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Les fiches pédagogiques d’Apprendre avec le jeu numérique nous renseignent ainsi sur leur utilisation concrète en classe. Par là, nous entendons leur place dans la séquence pédagogique ainsi que les notions et les compétences visées. Cependant, si elles sont rédigées par des enseignants eux- mêmes, elles ne permettent pas réellement de savoir les raisons de leur utilisation en classe et les discours qui le justifient. Ainsi, nous souhaitons nous inscrire dans une sociologie de l’enseignement, dans la lignée d’Ogien, repris par Marchive :« Ce n’est pas seulement les causes

qui doivent intéresser le chercheur, mais les raisons pour lesquelles les enseignants font ce qu’ils font »1. En nous intéressant plus aux pratiques enseignantes, qu'à l’efficacité réelle des dispositifs

ludiques sur les élèves, nous nous situons dans la perspective des recherches d’Anne Wix, analysées précédemment. Pour cela, nous avons fait le choix d'interroger six enseignants. Les entretiens que nous avons menés permettent en ce sens de mieux cerner la place du jeu vidéo à l’école et de soulever des questions nouvelles. En effet, nous avons échangé avec plusieurs enseignants dans le cadre de notre chronique sur le site Nesblog.com2. Ce collectif, créé par Yann

Chauvière et Ronan Letoqueux, vise à rassembler des créateurs de contenus autour de la culture populaire en général, et du jeu vidéo en particulier. De plus, il participe chaque année au festival du

Stunfest se déroulant à Rennes. Conçu comme un lieu de rencontres autour de la culture

vidéoludique, le Stunfest organise, pour chaque édition, un programme de conférences dont certaines reprennent des thématiques de la recherche sur le jeu vidéo.

C’est dans ce lieu très spécifique, surtout connu des joueurs, et donc en dehors de structures institutionnelles de l’Éducation nationale, que nous avons rencontré une partie des enseignants interrogés : Stéphane, Julien et Thomas.

En plus de nos activités de vidéaste et de chroniqueur, nous effectuons une veille documentaire sur les réseaux sociaux Twitter et Facebook. C’est ainsi que nous avons pu lire les publications du blog

1 MARCHIVE, Alain, op.cit, p.129.

2 VINCENT, Romain, « M’sieur, quand est-ce qu’on joue ?! », Nesblog, publié le 15 septembre 2015, consulté le 15 avril 2018, disponible sur http://www.nesblog.com/category/caparledejeu/jvh/

d’Alexis, enseignant en FLS (Français Langue Seconde) qui rapportent ses usages du jeu vidéo en classe, ainsi que la proposition de Loïc, professeur des écoles stagiaire au moment de son expérimentation, après consultation d’un article de François Jarrault, sur le Café Pédagogique un site d’actualité de l’éducation en France1.

Un questionnaire qualitatif, composé de questions ouvertes, a été envoyé à ces enseignants, ’ils l’ont ensuite renvoyé, une fois complété. Cette méthodologie leur permettait d’avoir toutes latitudes pour expliquer en détails leurs pratiques. Cependant, ces cinq entretiens n’étaient à l’origine pas destinés à être utilisé dans ce présent travail de recherche. A l’inverse, cela réduisait notre interaction avec eux et ne nous permettait pas de demander des informations supplémentaires ou de pouvoir réagir spontanément à leurs propos.

Afin de combler ces lacunes, nous avons filmé deux séances en classe, chacune ponctuée par des entretiens avec les enseignants et leurs élèves. Après notre entretien avec lui, nous nous sommes ensuite rendus dans la classe de Stéphane, en février 2018, pour filmer son cours de technologie avec Minecraft en 5e. Pour finir, nous sommes allés dans la classe de Mélanie, enseignante de

Sciences et Vie de la Terre, qui utilise Survive On Mars avec une classe de seconde le 7 mai dernier. De son côté, Julien prend sa manette pour jouer à Skyrim devant sa classe, Alexis propose de faire travailler ses élèves de FLS (Français Langue Seconde) avec, entre autres, Scribblenaut, Thomas intègre Paper’s Please dans une de ses séances de philosophie en lycée, et, pour finir, Loïc fait découvrir Final Fantasy à ses élèves de primaire.

La nature des jeux utilisés diffère de celle déjà rencontrés jusqu’à présent: ici, ces enseignants utilisent tous des jeux grand public, parmi lesquels seuls Minecraft et Survive On Mars ont déjà été mentionnés dans les fiches pédagogiques d’Apprendre avec le jeu numérique.

Le profil des enseignants rencontrés et les jeux utilisés sont indiqués dans le tableau suivant :

Prénom Discipline Niveau Jeu Posture

Stéphane Technologie 5e Minecraft Joueur-Accompagnateur

Julien Histoire 2nd Skyrim Joueur

Alexis Français Élèves primo-

arrivants

Scribblenauts Joueur et non-joueur

Thomas Philosophie Terminal Paper’s Please Joueur

Loïc Français Primaire Final Fantasy Non-joueur

Mélanie SVT 2nd Survive On Mars Accompagnatrice

1 JARRAULT, François, Enseigner avec le jeu vidéo à l’école, Café pédagogique, publié le 13 juin 2016, consulté le 2 mai 2018, disponible sur

A l'origine, nous supposions que le choix d’utiliser des jeux «connus» provenait en grande partie de leur culture ludique, entendue comme « l’ensemble de règles et significations que le joueur

acquiert et maîtrise dans le cadre de son jeu »1, soit « l’ensemble de procédure qui permettent de rendre possible le jeu ». Ainsi, pour mettre en place une séance avec un jeu vidéo, l’enseignant

sollicite ses propres connaissances, afin de « rendre possible le jeu » en classe. Au regard des entretiens, il apparaît que les enseignants ont une connaissance plus ou moins experte de la culture vidéoludique. Certains déclarent ainsi jouer aux jeux vidéo depuis l’enfance,«Je n’ai que 30 ans

mais je joue depuis que je dois avoir 6/7 ans je pense […] J'ai commencé avec l’Amstrad CPC, la NES (…) j’ai eu toutes les consoles Nintendo » (Alexis, enseignant en FLE). Si certains, comme

Alexis, ont une culture vidéoludique qui recouvre une diversité de plateformes (consoles, ordinateurs), d'autres sont attachés plus particulièrement à un dispositif : « Jusqu’à l’âge de 11 ans,

je ne connaissais que du Nintendo » (Julien, enseignant d’Histoire). Au cours des entretiens, les

enseignant prennent plaisir à dresser une liste exhaustive de leurs pratiques, citant explicitement certains titres :« Depuis, j’ai joué à une grande variété de jeux : combat (Tekken, Street Fighter),

plate-forme (Mario, Crash Bandicoot), arcade (Burnout, Need for Speed) etc... » (Julien, enseignant

d’Histoire). Si la plupart des enquêtés décrivent ainsi, avec précision pour certains, leur culture vidéoludique, d'autres en revanche ne placent pas le jeu vidéo comme une pratique culturelle centrale. Ainsi Stéphane a de « vagues souvenirs d’avoir pu jouer sur console chez des voisins dans

mon enfance.»

Cependant, évoquer leur passion pour le jeu vidéo pour justifier leur utilisation en classe ne peut être suffisant.

Pour Stéphane, cette pédagogie ne semble pas être venue de son passé de joueur: « Pendant

longtemps, je n’envisageais pas que l’on puisse utiliser le jeu vidéo en classe mais j’ai découvert qu’à l’étranger certains enseignants le faisaient depuis plusieurs années ».

Le rôle inspirant des collègues, ainsi que l’importance prise par les publications en ligne via les réseaux sociaux , semblent avoir joué un rôle important dans sa décision. Stéphane a donc eu besoin de formation avant de se lancer dans Minecraft mais il en a trouvé uniquement à l’étranger, et non dans le système scolaire français. A cette légitimation provenant de professeurs étrangers pionniers, Stéphane ajoute d’autres facteurs expliquant son choix de jeu : « Ce sont mes enfants qui m’ont fait

découvrir Minecraft (…) et je me suis mis à jouer avec eux. Les élèves m’en parlaient aussi régulièrement ». A présent, Stéphane joue moins que pendant sa vie d’étudiant: «Seulement aujourd’hui ce n’est plus ma console mais celle de mes enfants » et il marque un certain

détachement à l’égard des jeux qu’il pratique: « Actuellement, je parcours les différents Assassin’s

Creed : c’est beau mais répétitif...»

Ainsi, s’il était favorable à l’utilisation des jeux vidéo en classe, c’est avant tout pour des raisons extrinsèques qu’il s’est lancé dans cette pédagogie, et non en transposant directement sa propre culture. On note donc ici une volonté de se rapprocher des pratiques ludiques de ses élèves, tout en formulant un besoin d’être rassuré par celles, pédagogiques, de ses pairs.