Brenot et al., 2008). Les variations naturelles des isotopes du Mg mesurées entre les roches, les sols et les eaux de rivière qui les drainent semblent indiquer un fractionnement pendant l’altération. Les compositions isotopiques en Mg des sols développés sur un matériel silicaté ont en effet un "26Mg plus lourd que la roche silicatée et que les eaux de rivières.

La différence de compositions isotopiques en Mg des microorganismes et du milieu qui les entoure a surtout été étudiée en milieu marin. Les fractionnements ont été en particulier très bien contraints pour les microorganismes comme les foraminifères. En effet, Chang et al., (2004) et Wombacher et al., (2006) ont montré que ces organismes marins ont une composition isotopique en Mg plus légère que l’eau de mer. Cependant, Ra et Kitagawa (2007) indiquent que les molécules de chlorophylle du phytoplancton marin sont à l’inverse légèrement enrichies en isotope du Mg lourd relativement à l’eau de mer. En fait, les étapes et sens des fractionnements depuis un milieu nutritif jusqu’à une molécule très complexe et spécialisée comme la chlorophylle reste encore aujourd’hui débattu.

En milieu continental, Black et al., (2008) et Bolou Bi et al., (2010) ont étudié le fractionnement isotopique du Mg pendant la croissance des plantes. Ils montrent que les plantes sont systématiquement enrichies en isotopes lourds du Mg. En revanche, le magnésium non prélevé et présent en solution est enrichi en isotopes légers. Les mécanismes de prélèvement, d’incorporation et de recyclage du Mg à l’intérieur de la plante ont été bien contraints dans l’étude de Bolou Bi et al., (2010). Les résultats de ces travaux montrent une influence de la disponibilité du Mg dans le milieu sur l’intensité de ces fractionnements. Les microorganismes ont un rôle majeur dans la lixiviation des éléments et la disponibilité de ceux-ci dans les solutions (cf section I pour la lixiviation du fer). Cependant, à ce jour, aucune étude n’a vérifié le rôle des processus microbiens d’altération sur la signature isotopique des solutions de lixiviation.

Nous avons ainsi choisi d’utiliser les isotopes du Mg, minéral abondant dans la phlogopite, afin de tester l’existence possible d’une signature bactérienne spécifique lors de l’altération de ce minéral en conditions expérimentales. Au cours de nos expériences menées en réacteurs type flacons (offrant l’avantage de volumes importants de solution de lixiviation), l’impact des activités bactériennes sur la lixiviation du fer, de l’aluminium, de la silice a été étudiée parallèlement à celle du magnésium. Ces éléments n’ont pas tous le même

comportement géochimique suivant les conditions physicochimiques du milieu et leur affinité pour les produits du métabolisme bactérien diffère également. Les fonctions lixiviantes des bactéries (complexantes ou acidifiantes) ont également été caractérisées. L’altération expérimentale de phlogopite en réacteur a été réalisée en présence de 2 souches bactériennes :

- Rhanella aquatilis (RA1) identifiées comme bactéries complexantes lors de nos précédentes études ; Quatre expériences : R1, R2, R3 et R4, ont été réalisées avec RA1.

- Pseudomonas sp., identifiées comme bactéries acidifiantes (PS2) ; deux expériences ont été réalisées avec PS2 : B1 et B2.

Parallèlement aux expériences réalisées en conditions biotiques, les mêmes expériences ont été menées en conditions abiotiques en présence d’acide nitrique et d’acides organiques. Les conditions expérimentales (pH, nature et concentration des acides organiques) de ces expériences abiotiques ont été fixées à partir de résultats obtenus sur des expériences réalisées en présence de bactéries. Les quantités de Mg, Al, Si et Fe en solution et la signature isotopique du Mg lixivié en conditions abiotiques ont été comparées à celles des éléments lixiviés en présence de bactéries.

III.2 Évolution du nombre de bactéries, de la consommation du glucose et du pH