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5. ÉLÉMENTS DE DISCUSSION

5.1. Des résultats sous la loupe des clés d’interprétation

5.1.3. Sujets de vie plutôt qu’objets de protection

Pour Malherbe, l'enjeu éthique fondamental dans l’intervention réside dans la place que l’on consent à reconnaître ou à dénier à la parole du sujet. Il soutient que c’est dans la réduction du sujet à l’objet que se manifeste le risque de violence en intervention. Il prône un rapport intersubjectif qui reconnaît le droit de parole et qui considère le sujet dans sa globalité. En d’autres mots, qu’il ne soit pas seulement le simple acteur d’une vie se déroulant sous la dictée d’un autre qui en a conçu le scénario, mais qu’il puisse être lui-même l’auteur de sa propre vie. Dans cette perspective, l’autonomie du sujet constitue la pierre angulaire dans l’intervention et refuser son

droit de parole à un usager s’avère une grave atteinte à sa dignité humaine (Malherbe, 2006). On se rappellera que l’autonomie dont on parle dans la présente recherche doit nécessairement être comprise dans un contexte où le mandat de protection est pleinement assuré. Ainsi comprise, l’autonomie ne fait néanmoins pas abstraction des lois qui encadrent la pratique professionnelle en protection de l’enfance. À l’inverse, elle suppose que le professionnel ira au-delà de sa simple application dans sa prise de décision et dans l’actualisation de ses interventions, pour s’inscrire dans le respect de la condition d’autrui et le reconnaître dans toute sa singularité.

À la lecture des représentations que se font les jeunes qui ont participé à la recherche, il est légitime de se questionner à savoir si nous mettons réellement en place les conditions pour favoriser ce processus d’autonomisation et d’individuation. Les adolescents qui ont participé à la recherche se sentent-ils réellement considérés comme sujets? Perçoivent-ils avoir une réelle possibilité de parole dans les décisions qui les concernent? Perçoivent-ils avoir la possibilité d’être l’auteur de leur propre scénario de vie ou à l’inverse, se perçoivent-ils restreints à devoir actualiser celui écrit sous la dictée d’un autre sans avoir aucun droit de regard ni droit de parole sur celui que l’on écrit pour eux?

Les témoignages des jeunes suscitent un sérieux questionnement quant à la présence d’un écart entre les représentations qu’ils se font de leur réalité et des éléments qu’ils perçoivent comme étant positifs ou qu’ils souhaiteraient voir actualisés. Il n’est pas étonnant que l’on retrouve parmi les éléments qu’ils souhaitaient mettre en relief dans la recherche, la possibilité de pouvoir participer à leur plan d’intervention, d’être impliqués dans les décisions qui les concernent, de pouvoir s’impliquer dans la programmation et de planifier des activités. Le même constat concernant leurs représentations des difficultés qu'ils rencontrent avec leurs intervenants : plusieurs d'entre eux soutiennent le fait de ne pas avoir droit à la parole, ne pas être impliqués dans la programmation de leur quotidien, dans les décisions les regardant, que ce soit pour le plan d'intervention et sa révision. Par contre, la relation avec leur intervenant apparait positive, en particulier lorsqu'ils se sentent compris, impliqués dans les décisions les concernant, soutenus dans leurs démarches, sécurisés et soutenus par un cadre de vie stable.

Non seulement la matrice de Malherbe devient à ce moment-ci une réponse au besoin impératif de concilier le cadre très normatif d’un centre de réadaptation et les besoins d’individuation et d’autonomisation de ces jeunes, mais elle nous indique la voie du comment il

peut être possible d’y répondre favorablement. La communication y occupe une place décisive. En effet, pour Malherbe, la relation aidant-aidé implique nécessairement un acte de communication entre au moins deux personnes et cet acte de communication implique qu’il faille offrir une véritable écoute de l’autre, s’assurer que l’information circule correctement sans trop de déformation, en d’autres mots, que l’on se « comprenne bien ». Il propose les conditions les plus favorables à cette libre circulation d’informations dans l’acte de communication qui se résume en définitive à être attentif à l’autre et le reconnaître dans toute sa singularité (Malherbe, 2000, 2003, 2006, 2007; Malherbe, Courbat, Pétel et Salem,2010). Un jeune l’avait résumé ainsi en parlant de l’attitude et de l’écoute dans la relation avec son intervenant « qu’il s’intéresse réellement à moi ».

Ce qui nous ramène en guise de synthèse à la définition de la bienfaisance de Gendreau- Tardif, inscrite cette fois-ci dans une perspective psychoéducative, voulant que le bienfaire se traduise à travers le processus d’aide permettant à un jeune « dont le développement est entravé ou compromis par de grandes difficultés d’interaction avec son milieu, de renouer avec ce milieu de manière à y puiser les ressources dont il a besoin pour poursuivre son développement, utiliser ses capacités à leur plein potentiel et réaliser son projet de vie dans la plus grande autonomie. » (1999, p. 22). Abordés sous cet angle, les actes de bienfaisance s’ancrent concrètement au quotidien dans la relation de confiance qui doit s’instaurer entre l’intervenant et le jeune, et ce, notamment à travers la bienveillance exprimée par des attitudes d’écoute, d’empathie, de sollicitude et de respect des droits de l’adolescent, ceci incluant sa participation aux décisions le concernant pour en faire un véritable sujet.

S’inscrivant dans cette même logique, les choix méthodologiques inhérents à cette recherche auront offerts aux jeunes qui ont choisi d’y participer, un espace de parole, un lieu, pour construire à l’intérieur d’une démarche de groupe un savoir à partir de leur propre perception d’une réalité, soit la perception qu’ils ont de leurs rapports avec les intervenants qui gravitent auprès d’eux.

La prochaine section s’attardera à discuter les forces et les limites de cette recherche : les critères de scientificité, ainsi que le contexte très particulier dans lequel la recherche s’est actualisée. Au préalable, il sera tracé un bref survol du parcours ayant mené à l’actualisation de ce projet.