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CHAPITRE V : Economie et Politique urbaine

2. Symbolique du domaine public.

Dans cette communauté, il est quelques impératifs pour conserver à la constitution sa stabilité; ceux d ’une expression symbolique au sens propre:

(77) " Il convient encore que les magistrats, a leur entrée en charge, offrent des sacrifices grandioses ou érigent quelque édifice public de façon que le peuple, ayant sa place dans les banquets et voyant la ville décorée d'offrandes votives et d'édifices, voit aussi sans dé­ plaisir la constitution garder sa stabilité, sans compter qu'ainsi les notables laisseront des souvenirs rappelant leurs largesses."

POLITIQUE, VI, 8. 1321 a.

... Ceux d ’un maintien en l'état du domaine public:

(78) " Une autre charge...est celle qui concerne la surveillance des propriétés publiques et des propriétés privées dans la cité même, pour y faire régner le bon ordre et assurer la conservation et la réparation des édifices menaçant ruine ainsi que des routes, maintenir les bornes qui séparent entre elles les propriétés de façon à prévenir les con­ testations et remplir toutes autres obligations analogues à celles-là. On donne la plupart du temps le nom d'astynomie à la magistrature que nous venons de décrire, mais elle se divise en plusieurs branches, qui, dans les Etats à population nombreuse, sont confiées chacune à un

préposé différent, tels que les inspecteurs des fortifications ( Teu- kopoiôn), intendants du service des eaux, gardiens des ports."

POLITIQUE, VI, 8. 1321 b.

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" gardien de l'espace ", assurant une fonction de police: maintenir l'ordre des édifices publics tels qu'ils doivent être, tout comme on maintient la paix civile. Pour répondre aux exigences communautaires, l'espace doit être contrôlé, pour se conformer aux exigences de 1'idéal politique.

Mais - autre séparation - la gestion des édifices sacrés regarde une " autre " administration, dont on ne sait si elle délègue ou non ses pouvoirs à quelque spécialiste de l'espace:

(79) " Mais une autre espèce d'administration est celle qui regarde le culte des Dieux: prêtres et préposés pour tout ce qui intéresse les édifices sacrés, a savoir conservation des constructions existantes en même temps que réparation de celles qui tombent en ruine et pour toutes les autres choses affectées au service des Dieux.'1

POLITIQUE, VI, 8. 1322 b.

Ainsi, de la critique du système hippodamien jusqu'à la définition des conditions nécessaires pour dire l'unité de la cité, il apparaît bien qu'Aristote affirme l'institution politique cornue première, qu'il s'agisse des relations entre les hommes ou de la définition des fonctions ^ politiques nécessaires. Pourtant, fait étrange, certaines magistratures se définissent d'abord par une façon déterminée d'occuper l'espace et d'en être responsable.

Aussi bien pour le domaine public que pour le domaine sacré, les fonc­ tions de police sont d'abord celles de la conservation et de la répara­ tion des édifices. Le maintien en l'état des affaires publiques ou communes supposent d'abord le maintien de l'état des lieux.

Il y a apparemment ici une contradiction. Si l'institution politique est bel et bien première, dès lors que 1 'on"tiendrait" l'espace poli­ tique, l'espace architectural se verrait conséquemment " tenu ". Or la fonction de conservation de l'espace paraît relever d'un autre ordre: comme si elle garantissait dans une mesure certaine la fonc­ tion politique . L'ordre de l'espace architectural ou urbain paraît bien être celui qui obéit à une fonction symbolique: conserver les

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édifices en l'état, c'est assurer de l'Etat la pérennité, en une manière de témoignage.

Ainsi, la cité ( politique ) est la fin, donc ce qui fonde la logique politique, mais une fin qui se garantit du maintien en l'état de l'espace de son déploiement.

L'espace est comme une matière que l'institution politique se doit de travailler :

(80) " Ainsi devons-nous préalablement poser à la base ( de la cons­ titution idéale ) un grand nombre de conditions conformes en quelque sorte à ce que nous souhaitons, sans toutefois qu'aucune d'elles soit irréalisable. J'entends par exemple ce qui a rapport à la fois au nombre des citoyens et au territoire. De même, en effet, que les au­

tres artisans..., ainsi en est-il de l'homme d'Etat et du législateur: ils doivent disposer d'une matière qui soit appropriée à leur oeuvre. Et parmi les matériaux nécessaires à un homme d'Etat, vient au premier rang le nombre des citoyens... On se posera la même question pour le territoire: quelles seront a la fois son étendue et sa nature parti­ culières ? " POLITIQUE, VII, 4. 1326 a.

Après avoir fixé la population optimale dans l'Etat idéal, qui est fortement tributaire de ce qu'il " est indispensable que les citoyens se connaissent entre eux et sachent ce qu'ils sont ", Aristote en vient donc à la question du territoire :

(81) ” Son étendue et sa grandeur doivent être telles que les habitants puissent mener une vie de loisirs à la fois libérale et tempérante...

Par ailleurs, " un territoire aisé à embrasser d'un seul coup d'oeil

l

étant un territoire facile à défendre. Quant à l'emplacement de la vil­ le principale, si l'on veut lui donner une position répondant à nos voeux, il convient de l'établir dans une position favorable aussi bien par rapport à la mer que par rapport à la terre. Une première norme est celle que nous avions indiquée ( il est indispensable en effet, qu'en vue de leur porter secours, la ville soit en communication avec

toutes les parties du territoire sans exception); l'autre règle, c'est que la cité offre des facilités de transport en vue d'y faire entrer

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les produits du sol, ainsi que les bois de construction, et, le cas échéant, les matériaux pour quelque autre sorte d'industrie que la contrée se trouve posséder." POLITIQUE, VII, 6. 1327 a.

Concernant l'existence ou non d'un port, Aristote reprend à son compte dans un premier temps, les critiques formulées par Platon ( Critias, Les Lois ): allées et venues d'une foule de trafiquants, excès de po­ pulation. Mais c'est aussitôt pour les tempérer: la logique économique oblige l'Etat à nourrir un commerce extérieur. Ainsi, le port,

comme dans le Critias, doit être en liaison avec la ville sans se con­ fondre avec elle:

(82) " Mais, même de nos jours, nous voyons nombre de territoires et de cités pourvus de lieux de mouillage et de ports convenablement si­ tués par rapport à la ville, de façon que, tout en n'ayant pas leur siège dans la ville même, ces installations n'en sont pas cependant trop éloignées mais sont maintenues dans une étroite dépendance par des remparts et autres travaux de défense analogues : dans ces condi­ tions, il est manifeste que si la communication d'une ville avec un port est susceptible d'entrainer un avantage quelconque, cet avantage sera assuré à la cité ainsi aménagée.. POLITIQUE, VII, 6. 1327 a.

Néanmoins, il ne faut pas confondre les conditions et la fin :

(83) " Mais puisque les conditions sans lesquelles le tout n'existerait pas ne sont pas forcément des parties du composé total, il est évident qu'on ne doit pas non plus considérer comme des parties d'un Etat tout ce qui est nécessaire à l'existence des cités..."

Réaffirmation de l'autonomie de l'institution politique :

" Pas plus qu'on ne le doit pour toute autre sorte d'union d'où résulte quelque unité générique ( car il doit y avoir quelque chose d'un, de commun et d'identique pour les associés, qui puisse faire l'objet d'une participation de leur part, soit égale, soit inégale : ce sera par exemple, ou une certaine étendue de terre , ou quelque autre chose de cette sorte). Mais quand de deux choses en présence, 1 'une est un moyen et l'autre une fin , il n'y a rien entre elles qui soit commun, si ce n'est pour l'une d'agir et de l'autre pour recevoir l'action:

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telle est par exemple la relation existant entre un instrument quelcon­ que ( ou les"fabricateurs"- demiurgos- qui s'en servent) et l'oeuvre réalisée, car entre une maison et son constructeur- oikodomikos - il n'y a rien qui devienne commun, mais 1 'art du constructeur existe en vue de la maison . " POLITIQUE, VII, 8. 1328 a.

Métaphore qui prend rigoureusement à contre-pied. Car l'étendue de la terre n'est que l'instrument de la constitution idéale, qui est elle-même l'oeuvre réalisée. Or la métaphore indique ici l'idée d'un espace qui est la fin d'un art. C'est que, ne l'oublions pas,

l'architecture est poiesis, non la politique. Cette métaphore désigne seulement ici l'édification, la menée à bien d'un projet, avec ses conditions nécessaires.

Ainsi de la propriété pour l'Etat :

(84) " Pour cette raison, bien que les Etats aient besoin du droit de propriété pour exister, la propriété n'est nullement une partie de l'Etat..." POLITIQUE, VII, 8. 1328 a.

Si l'étendue de terre est instrument, la constitution que propose Aristote vient la qualifier. L'emprunt est ici plus qu'évident à la description platonicienne de la cité idéale des " Lois " :

(85) " Il est par suite nécessaire que la terre soit divisée en deux parties, dont l'une constitue le domaine public et l'autre le domaine des particuliers ; et chacun de ces domaines sera à son tour subdivisé en deux. Le domaine public comprendra la portion affectée aux charges du culte, et l'autre destinée aux frais des repas en commun.

Le domaine des particuliers de son côté, comprendra deux portions, l'une située au voisinage de la frontière, et l'autre aux abords de la ville, de manière que deux lots étant assignés à chaque citoyen, tous aient des intérêts dans les deux endroits. Pareille répartition respecte a la fois l'égalité et la justice, et tend à réaliser une plus étroite concorde dans les guerres contre les peuples voisins." POLITIQUE, VII, 10. 1330 a.

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Notons qu'à la différence de Platon et d'Hippodamos, la cité idéale ici décrite considère " la portion affectée aux charges du culte " comme une simple subdivision du domaine public, lequel se définit ainsi d'un double statut : collectif et religieux.