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libératoire à la disposition du débiteur

1. La raison d’être de la responsabilité du débiteur pour des tiers

1.2. Deux assertions tirées de la jurisprudence du Tribunal fédéral en matière de responsabilité

327. Dans sa jurisprudence en matière de responsabilité,le Tribunal fédé-ral ne précise pas la raison d’être de la responsabilitédu débiteur pour des tiers. Il aborde davantage cette question dans des arrêts ne concernant pas la

482 PETITPIERRE,inexécution,p. 260.

483 Concernant l’art. 97 al. 1 CO par rapport à la raison d’être de la responsabilité du débiteur pour des tiers, cf. le paragraphe II.1.1.1., p. 105, N 302 ss.

484 Kassationsgericht(Zurich), 2 septembre 1997, ZR 1998 p. 75 (n° 25), consid. 3c, p. 76.

réparation du préjudice d’autrui et dans lesquels l’art. 101 al. 1 CO n’est ap-pliqué que par analogie. On reviendra sur ces arrêts dans le prochain sous-cha-pitre (II.1.3., N 352 ss).

328. En matière de responsabilité,le seul arrêt intéressantclôt la cause Ca-vallini contre Bruni. Le Tribunal fédéral y traite du cas d’une bailleresse qui, après avoir vendu la chose louée et avoir transféré le contrat de bail à l’acqué-reur, est actionnée en dommages-intérêts par le locataire en raison des actes du reprenant. Il affirme qu’au sens de l’art. 259 al. 1 aCO « le bail continue à lier l’aliénateur en dépit de l’obligation assumée par l’acquéreur »485et il fait deux observations intéressantes : la première est qu’« en aliénant la chose louée, il [le bailleur] a créé lui-même le danger que le contrat ne soit pas exécuté »486, la deuxième qu’il peut « se prémunir contre ce péril en exigeant des sûretés de l’acquéreur »487.

329. Le Tribunal fédéral fait ces deux observations lors de l’analyse de l’in-terprétation qu’il fallait avoir de l’art. 259 al. 1 aCO et, vraisemblablement, dans ses intentions elles ne concernent pas la raison d’être en général de la responsa-bilité du débiteur pour des tiers. Toutefois, un lien logique existait entre l’art. 101 al. 1 CO et l’art. 259 al. 1 aCO : si la Haute Cour n’avait pas admis, en vertu de cette disposition, que le bailleur qui aliénait la chose louée restait débi-teur du locataire à moins de circonstances particulières, l’autre norme n’aurait pas pu s’appliquer. En effet, il faut que l’exécution d’une obligation soit en cause pour que l’art. 101 al. 1 CO soit applicable488. On peut alors se demander si les arguments qui justifiaient que le bailleur ne soit pas libéré de ses obliga-tions en raison de la reprise de celles-ci par l’acquéreur de la chose louée ne pourraient pas expliquer également le fait qu’il répondait des agissements de l’autre. Il nous paraît donc intéressant deréfuter la pertinence de ces deux af-firmationssur la problématique traitée dans ce chapitre.

Depuis le 1er juillet 1990, l’art. 259 aCO a été remplacé notamment par l’art. 261 CO. Cette modification législative ne nuit pas à la pertinence des considéra-tions qui suivent car celles-ci concernent l’art. 101 al. 1 CO, et non l’art. 259 aCO.

485 ATF 82/1956 II 525, consid. 2, JdT 1957 I 239, 242.

486 Ibidem.

487 Ibidem.On précise dans le texte en allemand : « bei der Veräusserung der Mietsache ».

488 Cf. ATF 122/1996 III 106, consid. 4, p. 108 (traduit au JdT 1997 I 98, 100) ; 119/1993 II 337, consid. 3c aa ; 113/1987 II 424, consid. 1b, p. 426 ; 95/1969 II 43, consid. 3b, p. 50, JdT 1970 I 66 (extr.), 69in fine; 82/1956 II 525, consid. 5, p. 533, JdT 1957 I 239, 245 ; 53/1927 II 233, consid. 3, p. 240, JdT 1927 I 487, 492in fine; ainsi que, par exemple, WEBER2, N 18adart. 101 CO, et PORTMANN, p. 43 s.

1.2.1. La création par le débiteur d’un danger d’inexécution 330. Selon le Tribunal fédéral, le bailleur, en aliénant la chose louée et en se servant conséquemment de l’acquéreur pour exécuter ses obligations contrac-tuelles489, crée lui-même le danger que le contrat ne soit pas exécuté490. On peutse demander sila raison d’être de la responsabilité pour inexécution au sens large d’une obligation du débiteur en raison des agissements de tierces personnes réside dans le fait que celui-là, lorsqu’il se sert d’un tiers pour exécu-ter sa dette, crée le danger que l’obligation ne soit pas bien exécutée.

A. Indifférence de cet élément dans l’application de l’art. 101 al. 1 CO 331. S’il est possible que, comme le Tribunal fédéral semble le dire, le bail-leur qui aliène la chose louée et qui remet ainsi l’exécution de ses obligations à l’acquéreur crée toujours le danger que le contrat de bail soit violé,on ne peut pas affirmer quetout débiteur qui fait appel à un tiers pour accomplir la pres-tation due crée un tel danger491.

332. En particulier, une telle affirmation ne se justifie pas lorsque l’ auxi-liaire est plus compétent que le débiteuret donne donc plus de garanties que la prestation due soit duement accomplie. Cette hypothèse est beaucoup plus fréquente que ce qu’on pourrait croire.

Exemple :Le garagiste qui s’engage à réparer les freins de la voiture d’un de ses clients alors qu’il a une formation de carrossier et qui charge donc son ou-vrier mécanicien d’accomplir la réparation, rend objectivement plus sûre l’exé-cution de ses obligations, ce dernier étant plus apte que lui à effectuer le travail.

333. Or, en cas d’inexécution au sens large, vu les conditions auxquelles un créancier peut exiger du débiteur la réparation du dommage résultant des agis-sements des auxiliaires de celui-ci, le fait que, en confiant l’accomplissement de ses obligations à son ouvrier, le garagiste de cet exemple ait rendu plus sûre l’exécution de son contrat, ne le met pas à l’abri de toute action en responsa-bilité pour inexécution. En effet, un débiteur répond du préjudice causé par l’auxiliaire auquel il a fait appel pour accomplir la prestation due, à moins qu’il apparaisse que, s’il avait agi lui-même comme ce dernier l’a fait, il n’aurait pas engagé sa responsabilité492; il est alorsindifférent que,par son recours au tiers, le débiteur ait rendu objectivement plus sûre l’exécution de l’obligation ou qu’il ait créé de la sorte le danger que celle-ci ne soit pas bien exécutée.

489 Cf. ATF 82/1956 II 525, consid. 5, JdT 1957 I 239, 245.

490 ATF 82/1956 II 525, consid. 2, JdT 1957 I 239, 242.

491 Dans le même sens SPIRO, § 4 p. 52.

492 Concernant la preuve libératoire à la disposition du débiteur en matière de responsabilité pour des auxiliaires, cf. le chapitre II.2., p. 147, N 434 ss.

334. Si la raison d’être de l’art. 101 al. 1 CO était de rendre responsable celui qui, en faisant appel à une tierce personne pour exécuter sa dette, met en dan-ger l’exécution de celle-ci, cet élément ne devrait-il pas jouer un rôle dans l’ap-plication de la règle de droit elle-même ? En particulier, ne faudrait-il pas que le débiteur qui, par son recours à un tiers, rend l’accomplissement de la prestation due plus sûre n’engage pas sa responsabilité ? L’indifférence de cet élément dans l’application de l’art. 101 al. 1 CO constitue unpremier indiceque l’idée n’est, en réalité, pas pertinente par rapport à la raison d’être de la responsabi-lité du débiteur pour le fait d’autrui.

B. Légitimité de cette indifférence

335. Serait-il équitable que, de manière générale, le débiteur qui confie l’exé-cution de son obligation à un tiers puisse se prévaloir du simple fait qu’il a ain-si rendu plus sûr l’accomplissement de la prestation due, pour se libérer de toute responsabilité pour l’inexécution au sens large résultant des agissements de ses auxiliaires?

336. Ainsi, dans l’exemple mentionné dans le paragraphe précédent (II.1.2.1.A., N 332), le garagiste ne répondrait pas du dommage subi par le créancier, simplement parce qu’il a rendu l’exécution de ses obligations plus sûre en s’en remettant à son ouvrier mécanicien, plus apte que lui à effectuer le travail, pour réparer les freins de la voiture de son client. Le débiteur serait notamment exonéré de sa responsabilité même dans l’hypothèse où on aurait admis sa responsabilité personnelle s’il avait agi de la même façon que son auxiliaire. Le système serait alors tel quele débiteur serait mieux traité s’il confie l’exécution de l’obligation violée à un tiers plus compétent qu’il le serait s’il se charge lui-même de l’accomplissement de sa dette.

337. Or,le débiteur est tenu à la prestation due envers le créancier,et non simplement à mettre en place les meilleures conditions pour que la prestation soit exécutée493. Une solution plus avantageuse pour le débiteur ne peut résul-ter que de l’accord des parties au contrat.

338. Le résultat juridique ne serait pas équitable: s’il n’y a pas de raison pour que la situation du débiteur qui se sert d’un tiers pour accomplir la pres-tation due soit pire que celle de celui qui exécute personnellement son obliga-tion, il n’y a pas de raison non plus pour qu’elle soit meilleure494.

339. Par identité de motifs,le fait de mettre effectivement en danger l’exé-cution d’une obligation en recourant à un tiers ne doit pas permettre au créan-cier d’exiger du débiteur la réparation de son dommage, s’il apparaît que, ce

493 Pour une définition de l« obligation », cf. lIntroduction, notamment n. 2.

494 Cf., par exemple,VONTUHR,fremdes Verschulden,p. 226, et PIOTET,Culpa,p. 64.

dernier ayant agi comme son auxiliaire l’a fait, il n’aurait pas été tenu pour res-ponsable.

C. Extranéité de cet élément par rapport à la raison d’être

340. Il résulte des deux paragraphes précédents (II.1.2.1.A., N 331 ss, et II.1.2.1.B., N 335 ss), c’est-à-dire tant du régime instauré par l’art. 101 al. 1 CO que du fait qu’il se justifie que le débiteur réponde du préjudice subi par son créancier à cause de l’inexécution résultant des agissements d’un auxiliaire in-dépendamment de la question de savoir si, en faisant appel à la tierce per-sonne, il a rendu l’exécution de la dette plus sûre ou s’il a créé de la sorte le danger que celle-ci ne soit pas bien exécutée, que la raison d’être de la respon-sabilité du débiteur pour des tiers en cas d’inexécution au sens largene réside pasdans le fait que celui-là, lorsqu’il se sert d’une tierce personne pour exécu-ter sa dette, crée le danger que l’obligation ne soit pas bien exécutée.

1.2.2. La possibilité pour le débiteur d’exiger des sûretés

341. Ladeuxième observationdu Tribunal fédéral qui a attiré notre atten-tion est la suivante : le bailleur qui aliène la chose louée peut se prémunir contre le danger que le contrat de bail ne soit pas exécuté en exigeant des sûretés de la part de l’acquéreur lors de l’aliénation495.

342. De fait, le péril contre lequel le débiteur peut, le cas échéant, se garantir consiste en sa propre responsabilité, qui serait en principe engagée si une des prestations dues n’était pas bien accomplie. En effet, des sûretés ne pourraient de toute façon pas empêcher que le tiers auquel le débiteur a confié l’exécution d’une de ses obligations n’exécute pas convenablement celle-ci ; elles pour-raient, par contre, améliorer la situation du débiteur en lui permettant de se re-tourner en remboursement du préjudice qu’il a subi, du fait de sa responsabi-lité, contre l’auxiliaire dont les actes ont causé l’inexécution au sens large. Par ailleurs, vu que, dans l’affirmation dont on traite, la Haute Cour entend par sû-retés celles que le débiteur peut obtenir de la part de son auxiliaire, il faut comprendre ce terme dans le sens de « sûretés conventionnelles »496. Nous comprenons alors cette deuxième affirmation du Tribunal fédéral de la manière suivante : le bailleur qui aliène la chose louée peut se prémunir contre le danger que représente son éventuelle responsabilité, si le contrat de bail n’était pas bien exécuté, en exigeant des sûretés conventionnelles de la part de l’acquéreur lors de l’aliénation.

495 ATF 82/1956 II 525, consid. 2, JdT 1957 I 239, 242.

496 Cf. TERCIER,obligations,N 1230 ; ainsi que GAUCH/SCHLUEP/EMMENEGGER, N 3763.

343. Dans la perspective du présent chapitre, il s’agit desavoir sila raison d’être de la responsabilité du débiteur pour des tiers en cas d’inexécution au sens large d’une obligation consiste dans le fait que le débiteur, lorsqu’il se sert d’une tierce personne pour accomplir la prestation due, peut se prémunir contre le danger que constitue pour lui une éventuelle responsabilité résultant du fait de l’auxiliaire en exigeant des sûretés conventionnelles de la part de ce dernier.

A. Indifférence de cet élément dans l’application de l’art. 101 al. 1 CO 344. De fait,on ne peut pas affirmer que tout débiteur peut se garantir contre le péril que représente pour lui une éventuelle responsabilité du fait du tiers auquel il fait appel pour exécuter son obligation en exigeant des sûretés conventionnelles de la part de ce dernier.

345. Ainsi, une telle assertion n’est pas vraielorsque le débiteur se trouve en position de faiblesseet n’a donc pas le pouvoir de négociation nécessaire pour exiger des sûretés de la part de ses futurs auxiliaires.

Exemple 1 :Le bailleur qui veut vendre l’immeuble loué parce qu’il a besoin d’argent alors que ses acquéreurs potentiels connaissent sa situation se trouve dans une position de faiblesse qui ne lui permet pas d’exiger grand-chose de l’acquéreur auquel, en lui aliénant la chose louée, il confie l’exécution de ses obligations envers le locataire.

346. De même, une telle affirmation n’est pas fondée lorsque le débiteur est suffisamment puissant pour exiger des sûretés, mais ne peut pas en obtenir de sérieuses, car son auxiliaire n’a pas le crédit nécessaire pour lui en accorder.

Exemple 2 :Le garagiste qui s’engage à réparer les freins de la voiture d’un de ses clients et qui charge son ouvrier mécanicien d’accomplir la réparation ne pourrait d’aucune manière obtenir des sûretés suffisantes de la part de ce der-nier pour le préjudice, considérable, qui pourrait résulter d’une mauvaise exé-cution du travail, si son auxiliaire est jeune et, de ce fait, n’a pas pu constituer d’économies sérieuses.

347. Or, en cas d’inexécution au sens large, un débiteur répond du préjudice causé par l’auxiliaire auquel il a fait appel pour accomplir la prestation due, à moins qu’il apparaisse que, s’il avait agi lui-même comme ce dernier l’a fait, il n’aurait pas engagé sa responsabilité497; il est alorsindifférent quele débiteur ait pu ou non se prémunir contre le danger que représente pour lui une éven-tuelle responsabilité du fait de ce tiers en exigeant des sûretés conventionnelles de la part de ce dernier.

348. Si la raison d’être de l’art. 101 al. 1 CO était de rendre responsable celui qui, en faisant appel à une tierce personne pour exécuter sa dette, peut se

497 Concernant la preuve libératoire à la disposition du débiteur en matière de responsabilité pour des auxiliaires, cf. le chapitre II.2., p. 147, N 434 ss.

garantir contre le péril que constitue son éventuelle responsabilité du fait de ce tiers en exigeant des sûretés conventionnelles de la part de ce dernier, cet élé-ment ne devrait-il pas jouer un rôle dans l’application de la règle de droit elle-même ? En particulier, ne faudrait-il pas que le débiteur qui ne peut pas obtenir de telles sûretés n’engage pas sa responsabilité ? L’indifférence de cet élément dans l’application de l’art. 101 al. 1 CO constitue unpremier indiceque l’idée n’est, en réalité, pas pertinente par rapport à la raison d’être de la responsabi-lité du débiteur pour le fait d’autrui.

B. Légitimité de cette indifférence

349. On a vu que l’équité exige que la responsabilité du débiteur soit enga-gée pour les auxiliaires de ce dernier dans la même ampleur que ce qu’elle le serait si le débiteur n’avait pas confié à un tiers l’accomplissement de la presta-tion due mais s’en était occupé personnellement498. En particulier, il se justifie que, si le créancier ne peut plus obtenir la prestation qui lui est due, ne le peut qu’imparfaitement ou ne l’a obtenue qu’imparfaitement499en raison des agisse-ments d’un auxiliaire du débiteur, le fait que, pour une raison ou pour une au-tre, ce dernier n’ait pas pu se prémunir contre le danger représenté par son éventuelle responsabilité pour le fait d’autrui en obtenant des sûretés conven-tionnelles de la part de son auxiliairene suffit pas pour qu’il soit mieux traité que s’il avait eu le même comportement que celui-ci. Une solution plus avanta-geuse pour le débiteur ne peut résulter que de l’accord des parties au contrat.

350. Par identité de motifs,le fait que le débiteur ait obtenu des sûretés conventionnelles de la part de son auxiliaire ne doit pas permettre au créancier d’exiger de l’autre la réparation de son dommage, s’il apparaît que, le débiteur ayant agi comme son auxiliaire l’a fait, il n’aurait pas été tenu pour respon-sable.

C. Extranéité de cet élément par rapport à la raison d’être

351. Par un raisonnement similaire à celui qu’on a effectué concernant la première des deux affirmations du Tribunal fédéral retenues500, il résulte des deux paragraphes précédents (II.1.2.2.A., N 344 ss, et II.1.2.2.B., N 349 s.) que la raison d’être de la responsabilité du débiteur pour des tiers en cas d’inexécu-tion au sens largene réside pasdans le fait que celui-là, lorsqu’il se sert d’une tierce personne pour exécuter sa dette, peut se prémunir contre le danger que

498 Sur lampleur équitable de la responsabilité du débiteur pour des tiers, cf. le paragraphe II.1.2.1.B., notamment N 338.

499 Cf.VONTUHR/ESCHER, § 69 IV, p. 107.

500 Concernant lidée selon laquelle le débiteur crée un danger dinexécution en faisant appel à une tierce personne en relation avec la raison d’être de la responsabilité du débiteur pour des tiers, cf. le para-graphe II.1.2.1., p. 112, N 330 ss.

constitue pour lui une éventuelle responsabilité résultant du fait de l’auxiliaire en obtenant des sûretés conventionnelles de la part de ce dernier.