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Chapitre III. Le lieu propre

2. Ce qu'il en est du lieu

(33) " Il détermine en effet le mouvement des corps: dans la nature en effet, chaque détermination est définie absolument: le haut n'est pas n'importe quoi mais le lieu où le feu et le léger sont transportés, de même le bas n'est pas n'importe quoi mais le lieu où les choses pesantes et terreuses sont transportées." PHYSIQUE IV, 208 b, 8 .

(34) " La puissance du lieu est prodigieuse et prime tout, car ce sans quoi nulle autre chose n'existe est premier nécessairement. Il existe sans les choses puisqu'il n'est pas supprimé quand ce qui est en lui est détruit." PHYSIQUE IV, 208 b, 22.

L'espace en revanche n'est qu'objet de pensée:

(35) " Les objets mathématiques sont dans un espace , mais non dans un lieu." PHYSIQUE IV, 208 b, 22 .

Le lieu est donc un élément naturel, et, comme la nature, impose sa finalité.

3. La limite .

Le lieu n'est ni forme, ni matière, ni intervalle: il est limite. Il n'est pas la forme de la chose car:

(36) " Les extrémités de ce qui enveloppe et du corps enveloppant sont les mêmes. Assurément donc, ce sont là deux limites, mais non du même être. La forme est limite de la chose, et le lieu, du corps enveloppant ."

PHYSIQUE IV 211 a.

Il n'est pas matière car:

(37) " la matière n'est pas séparable de la chose ni de l'enveloppe, ce qui sont les deux caractères du lieu."

PHYSIQUE IV 212 a.

Il n'est pas intervalle car:

(38) " Si l'intervalle, pris en soi, était capable d'exister en soi et de subsister par soi-même, les lieux seraient infinis."

..." Quand on verse l'eau d'un vase, le corps enveloppé par le vase est rem­ placé par l'air, mais toutes les parties de l'air feront dans le vase ce que

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faisait toute l'eau dans le vase."

..." Ainsi le lieu est bien seulement la limite du corps enveloppant. Le corps enveloppé étant celui qui est mobile par transport."

" Le lieu veut être immobile , aussi bien un navire qui est en mouvement sur un fleuve a pour lieu le fleuve dans son ensemble, parce que le fleuve pris dans son entier est immobile. C'est un vase qu'on ne peut mouvoir."

" La limite immobile immédiate de l'enveloppe, tel est le lieu." PHYSIQUE 212 a 20.

( 39) " Conséquence : le lieu paraît être comme un vase: une enveloppe. En outre le lieu est avec la chose car avec le limité, la limite."

PHYSIQUE 212 a 28 .

Cette théorie du lieu aristotélicien nous importe car elle définit d'une part le lieu comme naturel, existant et d'autre part celui-ci se trouve alors aller avec les corps qui se meuvent et ne peut être perçu sans eux.

La définition du lieu comme limite implique aussi l'existence de plusieurs lieux, qui sont tous enveloppés eux-mêmes par l'univers, le tout, qui n'a rien qui l'enveloppe lui-même.

Le monde se limite lui-même, il est le lieu absolu.

De même que la cité est le lieu naturel, absolu, le tout des lieux singuliers qui sont limites des actions naturelles des différentes fonctions de l'hom­ me.

Comme le lieu absolu, la cité a sa fin en elle-même, et c'est cette fin qui est cause des parties qui la forment.

Elle est limite absolue des limites partielles des corps qui la composent. Cette définition donnée dans le politique convient à la fois à la cité comme fin et lieu naturel et à la nature en général: c'est ainsi en effet que les choses sont réparties dans la nature en vertu des fins de la nature elle-même.

Il en vient une conséquence non négligeable, c'est que toutes les actions entreprises au sein de la cité par quelqu'artisan ( un architecte, par exemple) et qui ne se rapporteraient pas à la cause finale seraient des

accidents, et en quelque manière " des monstres

Car elles ne se rapporteraient pas à leur fin naturelle et ne prendraient place dans aucun lieu.

(40) " Si un corps a avec lui un corps qui l'enveloppe, il est dans un lieu, sinon, non ."

PHYSIQUE IV 212 a 28 .

Un corps, comme un bâtiment, doit donc pour être dans un lieu avoir comme limite l'enveloppe totale, soit ici: la cité.

Cette condition nécessaire entraine une classification des oeuvres: ou elles sont nécessaires ( autrement dit entreprises suivant la cause finale ) ou elles sont des erreurs ( de la nature ou de l'art). Car il en est de l'art comme de la nature. Les mêmes fins lui sont attribuées, et à y échapper, il errerait:

(41) " Il y a aussi des fautes dans les choses artificiellest il arrive au grammairien d'écrire incorrectement, au médecin d'administrer sa potion mal à propos...Si donc il y a certaines choses artificielles où ce qui est cor­ recte est déterminé par rapport à sa fin, tandis que les parties fautives ont bien été entreprises en vue d'une fin, mais ont été marquées, de même en est-il pour les choses naturelles et les monstres sont des erreurs de la finalité. "

PHYSIQUE II 199 b.

Et la finalité n'est pas un objet de délibérations; elle s'impose absolu­ ment :

(42) " Voyez l'art: il ne délibère pas. Si l'art de construire des vaisseaux était dans le bois ( qui aurait ainsi sa finalité déterminée) il agirait comme la nature . Le meilleur exemple est l'homme qui se guérit lui-même: la nature lui ressemble."

PHYSIQUE II 199b .

Et pour terminer avec cette finalité qu'impose le lieu naturel, dans un chapitre où il s'agit de reconnaitre de quelle nécessité - hypothétique ou absolue - se soutient la nature ( phusis ), la comparaison qui vient sous la plume d'Aristote est celle de la maison.

(43) " Les philosophes ( ceux qu'Aristote critique ) jugent que le mur se produit nécessairement parce que les graves sont transportés naturellement vers le bas et les légers vers la surface; ainsi les pierres et les fonde­ ments en bas, la terre en haut, par légèreté, et le bois tout à fait à la surface: en effet c'est le plus léger.

La vérité, cependant, est que sans cela, la génération de la maison n'aurait pas lieu, mais elle n'a pas lieu par cela, mais en vue de couvrir et de con­ server... Partout ailleurs aussi, les choses ne sont pas sans les conditions nécessaires, mais ce n'est pas par ces conditions qu'elles existent mais par leurs fins ."

PHYSIQUE II 200 a.

Que le lien soit ainsi une limite, et provoque une série d'enveloppements voilà qui n'est pas pour surprendre, puisqu'aussi bien le lien ( la philia ) est ce qui réunit en séparant.

La séparation : la limite est aussi protection contre l'indéfini ou l'infi­ ni: cette forme de chaos où tout est indistinct. Elle permet le rassemble­ ment et le promeut contre la dissémination laquelle est la forme archaïque de la société.

Cette notion est une des grandes figures de la pensée grecque et se pense comme défense contre 1 'apeiron ( l'ouvert, le non-fini, le non-formé). Elle a son efficacité pleine dans la pensée modélisante de l'urbanisme; en tant que pensée modélisante, sa figuration concrète est le cercle. C'est par le cercle ( ou la sphère ) que se définit le grand tout, l'uni­ vers, dont les limites partielles qui enveloppent les corps sublunaires ne sont jamais que la répétition.

La limite fait ainsi lien avec le monde, ce que nous dit fort bien Aristote au livre IV de sa Physique :

( 44) " A la vérité, les parties d'un tout se mouvront. Elles s'enveloppent mutuellement. Mais le tout, s'il se meut en un sens, en un autre non. En

tant que tout en effet, il ne change pas de.lieu, mais il se mouvra en cercle... Car tel est le lieu qu'il faut attribuer aux parties...

Le ciel n'est pas quelque part ou en un certain lieu. Le tout n'est pas quelque part: à côté du tout de l'univers, il n'y a rien en dehors du tout,

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car le ciel est le tout.

Or le lieu, ce n'est pas le ciel, c'est 1'extrémité du ciel qui est en contact ( symphise ) avec le corps mobile, comme limite immobile." PHYSIQUE IV 5.

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Chapitre IV. La Ville .