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L’altération des silicates en présence de bactéries résulte de changements des conditions, dans le milieu, provoqués par les activités de celles-ci. Une partie des bactéries dégrade les composés organiques et produit ainsi du CO2 et des acides organiques, abaissant le pH dans la solution. Comme expliqué dans le paragraphe précédent, le plus souvent, le produit final de l'oxydation des composés organiques est le dioxyde de carbone. Cependant, certains facteurs environnementaux comme le pH, la température, la concentration en sels ou la présence de certaines substances ont une influence sur l’activité (fonctionnement) d’une enzyme. Dans ce cas, les bactéries sont incapables d'aller jusqu'à une dégradation totale et la formation de CO2. Différents acides intermédiaires s'accumulent alors dans le milieu comme

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33 1986). La production d’acides organiques dépend de la source de carbone et du type bactérien.

Les acides organiques, selon leur nature et leur quantité, peuvent augmenter directement et indirectement la dissolution minérale. La majorité des acides organiques peut, selon les conditions de pH, se dissocier en anions organiques (chargés négativement) et protons. Quelques protons peuvent alors réagir avec les acides organiques à la surface des minéraux (réaction de protonation) causant un affaiblissement des liaisons oxygène-métal. Ceci aboutit à la libération de cations métalliques à la surface. Simultanément, les anions organiques peuvent réagir avec les cations métalliques à la surface des minéraux. Ils déstabilisent également les liaisons oxygène-métal et favorisent la dissolution via la formation et le détachement de complexes métal-chélate. L’oxygène sous-jacent est alors exposé aux réactions de protonation.

Comme présenté dans la figure 1-6, les acides polyfonctionnels comme l’acide citrique et l’acide oxalique amplifient la dissolution des silicates, contrairement aux acides monofonctionnels comme l’acétate (Robert M. et Berthelin J., 1986; Welch et Ullman, 1993).

Figure 1-6. Pourcentage d'éléments libérés lors de la lixiviation de phlogopite par 0,001M d'acides organiques à 60°C d'après Robert et Berthelin (1986)

Les acides organiques complexants comme l’acide citrique et oxalique sont produits via le cycle de Krebs. En général, les bactéries utilisant le cycle de Krebs sont complexantes et ont un anabolisme très demandeur en énergie qui requiert une importante quantité initiale de carbone et un catabolisme efficace pour l’altération des minéraux mais peu efficace pour la production de biomasse. Les acides organiques faiblement complexants, comme les acides lactique, acétique et formique sont issus de la fermentation. Les bactéries anaérobies strictes ou facultatives produisent ces acides organiques et sont généralement acidifiantes. Elles ont un anabolisme peu demandeur en énergie qui requiert une faible quantité initiale de source de carbone et un catabolisme peu efficace pour l’altération des minéraux mais très efficace pour la production de biomasse.

Pour résumer, les bactéries par leurs activités métaboliques sont capables de produire des acides organiques et d’influencer la chimie de la solution et donc l’altération des minéraux silicatés. Les acides organiques suivant leur nature et les conditions du milieu (pH, température…) n’ont pas le même impact sur la lixiviation de cations lors de l’altération de minéraux.

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III.

C

ONCLUSIONS ET

O

BJECTIFS DE CETTE THESE

La dissolution des minéraux silicatés a été largement étudiée aussi bien en conditions abiotiques, qu’en conditions biotiques. Il a été démontré que les réactions de dissolution sont amplifiées en présence des bactéries au contact ou non avec la surface minérale soit (1) par production d’acides organiques ou inorganiques (acidolyse et complexolyse), soit (2) par production de sidérophores, soit (3) par modification des conditions pH et redox du milieu, ou encore (4) par formation d’un biofilm à la surface du minéral accentuant l’altération.

Cependant, la distinction entre les actions directes et indirectes (production d’agents altérants) des bactéries lors de l’altération des minéraux est difficile, d’autant plus que la comparaison entre les expériences biotiques et abiotiques s’avère souvent difficile compte tenu des nombreux paramètres qu’il faut considérer comme le pH, la production de métabolites par les bactéries ou le suivi de la biomasse. De plus, les travaux précédents ont été réalisés avec des souches bactériennes pures, des milieux nutritifs, des dispositifs et des minéraux différents, il est donc très difficile de pouvoir comparer les expériences entre elles et de délimiter ces mécanismes. Aucun modèle ne prend en compte, dans les équations empiriques, la diversité des bactéries et leur phénotype d’altération. Il est nécessaire de contraindre leur action dans la nature soit en modélisant les mécanismes (acidolyse ou complexolyse) soit en mesurant leur éventuelle signature isotopique sur les solutions de lixiviation pour observer des « signatures bactériennes » lors de l'altération de silicates. Pour finir, il est nécessaire de déterminer la variabilité de réponse des bactéries vis-à-vis de leur environnement extérieur, c’est-à-dire la nature de la source de carbone, le contact/ non contact avec le minéral et influençant sur le potentiel lixiviant des bactéries.

L’objectif global de ce travail de thèse est d’étudier les interactions entre les bactéries et les minéraux. Nous nous concentrerons sur la caractérisation des processus d’acidolyse et complexolyse conduisant à la lixiviation des cations de minéraux par les bactéries. La combinaison d’une approche physico-chimique de la lixiviation des minéraux et d’une approche biologique nous permettra de modéliser ces processus et de discuter des paramètres les contrôlant. L’outil isotopique confirmera ou non une signature bactérienne d’altération des minéraux par comparaison avec des expériences abiotiques pour simuler l’action des bactéries.

Le choix du dispositif s’avère donc important. Des expériences de lixiviation menées en système fermé ou ouvert ne fourniront pas les mêmes informations sur les processus mis en jeu. Dans ce travail, les mécanismes initiaux de dissolution ont été étudiés sur des expériences courtes pour limiter l’impact des changements de chimie de la solution provoqués par la mort des bactéries, les carences nutritives….

Deux types de dispositifs en système fermé ont été utilisés afin d’observer ces « signatures microbiennes » : (1) les microplaques, permettant de tester de nombreuses souches ou communautés bactériennes. Sur celles-ci sont caractérisés la lixiviation du fer à partir du phlogopite et de la biotite, sur de nombreux répliquats afin d’identifier les mécanismes bactériens d’altération ainsi que leur variabilité à un temps donné; (2) les réacteurs, fournissant un volume plus grand pour les analyses, permettent de suivre l’évolution au cours du temps du taux d’altération de la phlogopite. Des analyses isotopiques du magnésium sur les solutions de lixiviation ont été ralisées à partir ce de type de dispositif.

Pour réaliser les biotests d’altération des minéraux par les bactéries, le phlogopite et la biotite ont été retenus pour la suite de ce travail. Ces minéraux sont ubiquistes dans

les sols et sont d’un degré d’altérabilité intermédiaire entre l’olivine (très facilement altérable) et le quartz, la muscovite, ou les smectites qui sont des minéraux très réfractaires selon l’ordre de stabilité des minéraux établit par Goldich (1938). Les expériences d’altération bactérienne de minéraux doivent tenir compte de la nature des minéraux pour que ceux-ci ne soient pas trop facilement altérables et d’un autre côté trop réfractaires pour ainsi pouvoir observer des mécanismes différents.

La biotite correspond au mélange (composition intermédiaire) entre 2 pôles purs l’annite (Fe) et le phlogopite (Mg). Le phlogopite choisi dans nos expériences ne correspond pas exactement au pôle pur car une certaine quantité de fer (1,6 %) est présente dans sa composition. Ces deux minéraux ne présentent pas d’autres impuretés comme certains oxydes de fer, ce qui rend leur utilisation plus facile.

Les sols représentent des microhabitats très hétérogènes et oligotrophes. De plus, ils sont très différents car ils se forment sur des roches mères très contrastées, sous des conditions climatiques et des végétations différentes et bien d’autres facteurs qui influencent localement

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37 leur formation. La rhizosphère des plantes fournit un environnement plus favorable aux microorganismes, dû à la sécrétion par les racines des plantes d’exsudats riches en divers composés carbonés.

Mais, les bactéries doivent souvent s’adapter à des environnements moins favorables et développer des stratégies. Les stratégies nutritionnelles (sources de carbone, d’énergie et d’électrons) des bactéries peuvent alors largement influencer les processus d’altération mis en jeu et leur intensité. Ainsi, chez les bactéries hétérotrophes, la qualité de la source de carbone utilisée en tant que « matière première énergétique » détermine le métabolisme bactérien. Si cette source change, la nature des métabolites excrétés dans le milieu extérieur par les cellules sera affectée et va modifier les mécanismes d’altération et leurs cinétiques. Le sol, en tant que réservoir de multiples sources de carbones plus ou moins dégradables, a donc un rôle clef dans l’orientation des processus d’altération.

Les bactéries n’agissent généralement pas seules, mais en communautés. En effet, il peut exister des synergies entre les bactéries dans un environnement donné contrôlant le processus d’altération des minéraux.

L’étude des processus d’altération des minéraux par des communautés et des souches bactériennes dans différents types de sols très contrastés (pédogenèse, richesse en nutriments, couvert végétal) permettra d’établir un lien entre les différents paramètres physico-chimiques du sol et les stratégies développées par les bactéries et leur variabilité.

Ce travail s’est intéressé aux communautés bactériennes extraites de huit sols (classification WRB 2006) avec trois sols calcaires : (1) leptosol rendzique (rendzine), (2) leptosol rendzique colluvial (rendzine colluviale), (3) cambisol calcique (sol brun calcaire), deux sols développés sur limons (1) luvisol (sol brun lessivé) et (2) luvisol gleyique (sol brun lessivé à pseudogley) échantillonné sous trois couverts végétals différents (prairie, culture et forêt) et enfin trois sols développés sur grès : (1) cambisol dystrique (sol brun acide), (2) podzol, (3) podzol leptique (sol cryptopodzolique).

Le podzol leptique fait partie d’une étude plus globale sur la restauration possible de la qualité des sols et des eaux ainsi que de la biodiversité (ANR Recover) dans des petits bassins

versants forestiers amendés en 2003 par des épandages calco-magnésien. Les sols naturellement pauvres en nutriments (Ca, Mg) dans les Vosges ont subit des décennies de pluies acides et d’exploitations forestières qui ont encore appauvris ces sols, acidifiés les eaux, diminués la biodiversité et provoqués des dépérissements forestiers.