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Le rapport au temps est ainsi central dans la problématique de la place qu’un enseignant donne au jeu dans sa séquence globale. Le temps de jeu était l’un des critères de Bugmann pour choisir Food Force dans son travail de recherche : « ce jeu est d’une durée de 45 minutes environ, ce qui

correspond à une séance d’une heure avec les élèves et rend possible son intégration dans des classes»1.

L’enseignant utilisant Stop à la violence!2 , un jeu de sensibilisation sur les situations de

harcèlements au collège, apporte un questionnement sur le rapport au temps qu’entraîne le jeu en classe :« Il a été constaté que le contexte de l'activité était peu propice à un usage optimal de la

ressource. » S’ensuit une explication de l’enseignant détaillant la contorsion que la contrainte

horaire l’a poussé à faire.

Ici, le temps a donc une influence sur la séance ludique.

Ainsi, il est étonnant de ne voir que de rares cas d’exploitations pédagogiques d’un jeu hors des murs de l’établissement, ce qui pourrait être une option pour résoudre cette course contre la montre. Pour « Envers et Contre tout », un jeu sur la condition de réfugié, le 3ème scénario est proposé comme « module d’approfondissement à la maison »3.

1 BUGMANN, Julien, op.cit, p.158.

2 Identifier les situations de harcèlement au CDI en collège, extrait du site « Apprendre avec le jeu numérique », op.cit, , publié le 15 septembre 2017, consulté le 12 mai 2018, disponible sur http://eduscol.education.fr/jeu- numerique/peda/1676

3 « Comprendre le statut de réfugié. Envers et contre-tout », extrait du site « Apprendre avec le jeu numérique. op.cit, publié le 14 septembre 2017, consulté le 10 mai 2018, disponible sur http://eduscol.education.fr/jeu- numerique/peda/388

Illustration 31: Extrait de la fiche pédagogique "Identifier les situations de harcèlement au collège"

Pour Poverty is not a game1, servant à introduire le chapitre sur la pauvreté dans le monde, les

élèves jouent, classiquement, en salle informatique, mais l’enseignant suggère également d’en faire un devoir maison. Or, le reste de la fiche ne traite que du jeu dans les murs de l’école.

Blossow Flowers, utilisé en classe de Gestion d’entreprise2, propose de sauvegarder en ligne sa

partie, ce qui permet, selon l’enseignant contributeur, aux élèves de poursuivre leur partie à la maison, « s’ils le souhaitent ».

Cependant, cette possibilité n’est pas toujours vue comme un atout. Dans le cadre de l’utilisation de « Réfugiés », un webdocumentaire produit par Arte nous mettant dans le rôle d’un journaliste devant enquêter dans des camps de migrants, l’enseignant peut renvoyer une partie de l’expérience à la maison pour deux raisons : «une première tient au fait que les élèves n'ont en moyenne que 2h de

cours d’histoire-géographie par semaine; la seconde (...) résulte des débits parfois insuffisants en salle informatique ». Ici, jouer à la maison permet de répondre à des contraintes ; si la seconde

provient des conditions matérielles insuffisantes dans certains établissements, la première relève plutôt de la forme scolaire.

Ainsi, nous n’avons guère d’éléments concernant une utilisation du jeu vidéo profitant du contexte de jeu habituel des élèves : leur domicile et leur plate-forme de jeu personnelle.

Un article traitant de la classe inversée et du jeu numérique3, publié sur le portail en novembre

2017, pourrait nous donner quelques motifs d’espoirs en ce sens.

La classe inversée est une pédagogie visant à faire acquérir les notions disciplinaires aux élèves à la maison, la plupart du temps via le visionnage de capsules vidéos. Les activités et autres exercices sont réalisées en classe, ce qui permet un changement de posture pour l’enseignant : moins transmetteur vertical de connaissances, il devient accompagnateur des efforts des élèves. La classe inversée étant mise en avant par l’institution4, rencontre ainsi celle du jeu numérique.

Dans les trois propositions pédagogiques de cet article, la pratique du jeu prend la place de l’activité :

Le jeu est au cœur de la séance du jour et les notions abordées par le serious game sont travaillées

1 « Introduire la pauvreté dans le monde », op.cit.

2 « Usage de Blossom Flowers en PFEG (Principes Fondamentaux de l’Economie et de la Gestion) », op.cit.

3 « Utiliser les jeux numériques dans une approche de classe inversée », extrait du site Apprendre avec le jeu numérique, op.cit, publié le 16 novembre 2017, consulté le 5 mai 2018, disponible sur http://eduscol.education.fr/jeu- numerique/article/2193

4 Par exemple, l’association « Inversons la classe ! », soutenue par le ministère, organise chaque année un congrès sur cette pédagogie. INVERSONSLACLASSE, 3e édition du CLIC Changer de posture pour apprendre, consulté le 9 juin

en amont à la maison via une capsule vidéo ou une simple révision de précédents cours. Plus original est de faire travailler les règles du jeu à la maison qui, selon l’auteure, devront être accompagnée par un questionnaire, « pour s’assurer qu’ils ont compris les fondements du jeu ». Il est ici étonnant de voir cette proposition d’un contrôle de connaissances, la pratique du jeu pour vérifier ne semblant pas suffire. Le point en commun de ces propositions est de permettre «d’optimiser le temps de jeu en classe »1 en délocalisant à la maison ce qui pourrait brider l’activité

ludique pendant l’heure de cours. Cependant, le jeu garde finalement la place des séquences précédentes : les notions semblent indispensables à la pratique ludique et le jeu est suivi d’un debriefing rapide en fin de séance.

De fait, nous pouvons poursuivre notre tableau de synthèse avec une mention de l’emprise de la forme scolaire sur la temporalité du jeu.

Interactions culturelles

Critères de la forme scolaire Interactions entre la forme scolaire et le jeu vidéo

Spatiotemporelles Temps scolaire, espace scolaire - Jeu vidéo comme devoir- maison : pratique faiblement constatée.

- Le temps scolaire est une contrainte impliquant une transformation du jeu.

S’il doit s’adapter au temps de la classe, on retrouve dans certaines fiches, le souci de corriger certaines insuffisances du jeu.

Dans la fiche « Comprendre l’essor urbain au moyen âge », on note quelques critiques du gameplay : « L'ergonomie et la prise en main sont peu faciles. Le jeu offre une assistante réduite :

en cas d'erreur, les messages n'affichent qu'un refus et ne donnent pas d'explication ou de solution de rechange et ne renvoient pas vers une page qui donnerait cette explication ou une autre piste ».

Ici, l’enseignant semble regretter que le jeu ne donne pas un feed-back sur les erreurs de l’élève. Cependant, ce manque est, encore une fois, vu comme une possibilité pédagogique supplémentaire :

« cela peut aussi amener les élèves à poser davantage de questions et favoriser les échanges pendant la phase de synthèse. »