• Aucun résultat trouvé

1.3 Conception

1.3.3 Synthèse

De ce parcours, et en guise d’introduction à la conception architecturale des systèmes artificiels com- plexes, nous tirons la synthèse suivante de ce qu’est la conception. Elle se cristallise en la reconnaissance d’un postulat fondateur, le caractère non unique, non réductible et certainement non prédétermnié, bref quelque part non complètement mécanisable de la conception architecturale. En revanche, nous nous sommes forgé la conviction qu’elle procédait d’un certain nombre de principes, oserions-nous dire d’archétypes. Nous restons volontairement dans cette vision paradigmatique et nous nous refusons d’établir ici une théorie, ou une méthodologie, ou encore moins une science de la conception.

Postulat primordial

! Point important 1.2 [La conception n’emprunte pas un chemin unique et prédéterminé] La conception doit se voir avant tout avec une vision boîte noire. Tenter d’en donner une vision boîte de verre précise et explicite reviendrait à la réduire. Au contraire, chaque conception d’une opportunité donnée doit se voir comme une aventure à part entière, sans cesse renouvelée, mais qui obéit (qui peut ou qui devrait obéir) à certains principes.

Cette idée est magnifiquement illustrée par le poème d’Antonio Machado, utilisé comme épigraphe des notes de lecture d’une conférence donnée par Jean-Louis Le Moigne ([LM10]).

Marcheur, ce sont tes traces Ce chemin, et rien de plus ; Marcheur, il n’y a pas de chemin, Le chemin se construit en marchant. En marchant se construit le chemin,

Et en regardant en arrière on voit la sente que jamais On ne foulera à nouveau.

Marcheur, il n’y a pas de chemin, Seulement des sillages sur la mer.

Poème original en espagnol d’Antonio Machado Chant XXXIX Proverbios y cantarès, Campsos de Castilla, 1917, traduction de José Paretes-Llorca.

Principes fondamentaux

! Point important 1.3 [La conception est un processus Set-Based ]

La conception ne se focalise pas uniquement sur une solution, mais sur un ensemble de solutions possibles. Travaillant de front sur un ensemble, et non une proposition à la fois, elle sera dite Set-Based.

Non seulement la conception se doit de considérer un ensemble de solution, mais elle doit reconnaitre l’absence d’une solution optimale, plutôt des compromis comme le pose Lawson : “[there are] no optimal solutions to design problems but rather a whole range of acceptable solutions (if only the designers can think of them), each likely to prove more or less satisfactory in different ways and to different clients or users” [Law14]

! Point important 1.4 [La conception est un processus globalement convergent] La constitution, voire l’élargissement ainsi que l’exploration de cet ensemble de possibles ne peut rendre le processus divergent ou chaotique trop longuement. Il se doit de converger en visant une solution. Cette convergence se doit d’associer (co-conception) les parties prenantes. La solution qui sera retenue in fine se devant d’être satisfaisante au regard d’un certain nombre de parties prenantes, ce processus de convergence doit les soutenir et les guider vers une prise de décision commune de la bonne orientation de la solution.

! Point important 1.5 [La conception enchaîne divergences et convergences locales] La convergence n’est pas forcément monotone. Si c’était le cas, cela voudrait dire que nous serions en mesure de disposer d’un ensemble large et complet de possibles dès le départ, et que nous le réduirions successivement pour converger vers une bonne solution. Cette supposée

complétude initiale vient en contradiction avec le nécessaire travail de perception et connais- sance de l’opportunité. Celui-ci se poursuit tout du long. La manifestation dans le processus de convergence global est qu’il est rythmé par des périodes de divergence locale (augmentation de l’ensemble des possibles) et d’autres de convergence (réduction de l’ensemble des possibles).

! Point important 1.6 [La conception est un processus itératif ]

Ces périodes et ces enchaînements de convergence/divergence se répétant pour aboutir à une convergence globale, le processus de conception est donc itératif (comme d’ailleurs la plupart des processus de création).

! Point important 1.7 [La conception est un processus zigzagant]

Sérialiser la perception et l’élaboration d’une solution, c.-à-d. attendre d’avoir atteint un état de complétude, même partiel, sur la connaissance de l’opportunité pour enchaîner l’élaboration d’une solution n’est pas très efficace. Les deux doivent se construire de manière concourante en se renvoyant mutuellement la balle : mieux percevoir l’opportunité aidera à élaborer un ensemble de propositions, et réciproquement explorer des futurs possibles aidera à regarder l’opportunité sous des angles différents ou complémentaires.

Faire émerger la conception architecturale

« Architecture begins where engineering ends »

Walter Gropius

L’intérêt récent porté pour l’architecture dans le domaine de l’ingénierie des systèmes complexes, et la volonté de vouloir la singulariser ouvre de nouvelles perspectives et champs d’investigations. Encore loin d’être une science ou une discipline, l’architecture se manifeste pour l’instant en tant qu’art [RM96] ou pratique [Sil14, CCS15]. Un des aspects nous apparaît particulièrement saillant dans la construction de ce nouveau domaine, celui de la conception. Notre contribution à la conception architecturale consistera à proposer un paradigme, étape importante pour pouvoir construire, et plus tard formaliser cette activité.

Dans ce chapitre, nous partirons d’une étude du contexte initial dans lequel va naître ce nouveau domaine, à savoir l’ingénierie système. Nous en ferons d’abord une synthèse historique en partant des années quarante jusqu’à nos jours, pour ensuite tenter d’en dégager une définition. Nous verrons qu’il y en a de multiples. Nous dégagerons à la fois une caractéristique commune, l’aspect multidisciplinaire, et un manque, la manière d’orchestrer ces disciplines entre elles. Pour mieux appréhender cette ingénierie, nous proposerons une approche consistant à chercher à la distinguer des autres ingénieries. Nous verrons ensuite en quoi ingénierie et architecture diffèrent et se complètent : analyse et synthèse, réductionnisme et holisme, algorithmique et heuristique, etc. Puis nous ferons ressortir les aspects remarquables de la démarche de conception architecturale : centrée et rythmée par des décisions clés, affrontant la complexité (ne la réduisant pas !), et requérant des modes de raisonnement appropriés (pensée système, pensée critique et raisonnement abductif). Enfin parmi tous les questionnements et toutes les perspectives que cela ouvre, nous poserons la manière et la méthode qui nous servira à aborder et traiter le point particulier consistant à doter l’architecture des systèmes artificiels complexes d’un paradigme et d’une démarche de la conception.

Sommaire

2.1 Le contexte initial : l’ingénierie système . . . 46 2.2 Ingénierie et Architecture . . . 55 2.3 Distinguer l’architecture . . . 59 2.4 Viser un paradigme de la conception architecturale . . . 70

2.1

Le contexte initial : l’ingénierie système

Avant de récemment s’émanciper, ou tout du moins d’être mise en exergue, l’architecture et la concep- tion architecturale des systèmes artificiels est une partie intégrante de l’ingénierie des systèmes. Commen- çons donc par étudier cette matrice originelle.

Ingénierie Système ou Ingénierie des Systèmes ? Dans son ouvrage de référence [MF12] l’AFIS (Associa- tion Française d’Ingénierie Système) emploie le vocable d’ingénierie système. Dans leur ouvrage pédagogique [LR13] Dominique Luzeaux et Jean-René Ruault parlent expressément d’ingénierie système. Dans un récent article d’introduction [LRW15] les mêmes auteurs et moi-même nommons l’ingénierie système en tant que discipline. En revanche Wikipédia [Wik], ainsi que différentes universités ou écoles d’ingénieur proposent des programmes en utilisant la dénomination Ingénierie des Systèmes.

Nous nous proposons d’adopter les conventions suivantes dans ce manuscrit :

• L’ingénierie système dénotera soit une discipline, c.-à-d. la matière et les connaissances pouvant faire l’objet d’un enseignement, bien que n’étant pas forcément reconnue en tant que tel tant d’un point de vue scientifique qu’académique, soit un génie, c.-à-d. l’art et les techniques. Nous privilégierons l’ingénierie système en tant que génie.

• L’ingénierie des systèmes désignera la pratique consistant à faire l’ingénierie appliquée à des systèmes en s’appuyant, entre autres, sur le génie de l’ingénierie système.