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Construire la région de projet des Carpates

L’objectivation des Carpates

4.5 Construire la région de projet des Carpates

Au début des années 2000, il existe ainsi deux propositions de région environnementale pour les Carpates basées sur deux cadrages différents: l’approche écorégionale proposée par le WWF et l’approche par massifs soutenue par le PNUE.

Les deux propositions bénéficiaient d’importants soutiens. Le WWF a réussi à structurer une importante communauté d’acteurs, notamment scientifique autour de sa proposition et était en relation avec le gouverne-ment roumain. Le cadrage proposé par le PNUE bénéficie quant à lui de la fenêtre d’opportunité ouverte par l’année internationale de la montagne et du soutien de plusieurs gouvernements, et plus particulièrement du gou-vernement ukrainien.

Les deux institutions vont donc devoir cependant se concerter pour ré-ussir à converger autour d’une proposition pouvant réunir le plus d’acteurs autour d’elle et ensuite la matérialiser dans un cadre institutionnel et/ou juridique «dur» afin de stabiliser cette communauté d’acteurs émergente.

Vers une Convention des Carpates: le sommet de Bucarest

Des représentants du WWF-DCPO et du PNUE-BRE se sont rencon-trés pour la première fois au cours de l’année 2000 pour discuter de leurs engagements respectifs dans la région. Les premières rencontres ont été informelles dans le cadre de conférences internationales. Les deux organi-sations ont rapidement convergé sur la possibilité de développer un cadre légal pour la protection et le développement durable de la région, sans toutefois en définir le cadrage spatial.

Du point de vue du PNUE, il était important de pouvoir bénéficier de la renommée du programme écorégional du WWF et de son réseau de partenaires scientifiques dans ce processus d’éco-régionalisation comme le confirme un membre de l’organisation internationale.

At this time XX of the Danube Convention was the head of the WWF secretariat – of the WWF program, the Danube-Carpathian program. He was the head boss, and

he had a very good strong, acknowledged, powerful program. And together with the Romanian government they put together this whole huge exercise. And there was some precursor work done by WWF. So they were building this initiative, the Car-pathian Eco-region Initiative, it was called CEI at this moment. So they were much bigger than us. They were large; they were a large program and we came with the idea of a convention and today I like to say that they gave the idea of a convention.

In reality it was different. We went to them and [said] “We want to make a conven-tion. Are you interested? Are you going to help us?” and they were open enough to basically say “Yeah, we think it’s a good idea. And we’ll even put a small sentence into the Bucharest Declaration.” […] And so that is how it started, and then we had very active – so they were actively supporting the idea88.

L’initiative du PNUE-BRE a été reçue également très positivement par les représentants du WWF-DCPO qui réfléchissaient également à cette période au développement d’un cadre légal de coopération pour matéria-liser leur proposition. Le développement d’une Convention pouvait ainsi constituer la concrétisation de la CEI et potentiellement augmenter la visi-bilité du travail du WWF dans la région pour attirer de nouvelles possibi-lités de financement.

And I remember, uh, as the Carpathian eco-region initiative worked that well I was already invited all over the world to all international conferences, externally. So if people had some regional programs, I was invited. But also internally, in WWF board meetings when they had it. So I was quite well-known and I had a chance to discuss it with many people all over the world. And then I decided, let’s try if there is an interest for a convention, and at that time I got to know [the head of the UNEP Interim Secretariat of the Carpathian Convention]… and he said yeah, he would support And we decided, let’s make a side event at the Bucharest Summit to present the idea and listen [to] what each of the countries – what position they have towards it89.

It’s important because it’s kind of a natural thing that we can and should do, as an international organization [to support this kind of transnational initiative]. It’s where our strength is and our added value is, I would say. […] And have been very involved in pushing that forward and in actually implementing it, in fact. And the reason why we can do that – I mean, I think it probably needs an organization like ours to push something like that forward because the impetus won’t come from the governments, that’s pretty clear. So they support it and so on, but they always

88 Entretien PNUE 2, mars 2011.

89 WWF 3 avril 2011

need somebody pushing it, and just getting them to have a meeting together is not always so easy, so it needs another organization. […] There, too, I think it needs a…

it doesn’t have to be necessarily WWF, but it needs some organization pushing it from above or below, so to speak90.

Les deux organisations se sont ainsi rapidement mises d’accord sur un plan d’action coordonné pour mobiliser un grand nombre de partenaires autour de cette proposition. Une division du travail informelle s’est ainsi très vite établie: au WWF le soin de mobiliser son réseau de partenaires locaux et au PNUE celui de convaincre les gouvernements de se lancer dans cette initiative à l’occasion du sommet interministériel sur l’environ-nement et le développement durable dans les régions des Carpates et du Danube91 organisé par WWF-DCPO et le gouvernement roumain à Buca-rest en avril 2001. Ce sommet devait être à l’origine le prolongement d’une initiative lancée par le WWF avec le soutien du gouvernement roumain visant à l’établissement d’un couloir vert le long du bas Danube entre la Roumanie, l’Ukraine, la Bulgarie et la Moldavie. Il a finalement conduit au lancement officiel du processus d’institutionnalisation de la région de projet des Carpates. Une véritable stratégie de communication a ainsi été mise sur pied et un important travail de lobbying a été effectué par les deux organisations pour élargir la thématique du sommet à la région Car-pates (fort du succès de la CEI) et pour promouvoir le développement d’un accord de coopération intergouvernemental. Ce travail de réseautage a été la clé du succès pour cette représentante du WWF-DCPO:

Yeah… we had… we had a relatively very good planning in the Carpathian eco-region initiative on all levels so more or less a lobbying strategy, when to contact best, whom in which country and so on, but we had also a very well-planned media strategy, communication strategy. And I think another important fact was that we built up this network of all these working groups in the countries and they used their position also to lobby inside the country. So we actually covered all levels, no? Inside the country we had our lobbyists and then we had UNEP lobbying the gov-ernment and we had international NGOs lobbying for it, so… it was actually…yeah and I think networking was the main success factor for this. And I still realize that

90 WWF 1, mars 2011.

91 Summit on Environment and Sustainable Development in the Carpathian and Danube Region, 29 and 30 April 2001, Bucharest, Romania.

these networks we built up at that time are still working. Now when I’m coming to a country like Romania, somewhere, people still know me. It’s interesting. So, they are working92.

Cette dernière référence à l’existence de ce réseau d’acteurs autour de la proposition de région, qui fonctionne encore actuellement, renvoie ainsi beaucoup au processus de stabilisation du public régional conceptualisé par Jonathan Metzger et que j’ai explicité dans la partie théorique de cet ouvrage. La stabilisation du public régional passe d’une part par la consti-tution d’une communauté d’acteurs et la singularisation d’une proposi-tion de région. On peut ainsi suggérer que la convergence du PNUE et du WWF autour d’une proposition de région et la mobilisation et structura-tion de leurs réseaux respectifs d’acteurs en vue du sommet de Bucarest autour de cette proposition constitue un bon exemple du processus de stabilisation d’un public régional. La publication de rapports et de docu-ments iconographiques par le WWF a certainement participé à cette sta-bilisation. Je montrerai plus en détail ce rôle dans le chapitre 8.

La coopération entre le WWF et le PNUE a abouti à une déclaration d’intention des Ministres de l’environnement de la région lors du sommet de Bucarest en avril 2001. La partie du sommet sur les Carpates a essentiel-lement servi à présenter les activités développées par la CEI depuis 1999.

Le sommet a réuni 14 chefs d’Etats et Ministres de la région, ainsi que des organisations internationales comme la Banque Mondiale, la Commission économique des Nations Unies pour l’Europe (CEE-ONU), le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), le PNUE et la Com-mission européenne. Les gouvernements ont adopté à cette occasion une déclaration d’intention dans laquelle ils «encouragent» et «soutiennent»

[…] les activités pour développer de nouveaux instruments régionaux intergouverne -mentaux en vue de la conservation et du développement durable de la région des Carpates, en considérant particulièrement dans cet objectif la célébration de l’année internationale de la montagne en 2002, ainsi que la conférence ministérielle du pro-cessus «environnement pour l’Europe» à Kiev en 200393.

92 WWF 3, avril 2011.

93 Declaration on Environment and Sustainable Development in the Carpathian and Danube Region, Bucharest, 30 April 2001, 2a.

Le déclin du WWF-DCPO

Au sortir du sommet de Bucarest le WWF-DCPO constitue un acteur majeur du processus d’éco-régionalisation. Il dispose de nombreux re-lais scientifiques, plusieurs soutiens financiers importants et, associée au PNUE-BRE, l’organisation a réussi à initier un processus de coopé-ration environnementale au niveau intergouvernemental dans la région.

Pourtant, ce sommet va coïncider avec le déclin de l’influence de l’orga-nisation et de sa proposition de région et la (re-)prise en main du pro-cessus par le PNUE-BRE. Ce changement de leadership s’explique en partie par la nature intergouvernementale du processus qui s’enclenche, mais également en raison de problèmes internes au WWF-DCPO. A la fin de l’année 2001, des tensions entre WWF-DCPO, WWF Autriche et WWF International ont poussé au départ l’ensemble des membres du bureau WWF-DCPO et la fin de la CEI et de sa communauté d’acteurs régionaux. A la fin de l’année 2002, la CEI ne rassemble ainsi plus que 3 à 4 organisations non gouvernementales actives dans le partenariat alors qu’elle en comptait une cinquantaine début 2001. Les activités du WWF-DCPO vont également subir un important coup d’arrêt après ce départ collectif début 2002 et il faudra attendre plusieurs années pour que l’or-ganisation reprenne de l’influence dans la région. Les raisons de cette implosion sont difficiles à établir. Il semblerait qu’elle résulte en partie d’une volonté de prise de contrôle par le WWF Autriche, qui abrite dans ses locaux à Vienne le WWF-DCPO, des activités à succès du bureau de programme et notamment sur la CEI. Plusieurs années après, la question reste encore sensible comme le montre cet extrait d’entretien avec une ancienne collaboratrice:

This was fights internally in the management, so probably we were too successful.

But some other managers tried to overtake and there were several… I sometimes have the feeling that… some people couldn’t accept that we became that famous.

And wanted really to overtake things, and we were not in agreement with that, no.

And there were some not nice things that happened, but I don’t want to talk about these things. There were not nice things and we… we decided to leave the organi-zation and then maybe as you mentioned before, then there was a time when you didn’t hear anything from WWF, this was exactly that time because they didn’t know what to do. […] The pity was, when we left WWF, the doors were opened to everybody. The World Bank wanted to finance us, IKEA wanted to finance us,

UNEP wanted to finance us, UNDP wanted to finance us, it was really a pity. But most of the funds were lost because there was no follow-up then, at that time. And only then, step by step, they started the revival of the Carpathian initiative, which is now the CERI and they are becoming again more powerful94.

Cette implosion du bureau WWF-DCPO et de l’initiative CEI au début des négociations vers une Convention des Carpates a laissé le champ libre à la proposition de région du PNUE-BRE, qui a ainsi pu mener le proces-sus d’éco-régionalisation. Le WWF-DCPO a été impliqué avec le PNUE-BRE jusque dans la préparation des premiers documents de travail en vue des premières réunions intergouvernementales. Les premières cartes qui ont servi de base aux négociations sur le cadrage spatial de la Convention reprenaient ainsi la proposition écorégionale du WWF. Ensuite, un nou-veau groupe de collaborateurs est arrivé au WWF-DCPO, mais il semble que la connaissance, la motivation et le réseau développés par les anciens collaborateurs du bureau, qui avaient été les initiateurs de la mise en place de l’approche écorégionale par le WWF dans les Carpates et de la CEI, aient été difficilement remplaçables comme le reconnait également ce membre du PNUE-BRE:

Well, we gave them a little and then we started to go a little bit and then we used them to – I think to prepare some papers, some studies we did with them, I can’t re-member which one it was. But then the program collapsed. And for legal problems, institutional problems, fighting within WWF between headquarters and them, and between WWF Austria and the international program, whatever. It turned out that the whole team was about to rent a new office; they were about to register CEI as a legal entity or whatever; and the whole thing was killed by WWF. And [the director]

went, and XXX who was the Carpathian coordinator also went. They left. And yeah, and so they – of course there were successors, so – I don’t want to go into personal things now. They were two or three successors, coordinators for the Carpathian things, but it never got back to this profile that it had had before. I mean, they were involved in organizing this heads of state summit as the confidence of the govern-ment was – all the different times it was. But they were really very serious players.

And after this collapse it took them years to somehow recover again95.

La CEI a repris à nouveau ses activités en 2005 avec une nouvelle équipe sous la direction de l’institut d’écologie appliquée Daphne en Slovaquie

94 WWF 3, avril 2011.

95 Entretien PNUE 2, mars 2011.

qui participait déjà au partenariat initial et sous un nouvel acronyme, CERI. La CERI a été légalement établie en Slovaquie, son secrétariat étant basé à Bratislava depuis 2006. Sans le soutien du WWF et sans le réseau d’associations locales et nationales mis en place entre 1999 et 2001 par le WWF-DCPO, les activités de réseautage de la nouvelle CERI paraissent limitées bien que l’organisation a participé à certains projets liés à la Convention des Carpates. On ne recense plus d’activités depuis 2009 sur le site internet de l’organisation96 et selon un des initiants du processus des Carpates, l’initiative est devenue un «virtual network». Depuis la fin de ce partenariat il n’y a plus eu à ma connaissance de réseau environnemental actif d’organisations non gouvernementales qui auraient pu proposer des propositions de région alternatives.

Les négociations intergouvernementales: cadrage et modalités institutionnelles

A la suite du sommet de Bucarest, le gouvernement ukrainien en collabo-ration avec le PNUE a organisé une première rencontre informelle avec des représentants gouvernementaux nationaux à Kiev en novembre 2001 pour discuter de l’opportunité d’une convention pour la protection et le développement durable de la région des Carpates et de ses modalités. Du-rant cette première réunion les représentants nationaux ont formellement demandé au PNUE de continuer à assister et à faciliter le processus de négociation, ainsi que de préparer une première version de la Convention des Carpates pour discussion.

Les négociations intergouvernementales ont donc officiellement dé-buté en 2002, soutenues par plusieurs pays (Autriche, Italie, Liechtenstein, Pays-Bas et Suisse), des organisations non gouvernementales (le réseau alpin d’espaces protégés, le Forum européen pour la montagne, le REC et WWF-DCPO dans un premier temps) et des institutions académiques (institut Daphne et l’Académie Européenne de Bolzano). Cinq réunions ont été successivement organisées en moins d’une année pour aboutir à

96 <http://www.carpates.org/>, consulté le 15 avril 2014.

la signature à Kiev en novembre 2003 de la Convention: Bolzano en juin 2002, Vaduz en octobre 2002, Genève en décembre 2002, Vienne en fé-vrier 2003 et une nouvelle fois à Bolzano en mars 2003.

C’est sur la base d’un premier document préparatoire préparé par le PNUE-BRE que les premières consultations ont débuté. Les deux pre-mières réunions ont servi de base pour définir le cadre général des négo-ciations: définir le cadrage thématique et les modalités institutionnelles de la future coopération. Les comptes rendus de ces réunions laissent sans surprise apparaître combien ces premières discussions de cadrage se sont inspirées du texte de la Convention Alpine et de son fonctionnement pour identifier ce qui avait fonctionné dans le contexte alpin et pouvait être transposable aux Carpates, comme le confirme également un ancien né-gociateur présent lors de ces réunions:

We could use the Alpine Convention as the pattern, see which of the Alpine Con-vention› solutions could work also in the Carpathian reality upon some modifica-tions and learn from certain shortcomings during the Alpine Convention’s imple-mentation97.

La première réunion de négociation en juin 2002 a été organisée à l’Acadé-mie européenne de Bolzano (EURAC), siège du secrétariat technique de la Convention Alpine et a été soutenue par le Ministère italien de l’environ-nement et du territoire, l’Italie assurant à cette période la présidence de la Convention Alpine. Plusieurs experts alpins ont participé à cette première réunion au titre évocateur: «Sharing the Experience: Mountain Sustai-nable Development in the Carpathians and in the Alps».

La protection et le développement durable de la région ont dès le dé-but du processus été un objectif partagé par tous les participants. Dès la première réunion informelle en 2001 à Kiev, il était clair que les gouver-nements ne soutiendraient pas une Convention exclusivement centrée sur la protection de la biodiversité et souhaitait voir mis en place une coopé-ration intégrée sous le principe du développement durable. Les représen-tants nationaux ont partagé leurs inquiétudes d’entraver le développement économique de la région en mettant trop l’accent sur les besoins de protec-tion de la nature. Les experts naprotec-tionaux se sont rapidement mis d’accord

97 Entretien GRID 7, décembre 2013.

sur le cadre général d’une approche intégrée incluant une large palette de thématiques98. Le tourisme durable, la protection de la biodiversité et le développement économique local durable ont été identifiés comme des priorités d’action pour la future coopération. Un premier accord a déjà pu être trouvé sur le contenu des articles thématiques dès la deuxième réu-nion en octobre 2002 à Vaduz99.

Les délégués gouvernementaux ont également dû se mettre d’accord

Les délégués gouvernementaux ont également dû se mettre d’accord