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C HAPITRE 3 : Identification, traçage et variabilité des processus d’altération des phyllosilicates par des souches bactériennes

II.4 Influence du contact bactérie/minéral :

Les processus d’altération et leur induction dépendent–ils des interactions physiques entre les cellules bactériennes et les particules minérales : contact direct, semi-contact ou aucun contact ?

Pour répondre à cette question, trois modalités d’expériences d’altération à masse constante de phlogopite et de biotite ont été réalisées en microplaques (Figure 3-18) avec du glucose comme source de carbone et d’énergie et en présence des souches bactériennes RA1 et PS2. La première expérience dite de « contact » consiste à mettre en contact le minéral directement avec les bactéries, ce qui est habituellement le cas dans les expériences en microplaques. La deuxième expérience dite de « non-contact » consiste à séparer totalement les particules de minéral et les bactéries à l’aide d’un insert placé dans la microplaque (Millicell-96 Cell Culture Insert Plates, Millipore). L’insert contient les bactéries qui sont séparées des minéraux par un filtre de 0,2 %m qui ne limite pas la diffusion des métabolites dans la solution. La dernière expérience dite de «semi-contact » consiste à mettre en contact les bactéries avec seulement la moitié des particules minérales, dans l’insert. L’autre moitié est séparée des bactéries mais pas des métabolites produits. La masse de minéral est constante dans toutes les expériences et les 8 répétitions sont assurées par une distribution précise (pesée puits à puits) des minéraux.

Figure 3- 18. Dispositifs en micro-réacteurs (microplaques) utilisés pour les expériences contact, semi-contact, non-contact

Pour respecter le domaine de quasi-équilibre (Cf §II.3.2) du processus d’altération, les protons, les acides organiques et le fer libérés en solution ont été mesurés après 3 jours d’expériences (Figures 3-19 et 3-20).

Les résultats obtenus, montrent que le taux de liviation du fer dépend fortement du contact bactérie/particule et que les combinaisons entre processus direct et indirect est assez subtil. D’après le test statistique ANOVA à 1 facteur et le test de Tukey (P=0,0005), la modalité « contact » entre les bactéries (PS2) et les particules minérales induit une acidification maximale. Dans les expériences avec le phlogopite, le pH atteint 4,3 et 3,2 respectivement pour RA1 et PS2 et avec la biotite le pH atteint 4,15 et 3,0 respectivement pour RA1 et PS2. Cette modalité induit également une fraction de fer lixivié plus importante. Dans les expériences avec le phlogopite f(Fe) = 4,2‰ et 16,2‰ respectivement pour RA1 et PS2, avec la biotite f(Fe) = 0,07‰ et 0,32‰ respectivement pour RA1 et PS2.

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Figure 3- 19. pH et fraction (soluble et totale) de fer lixivié dans les expériences d’altération de phlogopite et de biotite suivant différentes modalités de contact bactéries-minéral. Les symboles a, b, c, d correspondent aux différents groupes de significativité obtenus

par ANOVA à 1 facteur et par le test de Tukey (P=0,0005) sur 8 répétitions.

Dans les expériences avec phlogopite, le pH de la solution au bout de 3 jours n’est pas significativement différent dans les deux autres modalités (4,5 et 3,6 respectivement pour RA1 et PS2). Cependant la fraction de fer lixivié f(Fe) est nettement supérieure dans les expériences de semi-contact (2 et 3 ‰ pour RA1 et PS2 respectivement) que dans les expériences de non-contact (0 et 0,3 ‰ pour RA1 et PS2). Cet effet est d’autant plus marqué si l’on considère la fraction de fer colloïdal (i.e. fer immobilisé = fer total – fer soluble). Toutefois, c’est la fraction

soluble qui est la plus affectée par l’absence de contact. La fraction insoluble, qui pourrait en partie résulter de l’immobilisation du fer à l’interface minéral-solution (Cf § I.3), est proportionnelle à la masse de minéral et donc à la surface accessible aux bactéries, quelle que soit la souche employée.

Les quantités d’acides organiques libérés par les bactéries sont sensiblement équivalentes dans toutes les conditions d’expériences (Figure 3-20), soit environ 2% de carbone métabolisé par RA1 et 10% par PS2. Dans l’expérience de semi-contact, seulement 6 % du carbone ont été métabolisés par PS2. Parallèlement à cette faible quantité d’acides organiques produits, le pH est légèrement plus élevé (3,7) que dans les autres expériences, ce qui pourrait expliquer cette différence.

Figure 3- 20. Pourcentage de carbone métabolisé par les bactéries RA1 et PS2 en fonction des modalités d’interaction des bactéries avec les particules de phlogopite et biotite

Chaque barre de l’histogramme représente une mesure unique réalisée sur un échantillon moyen issu des 8 répétitions.

Dans les expériences avec biotite, dans les conditions de semi-contact avec la souche RA1, le pH final de la solution est identique à celui obtenu lorsque les bactéries sont en contact avec le minéral. Quels que soient la modalité et le pH final obtenu, les quantités de fer mesuré en solution sont non détectables. En revanche, les quantités de fer total (soluble + colloïdales) indiquent qu’en conditions de non-contact, il y a plus de fer lixivié (0,04‰) qu’en conditions de semi-contact. Au contraire, les quantités de carbone métabolisé sont deux fois plus faibles en conditions de non-contact (0,05 %) qu’en semi-contact (1 %). En présence de la souche PS2,

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105 pour les modalités de semi-contact et de non-contact, le pH de la solution est plus élevé que pour les modalités de contact direct (respectivement 4 et 3, 4). Les quantités de fer mesurées en solution sont peu importantes de l’ordre de 0,04 et 0,03 ‰ respectivement pour les expériences de semi-contact et de non-contact; En revanche, le fer colloïdal est 2 fois plus important dans les expériences en non-contact par rapport aux deux autres modalités. Parallèlement, les quantités de carbone métabolisé sont les mêmes pour les expériences en contact et semi-contact (environ 7,5 %) alors qu’elles sont doublées dans les expériences de non-contact. Pour résumer, la souche PS2 acidifie plus le milieu et permet une lixiviation plus importante de fer que la souche RA1 quelle que soit la modalité de contact. Parallèlement, la souche PS2 métabolise plus de carbone que la souche RA1.

Le contact entre les bactéries et les particules minérales influence le processus d’acidolyse. L’acidification du milieu est en général significativement plus importante dans les modalités avec contact. L’influence du contact bactérie-minéral sur la quantité d’acides organiques produits est moins claire et variable selon le minéral utilisé. Comme pour les sources de carbone, la variation est souche dépendante : la souche « complexante » (RA1) s’avère moins sensible au contact que la souche acidifiante (PS2).

En revanche, le contact a une importance cruciale sur la quantité totale de fer lixivié, incluant les fractions solubles ou immobilisées. Toutefois, la fraction soluble diminue plus fortement que la fraction immobilisée. Le contact est donc déterminant pour l’induction du processus d’altération et pourrait laisser penser que l’effectif de sites réactifs croit avec le contact ou que l’action des bactéries est d’autant plus efficace qu’elle est proximale (au voisinage de la surface minérale). Cette interprétation rejoint celle de Vandevivere et al., 1994 et Bennet et al., 1996 qui suggèrent que l’excrétion de grandes quantités d’acides organiques par les bactéries adhérentes à la surface du minéral créent des zones de « microréaction », qui peuvent être observées en microscopie électronique (Hiebert et Bennett 1992; Thorseth et al., 1992). Par ailleurs, dans des travaux plus anciens, Zobell (1943) et Van Loosdrecht et al., (1990) avaient mis en évidence une corrélation entre les surfaces minérales accessibles et l’activité altérantes des bactéries.

Toutefois, les résultats obtenus ne concordent pas avec ceux de Robert et Berthelin (1986) ou de Vandevivere et al., (1994) qui ont montré que le contact entre les bactéries et les particules minérales n’était pas nécessaire pour augmenter ou maintenir le taux de dissolution du minéral

par acidolyse ou complexolyse. Par exemple, l’absence de contact entre la souche PS2 et la biotite et l’excrétion importante d’acides organiques ($16% du carbone métabolisé) conduit à une lixiviation du fer moins importante que dans l’expérience contact.

Ces convergences ou divergences de processus peuvent être expliquées de différentes manières :

- d’un point de vue expérimental, les dispositifs et méthodes utilisées permettent d’étudier l’induction des processus d’altération et de lixiviation des éléments (!t = 3 jours) loin de l’équilibre et non les flux élémentaires générés à l’échelle d’un réacteur sur une durée beaucoup plus longue. Néanmoins comme le montrent les résultats, l’échelle de temps choisie est suffisante pour obtenir une dynamique réactionnelle et mesurer la réponse adaptative des souches.

L’élément Fe choisi comme traceur des processus s’avère très sensible aux variations physico-chimiques locales du système. Il est, par conséquent, un moins bon traceur de flux que le magnésium ou le potassium plus fréquemment utilisés pour étudier les processus de lixiviation des silicates par voie microbienne.

Enfin, les démarches contact/non contact pour identifier les actions directs ou indirects des microorganismes sur les minéraux sont conduites sur de longues durées (30 jours). Elles ne prennent pas en compte la quantité de sites réellement réactifs ou de surfaces accessibles aux bactéries, les compétitions entre réactants chimiques et bactéries, les proportions de bactéries adhérentes et planctoniques. Les expériences menées ici en mode semi-contact illustrent bien l’importance de ces quelques paramètres.

Dans nos travaux, la mesure de paramètres globaux comme l’acidité ou la quantité d’acides organiques libérés en solution ne permet pas d’étudier les processus élémentaires à l’interface bactérie/minéral. Cette approche pourrait être complété par des outils spectroscopiques plus fins.

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