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2. DEUX CLÉS D’INTERPRÉTATION : L’ATTACHEMENT ET L’AUTONOMIE

2.2. Au cœur de l’intervention : l’attachement et la relation

2.2.4. L’établissement de nouvelles relations d’attachement à l’adolescence

L’adolescence est une période de changements importants au niveau développemental : le jeune consolide son identité, s’autonomise, établit de nouvelles relations sociales, accède à la sexualité adulte et définit son intimité (Habets, 2014). La théorie de l’attachement s’avère intéressante pour aborder les enjeux développementaux associés à cette période du développement humain puisqu’elle s’appuie à la fois sur la qualité de la relation d’attachement actuelle aux figures parentales et sur les habiletés acquises grâce à une relation d’attachement sécurisante depuis l’enfance, ou encore les difficultés qui émergent en lien avec une relation d’attachement insécurisante. Elle propose aux cliniciens un cadre des plus pertinents pour mieux comprendre le fonctionnement de l’adolescent et favoriser l’émergence d’habiletés qui, pour différents motifs, n’auraient pu s’actualiser dans la relation parent-enfant (Comtois- Dubois et Cyr, 2009).

52Bien qu’elle n’ait pas été mentionnée, une nouvelle approche issue des courants de Bowlby et d’Ainsworth est née en 2008, soit

Il est utile de rappeler que le concept de sécurité d’attachement fait référence à la capacité de la personne à rechercher le réconfort auprès d’une figure significative lorsqu’elle se retrouve en détresse et, une fois la détresse résorbée, à sa capacité à se rendre à nouveau disponible pour explorer l’environnement et favoriser ainsi ses apprentissages. Ces deux composantes que sont la recherche de sécurité et l’ouverture au monde avec l’exploration de l’environnement sont toujours d’actualité à l’adolescence, à la différence que la seconde occupe habituellement une place prépondérante. La pression vers l’autonomisation et l’individuation y est à ce point intense et persistante qu’elle entre en compétition avec le système d’attachement. L’adolescent cherche notamment à se distancier de son parent et le temps passé en sa présence devient moins important au profit de ses pairs (Dubois- Comtois et Cyr, 2009). Cette étape marquée par de profondes transformations développementales oblige un remaniement des relations avec les figures d’attachement parentales. Elles conduisent, pour l’adolescent, à la création de nouveaux liens d’attachement avec les pairs et à une décentration du cercle familial qui, jusque-là, en ce qui concerne la population normative, constituait le principal univers relationnel.

Les relations sociales plus intimes avec les pairs et les partenaires amoureux qui s’ajoutent peuvent constituer pour le jeune de nouvelles relations d’attachement sur lesquelles il lui est possible de compter en situation de stress ou d’adversité. Ces figures d’attachement nouvelles peuvent répondre à des besoins que les anciennes figures ne parvenaient pas à combler. L’adolescent qui présente un attachement sécure devient plus indépendant vis-à-vis sa figure parentale, tout en maintenant un contact rassurant avec elle. Ce n’est pas tant la proximité physique de sa figure parentale qui assure son réconfort, comme la confiance en la disponibilité et en l’accessibilité de cette figure en situation de besoin (Atger, 2007; Claes, 2003, 2004, 2014; Dubois-Comtois et Cyr, 2009; Delage, 2008; Habets, 2014).

L’attachement parental sécure est associé à une série d’indicateurs favorables au niveau des compétences sociales et à de bonnes capacités d’adaptation face aux événements stressants. Il agit notamment comme un puissant facteur de protection contre la maladie mentale et l’engagement dans des comportements déviants à l’adolescence (Allen et al., 1998). En revanche, la situation se révèle différente chez les adolescents qui affichent un attachement insécure puisque leurs besoins d’attachement entrent constamment en conflit avec les enjeux d’autonomisation et d’individuation, rendant ces processus plus laborieux (Habets, 2014).

Certains jeunes se montreront incapables d’explorer le monde et de s’autonomiser, se repliant sur eux-mêmes et s’enfermant littéralement pour éviter d’être confrontés à un sentiment d’insécurité insurmontable. D’autres, poussés à l’autonomie dans un contexte défavorable, seront susceptibles de développer des symptômes dont la fonction sera de maintenir une proximité avec les figures d’attachement dans un lien de dépendance relationnelle. Ces symptômes ont une fonction adaptative dans la mesure où ils visent pour l’adolescent à retrouver une certaine sécurité. Par ailleurs, l’adolescent aux prises avec des liens d’attachement insécures, se voyant incapable de s’adapter à la réalité en modifiant ses représentations, cherchera au contraire à modifier sa perception de la réalité pour la faire coïncider avec ses modèles internes opérants (Habets, 2014). Comme une forte majorité de jeunes hébergés en centre de réadaptation affiche un attachement insécure ou désorganisé (Breton, Côté et Pascuzzo, 2014; Dozier, Higley, Albus et Nutter, 2002), il semble effectivement indiqué de différencier l’intervention pour s’adapter aux besoins respectifs de chacun et ainsi les aider au mieux dans cette étape cruciale de leur développement. La théorie de l’attachement offre un fil conducteur qui permet de tenir compte à la fois des enjeux relationnels et des caractéristiques individuelles des jeunes. L’adolescent a besoin de « s’individuer », de s’autonomiser, mais pour ce faire, il a aussi besoin d’être attaché de manière sécure, travail qui ne peut s’effectuer qu’à travers les relations (Delage, 2008).

Dubois-Comtois et Cyr (2014) voient des applications thérapeutiques très encourageantes dans une meilleure connaissance de ce que nous enseigne la théorie de l’attachement. Elles énoncent trois principes qui ont mené à la mise en forme des deux tableaux suivants qui permettent d’illustrer le développement de l’attachement à l’adolescence et les cibles d’intervention à privilégier.

« Le premier principe de l’application clinique de la théorie de l’attachement est que son objet d’intervention est le mode de fonctionnement relationnel de l’individu. Dans ce sens, l’objectif premier vise à promouvoir le développement des habiletés qui émergent au sein d’une relation optimale avec la figure d’attachement en fonction de l’âge développemental de l’individu. Le deuxième principe est que l’intervention doit offrir la possibilité à l’individu de donner un nouveau sens à ses expériences d’attachement.

Le troisième principe est que l’atteinte des objectifs ne peut se réaliser que par l’entremise d’un thérapeute agissant en tant que figure d’attachement sécurisante » (Dubois- Comtois et Cyr, 2014, p. 150).

LE DÉVELOPPEMENT DE L’ATTACHEMENT À L’ADOLESCENCE ET LES CIBLES D’INTERVENTION

(Dubois-Comtois et Cyr, 2014, p. 146)

Que le jeune présente des problématiques liées à l’attachement, ou encore un trouble réactionnel de l’attachement de l’ordre de la pathologie, l’objet d’intervention découlera du fonctionnement relationnel du jeune et de la création d’un lien de confiance : lien de confiance présentant comme le supportent les auteurs « un havre de sécurité et une base sécurisante pour l'exploration des pensées et des émotions. » (Dubois-Comtois et Cyr, 2014, p. 146).

Mais comment l'unité de vie en centre jeunesse peut-elle représenter ce « havre de sécurité? » La prochaine partie tente d'y apporter un certain éclairage.

« Insécurité de l’attachement et pression vers l’autonomie, lorsque leur intensité est trop grande ou leur rapport trop inégal, risquent à l’adolescence, de déséquilibrer la balance attachement-exploration, de transformer la base sûre en prison, paralysant le développement du sujet, avec comme seule issue l’agir pathologique. » (Atger, 2007, p. 78)