• Aucun résultat trouvé

Nous avons choisi de finir notre étude par l’analyse de Survive On Mars, un des dispositifs gamifiés que nous avions décrit plus haut. Ce dispositif pédagogique synthétise nos différentes observations autour de l’entrée du jeu vidéo en classe, que ça soit autour des discours autour de ce jeu, ou de la pratique en cours. Nous l’avons déjà évoqué précédemment, mais rappelons que Survive On Mars est présenté comme un jeu sérieux numérique1, et dispose d’une surface médiatique importante2. Sur

le site internet officiel, nous pouvons d’ailleurs retrouver l’ensemble des distinctions reçues par le jeu3 ainsi que les multiples reportages qui lui sont consacrés.

Dans celui de France 2, Survive On Mars est même présenté comme un jeu vidéo conçu par des enseignants4. Par cette forte exposition médiatique, on peut supposer que Survive On Mars fait

figure de vitrine valorisante pour ces enseignants qui fonctionnent en réseau. En effet, Mélanie s’est engagée dans ce projet en échangeant sur les réseaux sociaux avec des collègues de sciences et vie de la terre, sa discipline, mais également de physique ou de technologie, enseignant aussi bien en lycée qu’en collège. S’estimant elle-même « pas très joueuse », elle donne comme première raison de son utilisation de Survive On Mars la rencontre avec d’autres enseignants, avec lesquelles elle voulait réaliser « des choses à faire en classe qui sortent un peu de l’ordinaire ». Survive On Mars est donc d’une part, le fruit d’une collaboration entre pairs désirant changer leurs pratiques pédagogiques, et d’autre part, une possibilité de se faire connaître au sein de son établissement et de

1 Supra, p.71-73.

2 Survive On Mars dispose d’un site internet (surviveonmars.portail-svt.com/), une page Facebook (https://www.facebook.com/SurviveonMars/) et un compte Twitter (https://twitter.com/survive_on_mars)

3 Prix Coup de Coeur à LUDOVIA 14, Août 2017, Prix académique de l’innovation 2017, Prix du jury au Forum des enseignants 2016, Finaliste à la Journée de l’innovation 2017 dans Dossier de presse – Contacts – Survive on Mars, consulté le 14 mai 2018, disponible sur http://surviveonmars.portail-svt.com/dossier-de-presse/

4 Survive On Mars – Reportage janvier 2017. Youtube, 15 janvier 2015, consulté le 6 mai 2018, disponible sur https://www.youtube.com/watch?v=yFEuWWEDt1A

la communauté éducative, ainsi que de s’ouvrir des possibilités d’évolutions de carrière. La séance de Mélanie commence avec la présentation vidéo de la mission. Pour cela, la configuration de la salle change : les élèves quittent leurs tables pour venir se placer autour du bureau de l’enseignante et devant le tableau sur lequel la vidéo est projetée.

Aussitôt terminée, elle reprend le contenu de la vidéo : « alors qui peut me réexpliquer la mission et

ce qu’il va falloir faire ? » Si la vidéo dure une minute et trente secondes, le débriefing prend

presque quatre minutes pour réexpliquer en détails chacune des étapes que les élèves vont devoir réalisées. Ce temps permet à Mélanie de vérifier si l’ensemble de la classe a compris les consignes, notamment la production d’un compte-rendu en fin de séance.

Le debriefing se termine avec la question d’un élève : « c’est noté ? » qui permet de rappeler à l’ensemble des personnes présentes que, si l’activité comporte un aspect ludique, le cadre scolaire, lui, n’est jamais loin. Ensuite, l’ensemble de la classe se répartit en groupes de 3 à 4 personnes afin de remplir leur mission.

Illustration 38: Survive On Mars : les élèves visionnent la vidéo expliquant l'objectif de la mission.

Quatre minutes après le début du travail en autonomie, Mélanie retourne voir certains groupes pour s’assurer de l’état de l’avancement du travail. Une élève demande : « madame, faut aller dans où

pour... » . Mélanie intervient alors pour leur indiquer les éléments interactifs du site Internet,

montrant ainsi que, si ce n’est pas leur première partie de Survive On Mars de l’année, leurs connaissances du plateau de jeu était encore partiels pour certains.

Chaque groupe parcourt ensuite les différentes parties de la base pour récolter des informations. De notre observation, il ressort que les élèves consultent progressivement des documents textuels, visuels ou sonores, sans toutefois prendre de notes.

Mélanie prend elle-même l’initiative d’aller voir ces groupes , sans demande de leur part: « ça va ?

Alors vous en êtes où ? ». Elle reviendra plus tard avec les mêmes questions, mais en reprenant

l’ensemble des étapes de leurs réflexions : « alors, la cause de la mutation c’est quoi ? (…)

Pourquoi vous hésitez entre ces deux pistes ? ». Certaines de ses interventions s’apparentent même

à des conseils : « Est-ce que vous êtes allés comparer la séquence des gênes ? (…) Vous devez les

comparer pour enrichir votre compte-rendu »

Ainsi, l’enseignante se montre très présente et nous rappelle ce que nous avions constaté précédemment dans la classe de Stéphane avec Minecraft : les élèves en jeu n’ont qu’une faible autonomie et les décisions qu’ils peuvent prendre dans le jeu sont régulièrement l’objet d’un recadrage de l’enseignante. Ici, nous reconnaissons les traits du « tutorial stimulation effect » décrit par Brian Sutton-Smith1. Par ce terme, il désigne la relation tissée entre l’enseignant et ses

élèves: «Ce n'est pas simplement/ seulement le fait de jouer qui permet l'évolution croissante des

compétences des enfants mais plutôt la nouvelle relation qui s'établit avec le tuteur». De fait, selon

lui, il est difficile de savoir qui du jeu ou de l’étayage de l’enseignant entraîne l’apprentissage. Après notre visite chez Mélanie, nous sommes plus affirmatifs sur la forte empreinte de l’enseignant dans la construction du savoir avec ses élèves. Cette constatation est d’ailleurs partagée par Antoine Taly, responsable du diplôme universitaire sur « Apprendre par le jeu » à l’université Paris Diderot, qui était également présent avec nous pendant la séance. En évoquant la solution de l’énigme, Antoine précise : « ils l’ont en discutant avec toi, pas à l’intérieur du jeu » .

Ainsi sommes-nous arrivés à la conclusion que Survive On Mars n’offrait que de peu de mécaniques ludiques, les élèves ne possédant pas ou peu de possibilités de décisions pendant l’activité. Pour améliorer Survive On Mars, Mélanie pense à intégrer : « Des QCM, de l’interaction,

du feed back, pour voir s’ils ont bien compris tel ou tel truc, que ça soit pas nécessaire à moi de passer » . Le questionnaire intégré au jeu est vu comme un moyen pour insérer de l’interactivité,

comme nous l’avions précédemment constaté avec Vivre au temps des châteaux forts, un serious

1 Notre traduction : « It is not the play alone that causes the upward change in the children’s competencies, it is, rather,

the new and special relationship with the tutor » in SUTTON-SMITH, Brian, op.cit, p.40.

game également produit au sein de l’institution.

De fait, nous pouvons clôturer notre tableau résumant les interrelations entre la forme scolaire et les jeux vidéo, en nous intéressant à leurs effets sur les interactions sociales :

Interactions culturelles

Critères de la forme scolaire Interactions entre la forme scolaire et le jeu vidéo

Relationnelles Relations asymétriques élèves/

enseignants/Parents

Relations entre pairs restreintes à certaines activités d’apprentissages

- Échanges entre élèves placés en groupe, souvent par contrainte matérielle.

- Forte présence de l’enseignant pendant la séance ludique : étayage, aide...

Sociales Respect des normes sociales en vigueur à l’école (règlement intérieur). Respect des statuts et des fonctions.

- Faible remise en cause de l’enseignant comme référence unique du savoir.

Les discours institutionnels et médiatiques voyaient en Survive On Mars un jeu numérique adapté à l’enseignement. L’observation de son utilisation nous emmène à une autre réalité comme Mélanie nous l’explique finalement en fin d’entretien :« c’est la confusion qu’il y a pu avoir à un moment

donné, au début on voyait « jeu vidéo Survive On Mars » non ce n’est pas un jeu vidéo , c’est un support pour les enseignants, c’est numérique etc…, mais c’est pas un jeu vidéo ça c’est sur... ».