• Aucun résultat trouvé

3.3 Première bissociation : FCF ⊕ FBS

3.3.1 Paradigme simplifié

Une première étape de bissociation entre le paradigme FCF d’E. Crawley et le paradigme FBS de J. Gero aboutit à la proposition initiale suivante, dénotée (FB)2(C )2, pour (Functions, Expected Behaviour, Forms, Emergent Behaviour, Concept, Contexts)(cf. figure 3.9 page suivante). Ce qui nous amène à cette première redéfinition simplifiée d’une architecture :

. Définition 3.7 [Architecture (premier paradigme simplifié)]

Une architecture est l’incarnation de fonctions requises, explicitées au travers d’un comportement attendu, dans des formes présentant des comportements émergents, au travers d’un concept, en considérant ses fonctions et ses formes immergées dans les différents contextes relatifs à l’opportunité considérée.

“The embodiment of required Functions, clarified through an Expected Behavior, into Forms leading to some Emergent Behavior, through a Concept, considering its immersion into various Contexts related to the given opportunity.” [LW17]

Ce premier paradigme, très proche du FCF d’E. Crawley, appelle les commentaires suivants :

Afin de refléter les différentes dimensions possibles de la Fonction et de la Forme dans le cadre de l’architecture de systèmes artificiels complexes, ces termes ont été mis au pluriel.

Le terme de ONT Fonction est pour le moment encore conservé11bien que dans le cadre de l’architecture de systèmes artificiels complexes, nous cherchions à atteindre, à réaliser, à fournir des capacités ou des services, plutôt que de simples fonctions. La notion de fonction semble être ici de trop bas niveau et s’adapte mieux à l’ingénierie et la conception de produits.

Fonctions Formes Contextes Comportement attendu Comportement émergent

Concept

immergées dans immergées dans explicitées

au travers de présentant des

comparaison ?

Figure 3.9:Paradigme simplifié (FB)2(C )2

Exemple

:

le

p

ont

Si nous considérons un pont, une approche fonctionnelle pourrait le réduire à la simple fonction de « Permettre aux personnes, aux véhicules, aux trains. . . de traverser d’un côté à l’autre », alors que l’aborder au travers d’un prisme capacitaire ferait surgir des aspects, des capacités d’ordre politique, économique, social, opérationnel par la connexion de deux mondes différents, comme relier une île au continent – par exemple, le pont de l’île de Ré – ou rapprocher deux pays d’un point de vue économique, académique, social, culturel. . . – par exemple, le Øresundsbron reliant le Danemark et la Suède –.

Le pluriel utilisé pour fonction reflète non seulement son caractère multiple (architecturer l’opportunité en un système peut aboutir à fournir conjointement différentes capacités), mais également la multiplicité des perspectives ou des niveaux. Par exemple, à un niveau politique ou stratégique, nous pourrions évoquer la capacité de dissuasion nucléaire, à celui opérationnel ou tactique celle de combat urbain, de protection des populations civiles, et au niveau du constituant ou du produit, où nous parlerions plus volontiers de performance ou d’efficacité, la « no escape zone » d’un missile.

En ce qui concerne la ONT Forme, cette dernière peut revêtir différents aspects dans le cadre de l’ar- chitecture de systèmes artificiels complexes : opérationnel, organisationnel, facteurs humains, services, infrastructure technique, infrastructure immobilière. . .

De plus, la seule spécification de la ou des Fonctions et explication de la ou des Formes ne traduit pas entièrement ce que pourrait recouvrir une architecture. Il lui manque en particulier l’aspect comportemental. Du côté de la fonction cela se traduit par ce que nous nommons le ONT Comportement attendu, c.-à-d. la, ou plutôt les traductions, par les différentes parties prenantes, de comment elles attendent que les capacités énoncées soient rendues. Une modalité de plus en plus courante est le recours à la narration sous diverses formes (« use case », « users stories », scénarios, « storyboard ». . . ). De tels scénarios sont classiquement regroupés dans les conteneurs documentaires que sont le CONOPS (Concept of Operations), le CONEMP

Du côté de la forme, les interactions entre les éléments engendrent un comportement du système observable, dit ONT Comportement émergent. La forme, dans sa définition initiale, se définit comme un ensemble d’éléments reliés entre eux par une structure (cf. section 3.1.3 page 83). Maîtriser les interactions entre les différents éléments permet d’atteindre les comportement émergents aboutissant aux propriétés attendues.

Dans une approche systémique, une architecture se doit d’être enrichie en la contextualisant. Voire nous pourrions affirmer qu’elle ne saurait être élaborée hors d’une interprétation du ONT Contexte dans lequel sont attendues les nouvelles fonctions (ou capacités) ou dans lequel la future forme est censée opérer. C’est cet ajout qui permet à cette première bissociation d’être en meilleure adéquation avec le domaine visé : la conception architecturale des systèmes artificiels complexes.

L’analyse lexicographique du terme Contexte (cf. annexe D.4 page 253), pourtant celui qui de prime abord nous semble le plus usité et approprié, révèle une très faible richesse synonymique et un emploi déconseillé par nos chers académiciens. Nous recommençons l’étude avec le terme Environnement, qui évoque également ou rappelle la notion de contexte en systémique ou en physique. À bien y regarder, contexte revêt plutôt une connotation temporelle, et environnement une connotation spatiale. Les deux sont indispensables dans la constitution d’une image mentale perceptive. Nous préférons conserver le terme de contexte (et aller à l’encontre de la recommendation de l’Académie française), plus répandu dans le domaine de l’architecture système.

Notons, comme J. Martin [Mar04], que plusieurs contextes, et pas seulement le contexte opérationnel (qui peut être multiple également) sont à considérer.

Encart 3.2 [Contextualiser à dessein]

Paul Valery [Val19] commentant une des leçons de Leonardo Da Vinci, de son célèbre Codex Urbinas Latinus 1270, connu et publié sous le titre de Traité de la Peinture (Trattato della pittura) : « Pour te représenter un arbre, tu es forcé de te représenter le fond sur lequel il se détache ». Cette citation a été reprise et mise en lumière dans les travaux de Jean-Louis Le Moigne :

Appauvrir en divisant Enrichir en contextualisant Découper l’objet Eclairer le projet La modélisation Analytique La modélisation Systémique (L’analyse, selon R. Descartes) (Le Disegno, selon L de Vinci) Pour te représenter un arbre, il

est rationnellement nécessaire de le décomposer en un tas de

sciure

Pour te représenter un arbre tu es forcé de te représenter quelque sorte de fond sur lequel

il se détache

Disjoindre = Décontextualiser Conjoindre = Contextualiser

Le

ONT Concept reste dans cette première version la fonction de transfert, ou de passage de la fonction

Nous reprenons les huit activités fondamentales du FBS initial, mais en les particularisant ou en les modifiant pour les adapter à ce paradigme de la conception architecturale. En particulier, toutes les activités sont désormais relatives et dépendantes des contextes considérés. Cette entière relativité et dépendance au contexte est un ajout notable de notre proposition de paradigme, le distinguant des deux autres dont il est issu. Nous pensons que c’est un élément essentiel à prendre en compte lors d’une conception architecturale, qui ne saurait se faire hors sol, mais bel et bien dans un, ou des contextes donnés.

Contextes

Fonctions

Formes

Comportement

attendu

Comportement

émergent

1

6

3

2

8

7

4

Figure 3.10:Paradigme simplifié (FB)2(C )2 : les activités d’élaboration

La ACT Clarification Activité 1 : (Contextes), Fonctions → Comportement attendu

Exprimer le comportement attendu en regard des fonctions, permet d’éclairer, d’éclair- cir ces fonctions ; ceci étant encore plus si nous nous plaçons dans une approche capa- citaire, plutôt que fonctionnelle. En reprenant la définition du DoD [DoD12] (c.-à-d.

The ability to achieve a desired effect under specified (performance) standards and conditions through combinations of ways and means (activities and resources) to per-

form a set of activities.), nous pourrions naïvement poser que la clarification consiste

à spécifier les effets désirés des capacités envisagées relativement au contexte, soit en suivant des standards et des conditions de performances spécifiés. La formulation, terme employé dans le FBS de J. Gero, nous semblait trop générale, et nous préférons ici employer le terme de « clarification », cette dernière contribuant à la formulation. La ACT Proposition Activité 2 : (Contextes), Comportement attendu → Formes

Le passage vers la forme s’inscrit dans le processus de conception architecturale dont nous avons vu qu’il est itératif, basé sur des ensembles de solution (non réduit à un singleton !), globalement convergent, localement successivement divergent puis convergent. Le terme de synthèse employé par J. Gero nous apparaît donc un peu trop définitif, et ne rend pas compte de ce côté incertain et flou en amont de la démarche architecturale. Ici le terme de « proposition » nous semble plus approprié, car il rend compte :

• du caractère hypothétique de la forme : il ne s’agit pas, dès le début, de la forme finale qui sera agréée (ce qui pourrait alors correspondre à une synthèse, ou tout du moins à un compromis), mais d’une hypothèse de travail, bref une proposition ;

• de son caractère multiple (set-based) : plusieurs formes peuvent coexister, et ainsi constituer la proposition courante ;

• de son caractère incertain, flou ; la forme peut n’être qu’une simple esquisse, ébauche, idée.

La ACT Simulation Activité 3 : (Contextes), Formes → Comportement émergent

Il ne faut pas restreindre ici le terme de simulation à l’usage d’un modèle exécutable par des moyens informatiques. Il faut lui (re)donner sa signification en tant que cognition incluant toute forme de délibération basée sur un modèle [LM90], ici de la forme dans son ou ses contextes.

L’ ACT Évaluation Activité 4 : (Contextes), Comportement attendu ↔ Comportement émergent

Elle compare le comportement émergent issu d’une simulation de la ou des formes (activité 3) avec le comportement attendu (résultant de l’activité 2), et ainsi fournit des éléments d’aide à la décision pour statuer sur la validité de la solution (une contribution à la validation d’architecture).

Nous préférons adopter le terme de modification plutôt que celui de reformulation utilisé dans le FBS de J. Gero. Modification a un sens plus large et subsume les sens suivants :

• la reformulation : l’objet considéré n’est pas changé, mais il est exprimé, représenté, bref modélisé différemment ;

• l’évolution : l’objet qui était dans un certain état a changé pour atteindre un nouvel état, sans que pour autant nous soyons capables d’expliciter clairement ce qui est advenu lors de la transition ; • la transformation : l’atteinte d’un nouvel état de l’objet considéré est le résultat explicite d’une

opération, ou d’une succession ou d’un enchevêtrement d’opérations.

A

CT Mod. Forme,

Modification de la Forme

Activité 6 : (Contextes), Formes → Formes

La proposition courante est modifiée. Dans le cadre du FBS de J. Gero, cela se limitait à faire évoluer la forme afin mieux coller au comportement attendu. Ici, la modification de la forme peut revêtir différents aspects :

• une reformulation de la forme courante, c.-à-d. une nouvelle expression, peut-être plus précise, peut-être en changeant de perspective ;

• une reconsidération et une évolution de l’ensemble des formes, soit divergente (augmentation de la cardinalité des possibles), soit convergente (réduction de la cardinalité des possibles) ;

• une transformation de la forme, en la manipulant au travers d’opérateurs, expli- cites ou non.

A

CT Mod. Comp.,

Modification comportementale

Activité 7 : (Contextes), Formes → Comportement attendu

Sans changer les capacités, leurs effets ou le comportement attendu peuvent être modifiés relativement à la connaissance accrue de la forme. Par exemple, le recours à une technologie de reconnaissance vocale au niveau de la forme, pourra entraîner une modification de l’usage et du comportement de certains protagonistes impliqués dans la capacité, sans pour autant changer cette capacité.

A

CT Mod. Capa.,

Modification capacitaire

Activité 8 : (Contextes), Formes → Fonctions

En creusant notre connaissance de la forme, nous pouvons être amenés à remettre en cause les capacités que nous cherchons à fournir et ainsi les modifier. De nouveau, cette modification peut se traduire par différentes actions :

• une reformulation des capacités établies, et ce potentiellement suivant différents aspects (à titre d’exemple, évoquons une amélioration de la précision, ou une décomposition plus fine des capacités, un ordonnancement et un fractionnement temporel des capacités – capability planning –, raisonnement par incréments capacitaires. . . ) ;

• une évolution ou une transformation des capacités qui prendrait en compte cer- taines connaissances accumulées sur le travail de proposition ou de modification de la forme.

Une dernière activité était présente dans le FBS de J. Gero, la documentation. Nous la reprenons avec quelques modifications significatives. Nous le nommons ACT Description (Activité 5), et non documentation.

À la fois pour lui donner un sens plus large, et à la fois pour rallier la terminologie standard (la norme ISO/IEC/IEEE 42010 :2011 [ISO11] porte explicitement sur la description d’architecture). Cette description ne se restreint pas à une représentation de la forme, mais embrasse l’intégralité des entités manipulées pour l’élaboration de l’architecture, à savoir fonctions, comportements et formes, afin de donner à cette représentation toute l’intelligibilité possible.

Contextes Fonctions Formes Comportement attendu Comportement émergent 1 6 3 2 8 7 4 Description d’architecture 5

Figure 3.11: Paradigme simplifié (FB)2(C )2 : la description d’architecture