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C HAPITRE 3 : Identification, traçage et variabilité des processus d’altération des phyllosilicates par des souches bactériennes

II.3 Influence des sources de carbone et d’énergie (concentration et nature)

II.3.3 Influence de la nature de la source de carbone

Nous avons vu précédemment que la quantité initiale de carbone introduite dans le réacteur n’influençait pas le processus de lixiviation bactérien du fer mais juste son intensité. En revanche, la nature de la source de carbone pourrait potentiellement influencer le métabolisme de la bactérie et sa capacité à lixivier les éléments lors de l’altération de phlogopite (Gottschalk, 1986). Des expériences en mini réacteurs (microplaques) ont ainsi été réalisées pour étudier les variations de l’altération bactérienne du phlogopite et de la biotite lorsque différents sucres et produits carbonés sont utilisés comme source de carbone (glucose,

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97 xylose, maltose, mannitol, acide gluconique, acide malique, acide pyruvique et exsudat racinaire synthétique). Toutes ces sources de carbone ont la même concentration initiale de carbone (0,8 g.l-1 de carbone, correspondant à une concentration en glucose de 2 g.l-1) et les expériences sont réalisées en présence de 14 souches bactériennes : BS1 : Bacillus subtilis, BP1 : Burkholderia phenazinium, PA1 : Pantoae agglomerans, RA1 : Rhanella aquatilis, AR1 : Agrobacterium radiobacter, PS1, PS2 : Pseudomonas sp., B1, B2, B3, B4 et B5 : Burkholderia sp., BE1 : Bacteroidetes sp. et PC1 : Paracoccus sp. À l’exception de BS1, BP1, B4 et B5, ces souches sont Gram négatif. La capacité de ces souches bactériennes à dégrader des sources de carbone proposées a été également testée en microplaque BIOLOG® MT2 pour savoir si ces souches étaient capables d’utiliser les différents substrats carbonés. Toutes les souches employées ont été capables d’utiliser les différents substrats carbonés comme source d’énergie.

Dans toutes les modalités, le pH, les métabolites produits et les quantités de fer lixivié lors de l’altération de phlogopite et biotite ont été mesurés après 72 h d’expérience. Des témoins ont été réalisés pour chacune des expériences, notamment pour vérifier si, en présence uniquement de la source de carbone et notamment en présence d’acides organiques (sans bactéries), le fer pouvait être lixivié. Tous les témoins n’indiquent aucune libération de fer en solution en présence d’acides organiques.

La figure 3-16 représente le taux de libération du fer en fonction du pH pour toutes les expériences en présence de phlogopite et de biotite. Parmi toutes les sources de carbone utilisées, les sucres (hexose, polyol et aldopentose) en C6 ou C5 induisent une acidification importante du milieu accompagnant une lixiviation significative du fer quels que soient le minéral et la souche étudiés. La quantité de protons produits est très variable et dépend de la souche bactérienne. À l’inverse, l’utilisation d’acides organiques comme source d’énergie par les bactéries n’engendre qu’une acidification limitée du milieu, bien que la lixiviation du fer demeure efficace (rFe élevé) pour les deux minéraux. Lors de l’altération des deux micas, les deux processus sont bien marqués et se différencient plus en fonction de la nature de la source de carbone (sucres ou acides organiques) que des souches bactériennes employées.

Ainsi en présence de sucres, l’acidolyse est le processus dominant expliquant la lixiviation du fer pour la quasi-totalité des souches bactériennes. Ce processus conduit à des pH variant de 3 à

5 et un taux de libération du fer (rFe) qui varie de 5.10-14 à 5.10-11 mol.m-2.s-1. À l’inverse, la complexolyse est le processus dominant impliqué par les souches bactériennes utilisant les acides organiques comme source de carbone. Ce processus conduit à un pH de l’ordre de 6,5 et un taux de libération du fer (rFe) qui varient de 5.10-14 à 10-11 mol.m-2.s-1.

Toutefois, dans l’altération de la biotite en présence de sucres, l’acidolyse bien qu’efficace est toujours renforçée par une petite contribution de la complexolyse quelle que soit la souche bactérienne considérée, qui réduit les possibilités de précipitation.

Pour le phlogopite en présence de sucres, la contribution acidolyse-complexolyse est plus subtil. Même si les particules de phlogopite peuvent être altérés microbiologiquement par une acidolyse sensu stricto, l’altération est souvent accompagnée par une immobilisation importante du fer (sauf en présence de xylose).

Figure 3- 16. Taux de libération du fer en fonction du pH lors de l’altération de phlogopite et biotite en présence de bactéries et de différentes sources de carbone utilisables par les bactéries. Chaque point représente la moyenne et l’écart type réalisés sur 4

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99 Les exsudats racinaires synthétiques utilisés dans ces expériences sont un mélange de sucres et d’acides organiques. Les processus bactériens impliqués devraient être a priori intermédiaires (acido-complexolyse) à ceux observés pour les sucres et les acides organiques (soit un pH $ 5 et rFe $ 10-12 mol.m-2.s-1). Or, les bactéries se comportent de la même manière qu’en présence d’acides organiques. Les interactions bactérie-minéral ainsi que le métabolisme énergétique des bactéries sont donc très complexes, dépendant de la souche elle-même et de la source de carbone initiale (Linton et al., 1988).

Dans ces expériences, aucun comportement particulier lors de l’altération des minéraux n’a pu être relié à l’origine de la souche, qu’elle soit Gram positif ou négatif, isolée de la rhizosphère ou d’horizons plus ou moins riches en matière organique ou en nutriments. Comme nous l’avons vu lors de nos expériences précédentes (section I.3), les quantités et la nature des acides organiques produits par les bactéries ont un rôle prédominant sur la lixiviation du fer dans l’altération de phlogopite.

Une corrélation positive entre le pourcentage de carbone métabolisé et le taux de libération du fer est à nouveau observée dans ces nouvelles expériences (figure 3-17). En présence de phlogopite, cette corrélation ne semble exister qu’avec le glucose. En effet, peu d’acides organiques sont libérés par les bactéries en présence d’acide gluconique, malique ou d’exsudats racinaires synthétiques. En revanche, pour la biotite, quelle que soit la source de carbone initiale, la quantité de fer lixivié croit avec la production d’acides organiques.

Néanmoins, que ce soit en présence de phlogopite ou de biotite et indépendamment du substrat carboné de départ, la nature des acides organiques est similaire. Seules les quantités libérées diffèrent. Cependant, il n’y a pas de corrélation évidente entre la nature du substrat carboné initial et la quantité d’acides organiques produits.

Figure 3- 17. Pourcentage de carbone métabolisé en fonction du taux de libération du fer lors de l'altération de phlogopite et de biotite par les bactéries en présence de diverses sources de carbone. Chaque point représente une mesure unique réalisée sur un échantillon

moyen issu des 4 répétitions.

Pour résumé, peu d’acides organiques sont libérés en solution en présence d’acide gluconique, malique ou d’exsudats racinaires synthétiques, entraînant une faible acidification du milieu (pH 6-7). Une plus grande acidification du milieu résultant de l’excrétion de métabolites bactériens est observée en présence de sucres et est maximale en présence de glucose (pH 3-4).

De nombreuses études sur l’altération de minéraux par les bactéries (Berthelin 1976; Hameeda et al., 2006; Calvaruso et al., 2007; Uroz et al., 2007; Haichar et al., 2008; Patel et al., 2008) ont été réalisées en présence de plusieurs sources de carbone. Ces auteurs ont montré que les sources de carbone présentes dans les exsudats racinaires (sucres de type aldose) ou dans la mycorrhizosphère ont un impact à la fois sur la structure phylogénétique et les fonctions des communautés de bactéries du sol. Par exemple, Uroz et al., (2007) ont montré que les quantités de fer biolixivié lors de l’altération de biotite étaient plus importantes en présence de glucose que de mannitol ou en présence de bactéries isolées de la mycorrhizosphère. Pour les souches étudiées ici, nos résultats vont dans le même sens. Ils démontrent surtout qu’en présence de glucose ou de mannitol, le processus d’altération, en l’occurrence l’acidolyse, reste dominant quel que soit le minéral cible employé. Toutefois, ce processus et l’efficacité de l’altération minérale ne dépend pas de la souche bactérienne. Patel et al., (2008), lors de la solubilisation de minéraux phosphatés par une souche bactérienne Citrobacter sp., obtiennent des résultats cohérents avec nos observations. Citrobacter sp. produit différents acides organiques lorsqu’elle est mise en présence de différents sucres pendant l’altération de minéraux phosphatés. Cette souche bactérienne produit en particulier plus d’acide gluconique en présence de glucose, ce qui permet une lixiviation maximale de phosphate en solution.

En plus d’indiquer le processus majoritaire, nos travaux mettent en évidence l’importance de la relation bactérie-minéral-substrat sur le taux d’altération et sur le phénotype que l’on serait tenté d’attribuer uniquement à la souche bactérienne plutôt qu’au système dans son ensemble. De ce point de vue et sans doute en raison de sa structure cristallochimique, la biotite est bien

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101 moins discriminante que le phlogopite. De même, parmi les sucres, le xylose (composé du bois) a un comportement très particulier. Son utilisation par les bactéries accroît considérablement la lixiviation du fer contenu dans le phlogopite par complexolyse. Dans le cas de la biotite, son action ne se distingue pas de celle des autres sucres. Par conséquent, un phénotype d’altération complet doit être associé à plusieurs minéraux et source de carbone.