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2.4 Viser un paradigme de la conception architecturale

2.4.1 Des défis

La nécessité de particulariser l’architecture de l’ingénierie dans le cas de systèmes artificiels complexes, et d’adopter une démarche de conception architecturale avec les modes de raisonnements appropriés apparaît plus notoire et plus motivée. En revanche la jeunesse de ce domaine, non encore une discipline, pose un certain nombre de défis pour répondre à ce besoin de manière opérante. Balayons-en les principaux.

Fondements De par l’absence de fondements ontologique et épistémologique, l’architecture des systèmes artificiels complexes se saurait prétendre à être une discipline.

Faiblesse de la recherche

Comme évoqué par C. Eckert et M. Jankovic [EJ16], ce domaine ne bénéficie pas encore d’une recherche structurée ou de résultats scientifiques probants.

Manque de formation

À part l’institut CESAMES4 offrant une formation professionnelle certifiée RNCP, il n’existe pas à notre connaissance de filières en France formant à l’architecture des systèmes complexes. Ceci est à mettre en contraste du domaine du bâtiment où depuis longtemps nous trouvons des formations et des parcours à la fois professionnels et universitaires séparés entre des écoles ou universités de génie civil et d’architecture. Limitations des

mécanismes de bases

Les démarches de conception architecturale semblent être toutes basées sur deux mécanismes fondamentaux, à savoir la décomposition et l’allocation. Restreignons l’examen de la pléthore de proposition de démarches à celles issues de notre pays. A.

Faisandier est sans doute un des premiers en France à avoir formalisé une démarche de conception architecturale [Fai13]. Elle est basée entre autres sur ces deux méca- nismes principaux. D’autres lui ont emboîté le pas [Kro17, Voi18], et leurs démarches s’appuient également pour une grande part sur ces deux mécanismes.

Ces mécanismes pour opérants qu’ils soient semblent être limités, voire réducteurs pour affronter la complexité. Dès les années soixante-dix, C. Alexander dans un célèbre article, A city is not a tree [Ale66], évoque la côté réducteur de ces mécanismes. P. Vermaas fera plus tard une critique, montrant les difficultés sur le plan épistémologique à considérer les sous-fonctions comme des parties d’une fonction [Ver13], fragilisant ainsi les démarches de conception basée sur la soi-disant décomposition fonctionnelle. Émergence Du coup, bien souvent le concept d’émergence semble être passé par pertes et pro- fits. La posture analytique qui considère que l’on peut découper les fonctions ou les comportements pour les répartir ou les allouer sur des constituants semble ignorer le principe d’émergence. Un comportement (ou une caractéristique) émergent étant le résultat des interactions et de l’organisation entre les constituants, et non pas seule- ment des comportements (ou caractéristiques) unitaires, la seule allocation ne peut tenir lieu de mécanisme pour viser les bonnes émergences de nos systèmes complexes. Ainsi c’est par la composition ou la structuration des éléments entre eux (une des définitions réduites de l’architecture, cf. section 2.2.1 page 55) que l’on obtient les comportements émergents.

Modes de raisonnement et postures

inappropriés

Nous avons vu que les modes de raisonnement et les postures de l’architecture diffèrent de ceux de l’ingénierie. Nos architectes de systèmes complexes en herbe, majoritaire- ment recrutés dans la population d’ingénieurs, y sont-ils prêts ? D. Claeys, dans un article au nom évocateur, Concevoir un projet d’architecture. Calmer les certitudes, gérer l’incertitude [Cla15] nous interpelle de la sorte :

« Ce qui est découvert par le concepteur n’est pas le résultat de la simple application de savoirs disciplinaires, mais implique la capacité du concepteur à interpréter des traces et des signes. Il doit être capable de garder son esprit disponible pour respectivement percevoir, questionner, interpréter, comprendre et exploiter les données surprenantes et déroutantes qui font irruption dans le processus de projetation. »

Pauvreté des représentations et des vues

La norme ISO/IEC/IEEE 42010:2011 [ISO11] pose la notion de vues et de points de vue permettant un large éventail de représentations. Son utilité est de servir de support à la représentation et au partage d’une préoccupation (concern) d’une ou plusieurs parties prenantes. La traduction dans les cadres standards (cadres d’architectures), dans les démarches et dans les systèmes de représentation (SysML, Arcadia, LML. . . ) de cette idée est souvent très restreinte à quelques points de vue très particuliers. Parmi les points souvent oubliés, nous pouvons citer :

• les décisions prises, leur ordre causal, les justifications associées ;

• certaines caractéristiques particulières comme les menaces, les vulnérabilités, le coût. . . ;

• les alternatives, les incertitudes, les contradictions. . . ; • la narration de l’élaboration de l’architecture ;

• la narration de la transformation envisagée pour passer de la situation courante à la ou les situations futures envisagées ;

Incorporation du temps

En évoquant l’idée de narration précédemment, nous pouvons observer que la plupart des représentations, et la plupart des techniques ou méthodes dites de conception architecturale travaillent sur des instantanées, c.-à-d. une vue à un instant précis. Pour user d’une analogie, elles privilégient la photo au cinéma.

Invention et création

Beaucoup d’aspects concernant l’architecture sont identifiés et décrits dans les stan- dards ou les documents de référence : l’architecture se doit d’être gérée, gouvernée, décrite, évaluée, etc. En revanche, la partie qui voudrait que l’on crée ou l’on invente une architecte est souvent négligée, d’autant plus qu’il s’agit d’imaginer des alterna- tives d’architectures : comment les générons-nous ? comment y accédons-nous ? Peu de place à la

perception

Les démarches actuelles se focalisent assez peu sur la partie perceptive de la situation courante et du monde réel (c.-à-d. celui dans lequel se déroulent les opérations et dans lequel se situent les parties prenantes, clients, usagers et autres, bénéficiaires potentiels des propositions architecturales).

Peu de place à l’architecte lui-même

La plupart des démarches tentent de rationaliser et de mécaniser la démarche architec- turale, se plaçant dans le cas deux des caricatures de Jones [Jon69] (cf. section 1.3.1 page 18). Elles en oublient du coup la dépendance à l’architecte lui-même colorant toute proposition par sa présence même (ses connaissances, ses émotions, sa percep- tion. . . ) et influant et rétroagissant sur la démarche elle-même.