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3.3 Première bissociation : FCF ⊕ FBS

3.3.2 Paradigme augmenté

Ce premier paradigme recèle cependant encore certaines insuffisances. Deux nous apparaissent comme majeures. D’une part, l’établissement des fonctions ou des capacités est déjà le résultat d’une activité, elles ne se révèlent pas ex nihilo. Dans le FBS de J. Gero, une même activité, l’activité de formulation, permettait le passage des exigences vers les fonctions et puis vers le comportement attendu. Ici cela est peu probant. Premièrement cela suppose la constitution préalable d’une base d’exigences sur laquelle s’appuyer. Or, comme noté par J. Martin, l’architecture ne suit pas forcément causalement l’ingénierie des exigences [Mar16]12. Au contraire, la démarche architecturale peut alimenter et consolider la constitution de la base

12. Nous désignerons par ingénierie des exigences le processus de l’ingénierie système qui vise à établir une base d’exigences vérifiée, validée et justifiée pour l’objet d’intérêt.

d’exigences. D’autre part, toujours appuyé par J. Martin [Mar16], le terme d’exigences tel quel est trop flou : s’agit-il d’exigences posées par l’acquéreur, d’exigences système ? Deuxièmement, englober dans une même activité le passage de supposées exigences vers la détermination de fonctions ou de capacités, et le raffinement de ces fonctions ou capacités en un comportement attendu nous semble un raccourci rapide : elles sont de nature différente, véritable transformation d’un univers vers un autre dans un cas, raffinement et éclaircissement dans l’autre. D’autre part, définir le concept comme étant uniquement la transformation de la fonction en la forme nous paraît trop restrictif. Une des dérives serait de limiter la conception architecturale, et plus particulièrement l’élaboration de la forme à un simple jeu d’allocation des fonctions sur les éléments constitutifs de ladite forme. Cela restreindrait cette activité à être essentiellement analytique (en contradiction avec le terme choisi de J. Gero qui parle de synthèse !) et potentiellement faussement rationnelle13.

Pour pallier ces déficiences, une version augmentée du paradigme est élaborée, dénotée GC3FB2, pour

(Goal, Contexts, Concept, Capabilities, Forms, Expected Behaviour, Emergent Behaviour) (cf. figure 3.12).

Capacités Formes Contextes Comportement attendu Comportement émergent Concept d’incarnation immergées dans immergées dans explicitées

au travers de présentant des

comparaison ? But

déterminant

Concept

Architectural

Figure 3.12:Paradigme augmenté GC3FB2

Ce qui nous amène à cette nouvelle définition d’une architecture :

. Définition 3.8 [Architecture (paradigme augmenté)]

Une architecture est la détermination de capacités à atteindre, répondant à un but précis, explicitées au travers d’un comportement attendu, incarnées dans des formes présentant des comportements émergents, le tout dirigé et tenu par un concept, en considérant ses capacités et ses formes immergées dans les différents contextes relatifs à l’opportunité considérée.

13. Certain concepteurs pourraient avoir la tentation de se satisfaire d’une allocation, sans forcément avoir conscience qu’il s’agit d’une parmi toutes les allocations possibles ou explorer cet espace des possibles, et justifier ainsi leur architecture par la seule complétude de leur table d’allocation.

Le ONT But est ajouté comme élément externe (à l’architecte). Il désigne la finalité à atteindre, cette finalité étant détenue par des parties prenantes externes (le client, le sponsor, l’autorité détentrice. . . ). Il constitue donc l’intention impérative et le substrat de départ de la conception architecturale. Il nous semble essentiel d’extraire cet élément afin de lever l’ambiguïté qui subsistait dans le FBS de J. Gero sur le concept de fonction : finalité ou moyen ? (dit autrement réponse à la question « Pourquoi ? » ou réponse à la question « Pour quoi faire ? »)

La ONT Capacité est définitivement adoptée. Elle est déjà une première traduction de la finalité à at- teindre, et donc participe de la conception architecturale : pour atteindre le but, quelles capacités, ou quelle combinaison de capacités dois-je établir ? Ce côté capacitaire permet, nous semble-t-il, de mieux individualiser l’opportunité considérée, surtout en forçant sa contextualisation.

Exemple

:

le

p

ont

Reprenons l’exemple du pont. Sa traduction en terme fonctionnel (« Permettre aux personnes, aux véhicules, aux trains. . . de traverser d’un côté à l’autre ») est anonyme et générique. Elle est applicable à n’importe quel pont, sans avoir besoin de la particulariser ou la contextualiser. En revanche, la capacité pour les habitants de Malmö de venir travailler à Copenhague, ou réciproquement la capacité des Danois d’aller habiter à Malmö, le tout pour un prix de navettage abordable, ont permis d’atteindre un objectif de rééquilibrage économique et social, propre au contexte particulier où a été érigé le Øresundsbron.

Le concept est maintenant élargi. Il capture la fonction de transformation ou de passage qui part du

ONT But et qui va jusqu’à son incarnation dans des ONT Formes, en passant par les ONT Capacités, traduction

du but final assigné en des objectifs pour l’architecture, clarifié par des

ONT Comportements attendus. Il

prend maintenant le nom de ONT Concept architectural pour le distinguer. Le précédent concept, c.-à-d. la fonction de transfert de la fonction, ou plutôt des ONT Capacités aux ONT Formes, est conservé. Il saisit comment les capacités sont incarnées dans des formes, et à ce titre est renommé ONT Concept d’incarnation.

Exemple : le p rogramme Ap oll o

Avant même de s’en servir dans un cadre de conception architecturale, ce paradigme (le GC3FB2) peut tout simplement servir à révéler et communiquer l’architecture d’un système ou d’une entreprise existants ou passés. Illustrons cela avec le programme Apollo.

ONT But : Il donné de manière très claire par l’ancien président des États-Unis, John F. Kennedy,

lors de son célèbre discours à Rice University du 12 septembre 1962 : “[. . . ] we choose to go to the Moon in this decade and do the other things, not because they are easy, but because they are hard [. . . ] ” [Ken62].

ONT Contexte : Il prend ici diverses perspectives ou dimensions. Tout d’abord le, ou plutôt

les contextes physiques (les différents environnements auxquels la mission sera confrontée) : l’atmosphère (et ses différentes couches), le vide spatial, l’environnement lunaire. À cela, il faut également rajouter d’autres contextes, comme le contexte politique (guerre froide, courses à l’espace entre les deux blocs), le contexte scientifique et technologique (connaissances et retours d’expériences limités sur l’ingénierie des systèmes spatiaux, la vie de l’homme dans l’espace). •

ONT Capacité : À très haut niveau, nous pouvons condenser et déterminer les deux capacités

majeures : « Amener un homme (ou un équipage) sur la Lune » et « Le (ou les) ramener vivant(s) sur Terre ».

Exemple : le p rogramme Ap oll o(suite) •

ONT Forme : le programme Apollo est ce qui a permis de concrétiser le rêve américain édicté

par John F. Kennedy. La documentation relative à ce programme décrivant comment il a été constitué est pléthorique. Contentons-nous de mentionner que cela comprend de nombreux artéfacts (lanceurs, engins spatiaux, engins lunaires. . . ), des installations (dont entre autres le fameux Centre Spatial Kennedy – John F. Kennedy Space Center ou KSC – connu aussi sous la dénomination de Cape Canaveral).

ONT Comportement émergent : De nombreuses expériences, simulations et recherches ont été

conduites pour comprendre, aider à choisir les bonnes options et ainsi permettre la validation de l’architecture. Le mémorandum technique réalisé en 1996 lors d’un symposium [Man66] offre une synthèse et expose certains résultats.

ONT Concept architectural : Comme mentionné par E. Crawley durant un symposium de la NASA

[Cra09], le concept d’architecture tient (entre autres) dans la résolution de la contradiction, et donc du compromis entre masse (IMLEOa) et risque.

ONT Concept d’incarnation : En rupture avec les concepts initiaux proposés par W. von Braun et

par les Soviétiques (un seul engin spatial couvrant toutes les fonctions et effectuant l’intégralité de la mission), nous pouvons affirmer qu’ici le concept de concrétisation ou l’incarnation est modulaire. La solution est constituée de différents modules, chacun couvrant des aspects bien spécifiques de la mission :Command and Service Module,Lunar Module. . .

a. Initial Mass in Low Earth Orbit.

Comment les activités du précédent paradigme ((FB)2(C )2) sont-elles transposées ou modifiées dans ce paradigme augmenté (GC3FB2) ? L’adoption dans ce paradigme augmenté du concept de ONT Capacités, au détriment de celui de ONT Fonctions impose quelques mises à jour mineures dans le libellé des activités des bases. En revanche, l’incorporation d’un ONT Concept architectural qui s’étend tout le long, influe sur les différentes activités. Chaque activité s’effectue suivant le ou les concepts architecturaux courants, et l’activité elle-même va potentiellement modifier ou mettre à jour ce concept architectural.

Au passage, nous adoptons la vision ensembliste (set-based) pour les concepts de notre ontologie, c.- à-d. que pour chacun de ces concepts, la matière sur laquelle travaille le concepteur est un ensemble de possibles ou d’alternatives, et non un seul objet.

Contextes Capacités Formes Comportement attendu Comportement émergent 1 6 3 2 8 7 4 But 9 Concept d’architecture Description d’architecture 5

A

CT Clarification Activité 1 :

({Contexte}, {Conceptarchitecture}), {Capacité}

→ {Comportement attendu}, {Conceptarchitecture}

A

CT Proposition Activité 2 :

({Contexte}, {Conceptarchitecture}), {Comportement attendu}

→ {Forme}, {Conceptarchitecture}

A

CT Simulation Activité 3 :

{Contexte}, {Forme} → {Comportement émergent}

A

CT Évaluation Activité 4 :

{Contexte}, {Comportement attendu} ↔ {Contexte}, {Comportement émergent}

A

CT Description Activité 5 :

({Contexte}, But, {Conceptarchitecture}, {Capacité}, {Comportement attendu}, {Forme}, {Comportement émergent}) → Description

A

CT Mod. Forme Activité 6 :

({Contexte}, {Conceptarchitecture}), {Forme} → {Forme}, {Conceptarchitecture}

A

CT Mod. Comp. Activité 7 :

({Contexte}, {Conceptarchitecture}), {Forme}

→ {Comportement attendu}, {Conceptarchitecture}

A

CT Mod. Capa. Activité 8 :

({Contexte}, {Conceptarchitecture}), {Forme} → {Capacité}, {Conceptarchitecture} L’élargissement des entités de l’ontologie de base se traduit par une augmentation des activités de base. En particulier :

A

CT Détermination Activité 9 :

({Contexte}, {Conceptarchitecture}), But{Capacité}, {Conceptarchitecture} Cela consiste à identifier et sélectionner les capacités, voire à les ordonnancer tem- porellement, et ainsi cadrer les objectifs capacitaires de l’architecture. La littérature évoque souvent les termes d’analyse capacitaire. Nous avons volontairement évacué ce terme d’analyse, cette activité ne se bornant pas à découper, ou à parcelliser le but ultime en une énumération de capacités.

Avec ce paradigme augmenté (GC3FB2) nous avons atteint un stade plus complet, mais encore insa- tisfaisant. Plusieurs manques viennent l’entacher :

• une meilleure prise en compte du contexte (il n’y a pas d’activité pour le capturer ou le faire évoluer) ; • une meilleure prise en compte du temps et l’enchaînement des différentes activités. Nous disposons d’une panoplie d’activités, mais il y a bien peu d’indications sur comment les enchaîner et comment faire converger l’ensemble vers une bonne solution.

L’étude du paradigme proposé par D. Claeys va élargir notre vision dun paradigme de la conception architec- turale, nous apporter des réponses aux manques identifiées, et ainsi permettre d’enclencher une deuxième bissociation qui aboutira à notre proposition finalisée de paradigme de la conception architecturale des systèmes artificiels complexes.