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libératoire à la disposition du débiteur

1. La raison d’être de la responsabilité du débiteur pour des tiers

1.1. Sur la base d’une lecture des dispositions légales

300. Dans ce sous-chapitre,on introduit la réflexion sur la raison d’être de la responsabilité du débiteur pour le fait d’autrui par une lecture des disposi-tions légales elles-mêmes.

301. En particulier, deux dispositions du Code des obligations sont utiles dans cette optique, pour comprendre les raisons d’une responsabilité du débi-teur pour ses auxiliaires :les art. 97 al. 1 et 68 CO.

1.1.1. L’art. 97 al. 1 CO : la prévalence de l’optique du créancier 302. L’art. 97 al. 1 CO fonde, à certaines conditions, l’obligation pour le dé-biteur de réparer le dommage d’autrui. Cette norme sert, parmi d’autres, de rè-gle généraleà l’ensemble de la responsabilité pour violation d’une obliga-tion455.

453 TF, 1ère Cour civile, 3 juillet 2006, SJ 2007 I 1, consid. 4.2, p. 7 avec réf. ; 70/1944 II 215, consid. 4, p. 220, JdT 1945 I 41, 47 ; CR-THÉVENOZ, N 7adart. 101 CO avec réf. ; CR-WERRO, N 35adart. 55 CO avec réf. ; BUCHER, p. 361 s. ; PICHONNAZ/KUONEN,intérêts,p. 17.

454 ATF 70/1944 II 215, consid. 4, p. 220, JdT 1945 I 41, 47 avec réf.

455 CR-THÉVENOZ, N 3adart. 97 CO. Cf. également TERCIER,obligations,N 1098 ; ainsi que l’Introduction, no-tamment N 6.

A. Le texte légal

303. Si on en analyse le texte, on s’aperçoit que,dans sa version en français, l’art. 97 al. 1 CO est formulédans l’optique du créancier: il n’est pas important que le débiteur n’exécute pas l’obligation ou ne le fasse qu’imparfaitement, ce qui compte c’est que « le créancier ne peut obtenir l’exécution de l’obligation ou ne peut l’obtenir qu’imparfaitement ».

304. On se placedans l’optique du débiteur uniquement en tant qu’ excep-tionà la règle, en admettant la preuve « qu’aucune faute ne lui est imputable ».

Le législateur fédéral a exprimé le caractère exceptionnel de cette preuve libéra-toire par les termes « à moins que ».

305. Dans la version en allemand également,l’optique est vraisemblable-ment celle du créancier : l’emploi d’une formulation passive le montre. Le texte allemand énonce en effet : « Kann die Erfüllung der Verbindlichkeit überhaupt nicht oder nicht gehörig bewirkt werden ».

306. Ici aussi, on ne se placedu point de vue du débiteur qu’exceptionnel-lement,soit pour ce qui concerne la preuve libératoire, qui est formulée de la manière suivante : « sofern er [le débiteur] nicht beweist, dass ihm keinerlei Verschulden zur Last falle. »

307. En revanche, dans la version en italiende l’art. 97 al. 1 CO, la formu-lation estdans l’optique du débiteur.En effet, on y traite du « debitore che non adempie l’obbligazione o non la adempie nel debito modo ». En outre, comme pour les deux autres versions, on a rédigé la partie qui porte sur la preuve libé-ratoire également dans l’optique du débiteur : « a meno che [le débiteur] provi che nessuna colpa gli è imputabile. »

308. Il résulte de ce qui précède que, étant donnée la version en italien,on ne peut pas affirmer résolumentque la norme est conçue dans l’optique du créancier sur la base de son texte dans les trois langues officielles, même si les versions en français et en allemand vont en ce sens.

B. Le fonctionnement de la norme

309. Malgré l’absence d’univocité du texte de l’art. 97 al. 1 CO mise en évi-dence dans le paragraphe précédent (II.1.1.1.A., N 303 ss), du point de vue du fonctionnement de la norme,tant que le créancier obtient ou peut obtenir la prestationà laquelle il a droit de par le rapport d’obligation qui le lie au débi-teur, il ne peut pas se prévaloir de cette disposition.

310. Dans l’hypothèse contraire,s’il ne peut plus l’obtenir, s’il ne le peut qu’imparfaitement ou s’il ne l’a obtenue qu’imparfaitement456, il a droit à la

456 Cf.VONTUHR/ESCHER, § 69 IV, p. 107.

réparation du dommage qui en résulte, à moins que le débiteur ne prouve qu’aucune faute ne lui est imputable.

311. L’art. 97 al. 1 CO déroge de la sorte au partage du fardeau de la preuve

tel qu’il a été prévu à l’art. 8 CC457etce n’est que par voie d’exception qu’on admet une preuve libératoirede la part du débiteur.

312. On peut expliquer cette sévérité à l’égard du débiteur par le fait que toute obligation a pour finalité l’exécution458.

313. C’est l’idée del’assumpsit.Le débiteur a pris une obligation à l’égard du créancier459, en vertu de laquelle il est tenu à une prestation envers l’autre460. Sauf circonstances exceptionnelles, le créancier a le droit de réclamer celle-ci461, ou au moins une compensation s’il ne peut plus l’obtenir, s’il ne le peut qu’im-parfaitement ou s’il ne l’a obtenue qu’imqu’im-parfaitement. Autrement dit, le ren-versement du fardeau de la preuve de la faute du débiteur s’explique par l’exis-tence même d’un rapport d’obligation préalable462. Dans le même ordre d’idées, on peut penser à l’adagepacta sunt servanda.

314. Il est conforme à la finalité du rapport d’obligation que, si le créancier n’obtient pas, ou ne peut pas obtenir, la bonne exécution de l’obligation, il ne doit pas s’intéresser à ce qui se passe chez le débiteur. Il doit uniquement prou-ver qu’il n’a pas reçu la prestation qui lui était due. S’il réussit cette preuve, la responsabilité du débiteur est, en principe, engagée. C’est alors l’affaire de ce dernier de démontrer que l’inexécution au sens large ne lui est pas imputable et que donc il n’engage, en réalité, pas sa responsabilité463.L’accent est misde la sortesur l’obtention de l’intégralité de la prestation due.En témoigne éga-lement le fait que le créancier peut refuser l’exécution partielle d’une dette « li-quide et exigible pour le tout » (art. 69 al. 1 CO)464. D’ailleurs, les définitions mê-mes de l’exécution et de l’inexécution mettent en évidence que l’élément déterminant en la matière est de savoir si la prestation due a été accomplie, c’est-à-dire si le résultat promis a été atteint conformément aux attentes légiti-mes du créancier465.

457 BaK-WIEGAND, N 42adart. 97 CO.

458 Sur lexécution en tant que finalité de lobligation, cf. lIntroduction, notamment N 1.

459 Pour une définition de l’« obligation », cf. l’Introduction, notamment n. 2.

460 Pour ce qu’on entend par « prestation », cf. l’Introduction, notamment n. 5.

461 Pour une définition du « droit de créance », cf. l’Introduction, notamment n. 5.

462 Dans le même sens JANSER, p. 41.

463 Cf. BaK-WIEGAND, N 42adart. 97 CO.

464 Une dette est liquide lorsquelle « est certaine quant à son existence et déterminée quant à son mon-tant, soit parce quelle nest pas contestée, soit parce quelle repose sur un titre exécutoire » (CR-HOHL, N 4adart. 69 CO). Sur l’art. 69 al. 1 CO, cf. notamment l’ATF 133/2007 III 598, consid. 4.1.

465 Dans le même sens GUHL/KOLLER, § 29 N 2. Pour une définition de l’« exécution », cf. l’Introduction, no-tamment N 2. Pour ce qu’on entend par « inexécution », cf. l’Introduction, nono-tamment N 3.

Exemple 1 :Comme l’élément déterminant est de savoir si le créancier est ob-jectivement satisfait de ce qu’il a obtenu ou de ce qu’il peut obtenir en exécu-tion de sa créance, une obligaexécu-tion est, en général, également exécutée si, bien que le débiteur n’eût pas le pouvoir de disposer de la chose, le créancier en a acquis la propriété en vertu des règles de la bonne foi ou de la prescription466. Exemple 2 :De même, une obligation est, de manière générale, également exé-cutée si un tiers a effectué, à la place et pour le débiteur, ce à quoi ce dernier s’était obligé. La tierce personne peut alors agir avec ou sans l’accord du débi-teur467; elle peut même « exécuter la prestationcontre la volonté du débiteur. Ce-lui-ci est libéré, malgré lui, car l’intérêt du créancier à obtenir satisfaction l’em-porte sur l’intérêt du débiteur. »468

315. En définitive, sous l’angle de son fonctionnement,l’art. 97 al. 1 CO est conçu essentiellement dans l’optique du créancier,dans la mesure où il s’agit avant tout de savoir si le résultat auquel toute obligation tend (c’est-à-dire la bonne exécution) a été obtenu ou s’il peut l’être ; ou, inversement, s’il ne peut plus être obtenu, s’il ne le peut qu’imparfaitement ou s’il ne l’a été qu’imparfai-tement469.

1.1.2. L’art. 68 CO : la liberté du débiteur dans l’exécution

316. Dans un système où la loi met l’accent sur l’obtention du résultat pro-mis (c’est-à-dire de la prestation due)470, on peut s’attendre à cequ’on se désin-téresse, en principe, du processuspar lequel le créancier obtient la bonne exé-cution de l’obligation.

317. L’art. 68 COconfirme cette expectative. Il fait partie du chapitre pre-mier du titre deuxième du Code des obligations, qui traite « [d]e l’exécution des obligations »471et où le législateur s’est placé dans l’optique de la bonne exécution des obligations. Il répond à la question de savoir qui doit et/ou peut exécuter la prestation due472.

318. Il prévoit que le débiteur n’est, en principe, pas tenu d’exécuter personnellement sa dette et qu’il peut faire appel à des tiers (art. 68 CO a contrario)473.

466 VONTUHR/DETORRENTE/THILO, § 55 VIII, p. 411 ;idemVONTUHR/ESCHER, § 55 VIII, p. 7.

467 TERCIER,obligations,N 935.

468 TERCIER,obligations,N 936.

469 Dans le même sens PETITPIERRE,inexécution,p. 260.

470 A propos de lobtention de la prestation due en tant quélément déterminant en matière de responsa-bilité pour violation dune obligation, cf. le paragraphe II.1.1.1.B., notamment N 314.

471 En allemand, « Die Erfüllung der Obligationen » ; en italien, « Delladempimento delle obbligazioni ».

472 TERCIER,obligations,N 927.

473 Cf. BaK-LEU, N 1adart. 68 CO ; GAUCH/SCHLUEP/EMMENEGGER, N 2035 ss ; TERCIER,obligations,N 929.

319. Autrement dit, une exécution personnelle n’est, en général, pas néces-saire pour que l’obligation soit bien exécutée et, sauf exception (le contrat pré-voit que le débiteur doit s’exécuter personnellement ou a été conclu en considé-ration de la personne de ce dernier474), le débiteur estlibre de choisir s’il veut accomplir lui-même la prestation due ou s’il préfère en confier la charge (pleine ou partielle) à une tierce personne. En principe, il peut faire appel à un tiers même contre la volonté du créancier475.

320. Il résulte de ce qui précède qu’en principe le débiteur est maître du choix quant à la manière de fournir ce qu’il doit.

Exemple 1 :En principe, le créancier tombe en demeure s’il refuse la prestation que lui offre régulièrement un auxiliaire du débiteur, voire un tiers qui inter-vient sans l’accord de ce dernier dans le processus d’exécution de l’obliga-tion476.

Exemple 2 :Comme la participation d’un tiers à l’accomplissement de la pres-tation due est, en principe, une question qui concerne uniquement le débiteur, ce dernier ne doit pas renseigner le créancier à propos des relations juridiques qu’il entretient avec ses auxiliaires477.

Exemple 3 :Selon l’art. 81 al. 1 CO, le débiteur a le droit, en principe, d’exécuter son obligation avant l’échéance ou avant l’exigibilité, si le contraire n’a pas été expressément ou implicitement convenu478.

321. Toutefois, même si le débiteur peut recourir à un tiers pour faire exécu-ter son obligation, ce dernier ne doit pas la prestation à la place du premier : seul le débiteur est engagé479. En principe, il n’y a aucun rapport d’obligation qui se forme entre le tiers et le créancier de l’autre480. En général, le débiteur n’est donc pas libéré de son obligation, ni de son éventuelle responsabilité en cas d’inexécution au sens large, par le fait qu’il confie, d’une manière licite, l’exécution à une tierce personne481. Au contraire, pour qu’il soit libéré, il faut que l’obligation soit parfaitement exécutéeet le créancier objectivement satisfait.

322. A nouveau, indépendamment des moyens auxquels le débiteur a pu recourir pour s’exécuter, l’élément déterminant pour savoir quelle est sa situa-tion juridique face au créancier reste le résultat produit : il est libéré en cas d’exécution parfaite ; autrement, la dette ne s’éteint en principe pas et les

474 TERCIER,obligations,N 931.

475 TERCIER,obligations,N 929.

476 Cf.VONTUHR/ESCHER, § 59 I, p. 25 ; TERCIER,ibidem.

477 WEBER2, N 6adart. 101 CO.

478 TERCIER,obligations,N 971.

479 Cf. CUENDET, N 380 ; BaK-LEU, N 1adart. 68 CO ; TERCIER, obligations, N 928.

480 BaK-LEU, ibidem.

481 TERCIER,obligations,N 930.

art. 97 ss CO sont susceptibles de s’appliquer. En effet, ce qui importe c’est l’optique du créancier qui obtient ou n’obtient pasce qui lui est dû conformé-ment à ses attentes légitimes482.

323. En définitive,si l’art. 97 al. 1 CO met en évidence cet aspect483, l’art. 68 CO souligne la liberté concédée au débiteur dans l’exécution de l’obligation.

1.1.3. La raison d’être résultant d’une lecture du système légal 324. Il résulte des paragraphes précédents (II.1.1.1., N 302 ss, et II.1.1.2., N 316 ss) que, d’une part, le créancier ne doit se soucier que de l’obtention de la prestation due et que, d’autre part, le débiteur est libre de choisir les moyens par lesquels produire ce résultat, notamment de faire appel à des tiers. Dans un tel système,on compense la facultédu débiteur de recourir à une tierce per-sonne pour fournir la prestation due par la responsabilité du premier si le créancier n’est objectivement pas satisfait du fait du tiers.

On retrouve,mutatis mutandis,la même idée dans un arrêt zurichois. On y af-firme que l’expert peut faire appel à des auxiliaires sous sa responsabilité (« der Sachverständige unter seine Verantwortung Hilfspersonen beiziehen darf »)484. Il n’est pas important dans l’optique du présent chapitre que l’arrêt ne traite pas de la réparation d’un préjudice (dommage ou tort moral), mais de la validité d’une expertise psychiatrique.

325. On peut, donc, dire que la raison d’être de la responsabilité du débiteur pour l’inexécution au sens large de son obligation par ses auxiliaires réside dans le système mêmequi a été mis en place dans le Code des obligations pour gérer les effets des obligations.

326. On y reviendra notamment dans la synthèse en fin de chapitre (II.1.4.1., N 374 ss). Avant d’y arriver, il se justifie de réfuter quelques assertions qui ne représentent pas la raison d’être recherchée, dans les deux sous-chapi-tres qui suivent (II.1.2., N 327 ss, et II.1.3., N 352 ss).

1.2. Deux assertions tirées de la jurisprudence du