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L’objectivation des Carpates

4.6 Synthèse de ce chapitre

Ce premier chapitre de la partie empirique s’est principalement intéressé aux pratiques spatiales du WWF et du PNUE pour identifier et définir leurs propositions de région des Carpates.

J’ai montré que la région de projet environnemental des Carpates n’est pas une entité naturelle existant à priori mais une construction sociale, matérielle et discursive, le résultat d’un processus dynamique de confi-guration scalaire. Ce processus d’éco-régionalisation est le résultat d’une convergence (partielle) d’acteurs hétérogènes, basés en différents lieux, et agissant selon des cadrages et des spatialités différentes. Ce processus de construction implique ainsi une grande diversité d’acteurs qui ne sont pas tous intentionnellement concernés par la construction régionale et qui peuvent dépasser le cadre de la région elle-même. Ces régions de projet peuvent parfois être pensées en amont, par exemple sur la base de critères naturalistes (comme les écorégions), mais le plus souvent il s’agit d’un pro-cessus de configuration scalaire d’identification et de définition fait de

tâtonnements, d’essais et d’erreurs, sans méthodologie précise et/ou pré-définie, et souvent en fonction des opportunités. Ce processus de conver-gence et de tâtonnements peut aboutir à la création de régions de projet sous un cadre institutionnel et juridique intergouvernemental dur, mais avec des cadrages spatiaux et argumentatifs souvent encore très approxi-matifs et un fonctionnement restant encore à inventer.

J’ai ainsi tout d’abord montré que l’identification des Carpates par le WWF comme entité pertinente pour la mise en place de politiques envi-ronnementales ne résultait pas d’une identification a priori dans le cadre du programme écorégional Global 200, mais d’un recadrage des pratiques de l’organisation sur la question de la protection des eaux du Danube qui l’a amené à adopter une approche par bassin versant pour cadrer ses ac-tions et à intégrer les montagnes des Carpates dans ce nouveau cadrage.

C’est progressivement et par une initiative endogène que l’approche éco-régionale a été adoptée pour définir une proposition de région propre aux enjeux environnementaux des montagnes des Carpates. Dans le cadre de la «Carpathian Ecoregion Initiative» (CEI), le WWF a pu structurer un réseau de partenaires autour de sa proposition et participer à la construc-tion d’un public régional.

Concernant le programme Global 200, j’ai montré qu’il a été mobilisé par le WWF International comme un outil stratégique de communication pour légitimer son action scientifiquement a posteriori et obtenir des fi-nancements. Le concept d’écorégion apparait ainsi avoir plutôt été utilisé dans le contexte des Carpates comme un label garantissant le sérieux du projet et justifiant la proposition de région basée sur des critères natura-listes, plutôt que comme un outil scientifique de planification territoriale des actions de l’organisation non-gouvernementale. Mes entretiens ont montré que la priorisation des écorégions dans le cadre du programme Global 200 résultait plutôt d’une combinaison de critères, politiques, fi-nanciers et naturalistes.

J’ai ensuite montré que le PNUE a formulé une proposition de région différente au début des années 2000. Le PNUE a pragmatiquement sai-si l’opportunité stratégique de l’année internationale de la montagne en 2002, pour mobiliser son approche par massif afin de définir son projet de région et se positionner dans le processus d’éco-régionalisation autour des régions de montagne. Par son statut d’organisation

intergouverne-mentale il a réussi à mobiliser la plupart des gouvernements en faveur de sa proposition.

Ces deux institutions ont rapidement identifié l’opportunité de coo-pérer pour rassembler un «public régional» autour de la formulation d’une proposition de région commune. Cette proposition s’est matéria-lisée sous la forme d’une proposition de coopération environnementale intergouvernementale dans le cadre d’un traité international lors du som-met de Bucarest en avril 2001 organisé par le WWF. La singularisation de la proposition de région a coïncidé avec la stabilisation d’un public régio-nal derrière le projet.

A la suite du sommet cependant, des tensions internes à l’organisa-tion ont eu raison de la CEI et ont abouti à la démission de l’ensemble du bureau Danube-Carpates du WWF au début des négociations sur la future convention. Le PNUE a ainsi pris seul le leadership sur la propo-sition de région et a mené le processus de négociation. Les représentants nationaux se sont très rapidement mis d’accord sur le cadrage thématique de la proposition de région en favorisant une approche intégrée de déve-loppement durable par peur d’entraver le dévedéve-loppement économique de la région. Ils ont également favorisé un cadrage spatial plus centré sur le massif de montagne se rapprochant ainsi de la définition proposée initia-lement par le PNUE.

L’adoption d’une définition commune par tous les négociateurs a ce-pendant échoué en raison de tensions géopolitiques entre deux des Etats Parties. Les négociateurs ont ainsi adopté une définition vague pour avoir la flexibilité d’adapter le cadrage spatial en fonction de leurs cadres natio-naux de référence respectifs Aucune définition commune n’a cependant pour l’instant pu être trouvée entre les différents gouvernements pour dé-finir précisément la proposition de région. Malgré ce différend, la Conven-tion des Carpates a été signée par tous les pays le 22 mai 2003 à Kiev.

Chapitre 5