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CHAPITRE V : Economie et Politique urbaine

1. Hippodamos et Aristote.

Cette question du centre, en tant qu'elle spécifie la qualité d'être " propre " du lieu, intéresse bien sûr architectes et concepteurs de la ville. Hippodamos de Milet, ( 480-420), un siècle avant Platon

traite aussi de la ville de façon beaucoup plus pragmatique; la médiation organique et anthropomorphique en assure l'évidence.

Aristote nous le décrit, insistant sur le caractère contradictoire du projet politique hippodamien. Tout d'abord, un jugement sur l'homme :

(71) " il mena par ailleurs une vie passablement originale par amour de la gloriole, au point de donner à certains l'impression de vivre avec trop d'affection, en raison à la fois de sa chevelure trop abondante et de ses somptueux bijoux; portant avec cela des vêtements simples mais chauds, non seulement en hiver mais encore pendant la période d'été, et ayant enfin la prétention d'être capable de raisonner sur la nature entière... " POLITIQUE, II, 8, 1267 b.

Puis description lapidaire du projet urbain :

f72) " C'est lui qui inventa de diviser les villes en quartiers et décou­

pa le Pirée en rues... Ils composait sa cité d'une population totale de 10000 habitants, divisée en trois classes: une première classe

était formée d'artisans, une seconde de laboureurs, et une 3ème de ceux qui combattent pour le pays et portent les armes. Il divisait aussi le territoire en trois parts, l'une sacrée, la seconde publique, et la troisième privée : le domaine sacré était destiné à assurer les tradi­ tionnelles offrandes aux dieux; le domaine public servait à l'entretien des guerriers : le domaine privé, enfin, était laissé en propre aux labou-

" POLITIQUE, II, 8. 1267 b. reurs...

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Le système se pense sous l'égide de la démocratie, puisque

(73) ” tous les magistrats étaient soumis à l'élection par le peuple; et Hippodamos entendait par peuple l'ensemble des trois classes de la cité." (1268 a) .

Et Aristote aussitôt de relever un certain nombre de contradiction, en particulier entre la sphère politique et la sphère économique. D'abord, les classes sont inégales ( les guerriers sont plus forts que les au­ tres; les magistrats sont tous issus de cette classe)- D'où,comment attacher laboureurs et artisans aux institutions ? Et pourquoi associer les laboureurs à la cité dans la mesure où ils ne visent que leurs in­ térêts particuliers dans leur travail ? ( puisqu'ils ne s'occupent pas du domaine public, que les guerriers doivent eux-mêmes cultiver, ce qui transforme - autre contradiction - les guerriers en laboureurs).

Hippodamos de Milet ( Vème siècle ) est tout à la fois hydraulicien, météorologue, astronome et géomètre. Aussi bien sa ville de Milet ( dé­ truite par une invasion Perse, entre 478 et 466 et devant être recons­ truite ) se doit d'obéir à une visée harmonique. Il s'agit de penser la ville dans sa globalité ( respectant par là la nécessité du lien ), devant avoir une certaine autonomie et recevoir toutes les fonctions d'une ville . Mais en même temps, JP. Vernant (W) le souligne, Hippoda­ mos hérite d'une tradition Attique de l'isonomie, égalité de tous vis à vis du Centre, lequel reste le Foyer commun, l'Omphalos de la Cité Nouvelle, lieu de synthèse possible de la communauté.

Deux types de découpages en sont issus, comme le souligne Aristote : l'un regarde la question du Centre et de la périphérie, définissant une topologie des domaines sacrés, publics, et religieux; l'autre regarde la question de l'économie de la Cité, définissant une topologie répon­ dant aux trois classes sociales.

Enfin, comme le remarque R. Martin (11), apparaît la nécessité de bâ­ tir une enceinte tant pour clore la ville que pour la défendre.

La ville ainsi constituée ne peut en effet croître: elle repose sur l'é­ quilibre de ses parties - lesquelles sont néanmoins surdéterminées par une " raison " gémètrique: elles sont subdivisées en ilôts réguliers, dont les mesures d'une partie à l'autre semblent inchangées.

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Apparaissent ainsi dans le modèle politique les quartiers qui bien que dans des situations géométriques comparables n'ont plus ni la même va­ leur ni la même signification, venant ainsi délier l'univers de la " polis " de celui du cosmos.

Comme si l'économie venait rompre le lien, même si elle se pense avant tout dans un projet harmonique .

Retenons enfin que l'ilôt comme unité urbaine fait son apparition en théorie ( il existe auparavant ) pour caractériser la sphère du par­ ticulier. La position centrale des domaines publics et sacrés se re­ double ( comme pour Platon plus tard ) de spécifications monumentales, quant à l'échelle seulement. ( Nous n'avons rien sur la qualité et l'or nementation des espaces.)

Mais à la différence qu'ici le particulier n'est pas l'objet d'une dé­ valorisation. Il entre dans un ordre, dans une logique de l'unité de la cité. Il ne vient pas la contrarier.

Critique des contradictions générées par ce système, sur les rapports entre classes, et entre les particuliers dans la sphère de l'économie, Aristote cherche ailleurs une définition de l'Etat légitime:

(73) " Assurément la façon d'examiner le problème qui se présente le premier à l'esprit, ce serait de s'attacher uniquement au territoire et à ses habitants : car il peut se faire que le territoire et la popu­ lation aient été dissociés, et qu'un certain nombre d'habitants vivent en un endroit, et d'autres en un autre."

POLITIQUE, III, 3. 1276 a.

Ainsi on ne peut établir de corrélation directe entre l'unité de l'E­ tat et l'agglomération sur un territoire :

(74) ..." dans l'hypothèse d'une collectivité habitant le même terri­ toire, quand doit-on considérer que la cité est une ? L'unité d'une ville ne tient certainement pas à ses remparts, car on pourrait entou­ rer le Péloponèse d'une seule muraille."

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A la différence de Platon, on a ici un découplage entre l'espace ( ou le territoire ) et l'unité de l'Etat réel. Il n'en reste pas moins qu'un Etat idéal se doit d'intégrer " l'étendue " dans sa définition:

(75) "...Tel est peut-être le cas pour Babylone, et pour toute cité possédant le périmètre d'une nation plutôt que d'une cité: du moins raconte-t-on que trois jours après la prise de Babylone, tout un quar­ tier de la ville ignorait encore 1'évènement.(...) Car en ce qui con­ cerne les dimensions de la cité, l'homme politique ne doit pas perdre de vue quelle étendue est pour elle la plus avantageuse..."

IDEM.

L'unité de l'Etat implique une qualification particulière des relations de voisinages:

(75) " Supposons en effet qu'on réunisse en un seul les territoires de deux cités, Mégare et Corinthe par exemple, de façon que leurs murail­ les forment une enceinte continue : il n'y aurait pas pour autant une seule cité, même si les habitants s'alliaient entre eux par le maria­ ge... s'ils n'ont néanmoins d'autres rapports entre eux que ceux qui résultent d'opérations telles que le troc ou une alliance défensive, ce ne sera pas encore là un Etat. Quelle en est donc la cause ? Ce n'est sûrement pas parce que leur communauté est dispersée...

On voit donc que la cité n'est pas une simple communauté de lieu, éta­ blie en vue d'empêcher les injustices réciproques et de favoriser les échanges..." POLITIQUE, III, 9. 1280 b.

Conditions nécessaires mais non suffisante :

(76) ” Mais l'Etat, c'est la communauté du bien-vivre et pour les groupements de famille, en vue d'une vie parfaite et qui se suffise à elle-même. Pourtant pareille communauté ne se réalisera que parmi ceux qui habitent un seul et même territoire et contractent mariage en­ tre eux.

De là sont nés dans les cités, à la fois relations de parenté, phra­ tries, sacrifices en commun et délassements de société. Or ces di­ verses formes de sociabilité sont l'oeuvre de l'amitié, car le choix délibéré de vivre endemble n'est autre chose que de l'amitié (la Phi-

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lia ). Ainsi, tandis que la fin de l'Etat est la vie de bonheur, ces diverses associations existent en vue de la fin."

IDEM.