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3. DES CHOIX MÉTHODOLOGIQUES ADAPTÉS À UN CONTEXTE PARTICULIER

3.1. Coconstruction à partir de leurs connaissances expérientielles

3.1.1. L’expression des participants : un défi en soi

Le principal défi dans mon projet de recherche s’avère la mise en place de conditions propices pour que tous les participants, dans ce cas-ci des adolescents hébergés pour la plupart contre leur gré, se sentent à l’aise de s’exprimer. De parler au sujet de leur point de vue, mais aussi de discuter en toute sérénité « des aspects qui les opposent, qui les relient, des nuances entre leurs visions, leurs croyances ou leurs opinions » sur les thématiques soumises au groupe (Baribeau, 2009, p. 135). Se pose alors comme prémisse l’importance de favoriser un véritable dialogue entre les membres du groupe pour ainsi soutenir l’émergence d’une connaissance se voulant la plus représentative possible de la réalité de chacun.

L’entretien de groupe crée une dynamique qui, pour certains participants, favorise un sentiment de sécurité; l’ouverture des uns incite la participation des autres (Boutin, 2007). Toutefois, cette dynamique de groupe peut aussi comporter des incidences négatives. Certains participants peuvent être réticents à exprimer leurs véritables pensées. D’autres voudront plutôt donner un point de vue qui se rallie à la majorité ou encore se montrer sous un jour favorable au regard des autres membres du groupe et orienter leurs réponses en conséquence (Boutin, 2007; Geoffrion, 2010). On ne peut être assuré de savoir exactement ce que chaque jeune pense ou éprouve dans une dynamique de groupe. La présence d’un climat permissif et non menaçant, le fait de préciser en début de chaque rencontre qu’il n’y a pas recherche de consensus, qu’aucune réponse n’est meilleure qu’une autre et qu’il demeure important d’exprimer son opinion même si elle diffère de celles des autres, tout cela aurait une incidence favorable pour diminuer le phénomène de la désirabilité sociale (Leclerc, Bourassa, Picard et Courcy, 2011). Boutin (2007)

soutient qu’effectivement « la façon dont se déroule l’entretien de recherche exerce une influence déterminante sur la qualité des données recueillies et bien évidemment, sur celle de la recherche dans son ensemble. » (p. 47).

Par ailleurs, l’entretien de groupe offre la possibilité pour la chercheuse de sonder le pourquoi des réponses auprès des participants et pour ceux-ci, l’opportunité d’en expliquer le motif. Ces précisions amènent une compréhension plus approfondie des réponses fournies. Il se révèle néanmoins important de porter une attention particulière à la manière de mener la discussion pour éviter d’influencer les participants et d’introduire des biais de nature à contaminer les données (Baribeau et Germain, 2010; Boutin, 2007).

En dépit des limites évoquées sur l’utilisation du groupe comme dispositif de collecte de données, la revue de la littérature a permis d’adapter une formule pouvant convenir aux caractéristiques du projet de recherche envisagé. La flexibilité de ce dispositif rend possibles les réaménagements requis pour s’ajuster aux conditions particulières de ces jeunes (Baribeau et Germain, 2009, 2010; Boutin, 2007; Campenhoudt, Chaumont et Franssen, 2005; Duchesne et Haegel, 2008; Geoffrion, 2010; Simard, 1989). La programmation des activités devait néanmoins assurer un équilibre entre une structure suffisamment encadrante pour éviter l’itinérance et le désintérêt des participants, tout en offrant l’espace approprié à une véritable réflexion et à un dialogue fécond. Si les activités se voulaient des prétextes pour mettre les jeunes en relation, elles aspiraient tout autant à favoriser un climat et une dynamique propice à la discussion et à donner accès à des leviers permettant l’émergence d’une construction de groupe où chacun des participants à la démarche était susceptible de se reconnaitre.

À cela s’ajoutaient des défis liés aux particularités du contexte de la recherche. La composition des groupes serait peu homogène en regard des problématiques et de l’âge des participants. Les adolescents arriveraient, pour la plupart, avec un « bagage de vie » considérable faisant ici référence à un parcours de vie difficile et aux circonstances les ayant menés à être hébergés en centre de réadaptation. Les évènements du quotidien feraient en sorte que certains d’entre eux seraient moins disposés certaines journées. De plus, les thématiques abordées étaient susceptibles de les mettre en contact avec leurs blessures. Par ailleurs, à mon rôle d’étudiante chercheuse s’ajoutait celui d’animatrice des rencontres de groupe. En parallèle, plusieurs enjeux

de sécurité59 liés au contexte particulier de la recherche devaient forcément être considérés afin de minimiser le risque de blessures et de limiter le danger de fugues. À titre d’exemple, l’achat du matériel destiné aux activités a requis une attention particulière pour s’assurer qu’aucun item ne puisse comporter de risque pour la sécurité de chacun et l’intégralité des activités s’est tenue à l'intérieur du Centre St-Georges.

Une première démarche s’est rapidement imposée voulant que je m’associe à une professionnelle détenant une expertise reconnue auprès de la clientèle du centre jeunesse, afin de concevoir une programmation d’activités60 qui serait adaptée aux exigences et aux contraintes liées à mon projet. Il fallait aussi que j’expérimente préalablement, à titre de participante, chacune de ces activités avec la professionnelle consultée pour me les approprier, et en valider la pertinence avant de les faire vivre éventuellement aux groupes. J’ai donc fait appel à une art-thérapeute, pour m’aider à élaborer l’ensemble des activités et les mettre à l’épreuve par la suite. Le bien-fondé de cette démarche se confirmera tout au long des activités de collecte de données.

« L’objet de recherche se construit progressivement, en lien avec le terrain, à partir de l’interaction des données recueillies et de l’analyse qui en est tirée […] : il est donc à la fois un point de départ et un point d’arrivée. » (Deslauriers et Kérisit, 1997, p. 94)