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II] Le jeu vidéo à l’école : de l’étude des élèves à celle de l’enseignant

Au delà des discours institutionnels, quelques expérimentations, liées parfois à de la recherche académique, permettent de comprendre certains usages du jeu vidéo en classe, la nature des dispositifs mobilisés mais aussi de saisir plus généralement les problématiques que soulèvent ces derniers ainsi que les pratiques qui en découlent.

A] « Apprendre en jouant, ça fonctionne »

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Dans le cadre de ses recherches, Julian Alvarez a conçu Technocity, un serious games à destination des lycéens afin de valoriser les filières technologiques avec l’aide d’une entreprise de conception de jeux éducatifs ainsi que la collaboration du rectorat de l’académie de Toulouse.

1 BUGMANN, Julien, « Apprendre en jouant : du jeu sérieux au socle commun de connaissances et de compétences », thèse de doctorat en sciences de l’éducation sous la direction d’Alain Jaillet, Université de Cergy Pontoise, 2016, p.297.

Technocity est composé de plusieurs mini-jeux entrecoupés par des questionnaires qui apparaissent à la suite de vidéos explicatives sur les différents métiers abordés : le jeu et le sérieux sont donc séparés.

En interrogeant les élèves, Alvarez remarque ainsi que « l’intérêt porté au message du cédérom est

complètement secondaire. Seul l’aspect ludique semble ici compter ». De même pour les

enseignants qui « ne sont pas toujours sûrs que Technocity transmette l’envie de se renseigner sur

les métiers ». Alvarez en conclue ainsi que l’échec de Technocity est dû à son manque de scénario

pédagogique qui exclut ainsi élèves et enseignants de l’objectif initial.

C’est en choisissant un autre jeu sérieux, offrant un objectif pédagogique plus clair et identifiable, que Julian Bugmann a centré sa thèse de doctorat en sciences de l’éducation. Il a en effet testé Food

Force sur des élèves d’école primaire, afin de voir son impact sur l’acquisition des connaissances et

des compétences du socle commun.

Food Force est un serious game commandé par le Programme Alimentaire Mondial des Nations

Unies, et développé par une équipe d’Ubisoft en 2006. Bugmann en présente quelques qualités :« Chacune de ces missions est précédée d’une introduction en vidéo animée à vocation

éducative, d’une explication des manipulations à effectuer pour réussir la mission et se termine à nouveau par une vidéo éducative avec cette fois-ci des images réelles. » De fait, on semble ici se

retrouver en face d’un jeu qui sépare nettement les dimensions ludiques et sérieuses. Cependant, Bugmann décortique méticuleusement chaque élément du jeu pour le faire correspondre avec des items du socle commun. Par exemple, les textes des missions de briefing permettraient de travailler les compétences de lectures , comme on peut le voir dans un de ses tableaux d’analyse1 :

Les manipulations de formes géométriques dans le jeu sont également transposées en compétences scolaires dans le domaine des mathématiques.

1 BUGMANN, Julien, op.cit, p.173 à 176.

Dans les premières lignes de ce tableau, Bugmann mentionne la première mission du jeu qui propose le visuel suivant.

Il est ainsi expliqué qu’en manipulant l’hélicoptère et en remplissant la mission, qui est de parcourir l’ensemble de la carte représentée par des carrés en bas à gauche de l’écran, cela permettrait de « Reconnaître, décrire, nommer des figures géométriques » selon la formulation officielle du socle commun de connaissances et de compétences.

La démarche de Bugmann est très significative des transformations que subit le jeu vidéo dés qu’il rentre dans la sphère scolaire. Pour que des apprentissages soient visibles, il faut que le medium soit passé au crible, et la structure des tableaux précédemment nous le montre, du socle commun de connaissances et de compétences : pour que le jeu vidéo soit considéré comme éducatif, il doit donc respecter les textes officiels de l’Éducation Nationale. De même, Food Force, en plus d’être le cœur de la séance, est également présent dans le test d’évaluation donné aux élèves. En effet, une grande partie des questions interrogent les élèves sur les éléments mêmes du jeu .

Ainsi, l’évaluation, élément constitutif de la forme scolaire, intègre des éléments du jeu. Il est même demandé aux élèves de repérer, sur une carte du monde, la ville, pourtant fictive, où se déroule l’intrigue du jeu pour travailler des compétences de repérages dans l’espace. De plus, à plusieurs reprises, Bugmann affirme que les connaissances proviennent des vidéos qui introduisent et suivent les séquences de jeu, ce qui peut nous faire relativiser l’apport éducatif de l’activité ludique en elle-même : « Chacune de ces missions est précédée d’une introduction en vidéo animée

à vocation éducative, d’une explication des manipulations à effectuer pour réussir la mission et se termine à nouveau par une vidéo éducative avec cette fois-ci des images réelles. »1.

Concernant le suivi des élèves à travers ces évaluations, Bugmann constate des progrès dans des compétences de repérage, de géométrie, et de culture scientifique et technologique.

De son étude, il suit les conclusions de Michel Lavigne sur le profil des élèves : « Par ailleurs,

nous mettons en évidence que la pratique du jeu sérieux Food Force a un effet particulièrement fort sur le développement des apprentissages des élèves qui ne jouent pas ou peu aux jeux vidéo par rapport à ceux qui y jouent régulièrement. » De ce constat, couplé à celui que les élèves de ZEP

(Zone d’Éducation Prioritaire) jouent moins que les autres, le chercheur estime que le jeu vidéo aurait sa place à l’école « pour réduire les inégalités scolaires et sociales ».

1 BUGMANN, Julien, op.cit, p.338.