• Aucun résultat trouvé

2. DEUX CLÉS D’INTERPRÉTATION : L’ATTACHEMENT ET L’AUTONOMIE

2.3. Sujet de vie ou objet de protection

2.3.3. Le cadre conceptuel de la matrice de l’autonomie réciproque

Pour Malherbe, on l’aura compris, l'enjeu éthique fondamental en relation d’aide réside dans la place que l’on consent à reconnaître à l’autre : le jeune et ses parents. Il prône un rapport intersubjectif qui considère le sujet dans sa globalité et qui lui reconnaît inconditionnellement son droit de parole. En définitive, que le sujet ne soit pas seulement le simple acteur d’une vie se déroulant sous la dictée d’un autre qui en a conçu le scénario, mais qu’il puisse être lui-même l’auteur de sa propre vie.

Un premier élément attractif se révèle dans la distinction que l’auteur (Malherbe, 2006) introduit entre la relation de pouvoir et celle d’autorité pour aborder le concept de l’autonomie et sa dimension de réciprocité. L’autorité caractérise le fait de ne pas être seulement le simple acteur d’une vie se déroulant sous la dictée d’un autre qui en a conçu le scénario, mais aussi au fait d’en être l’auteur. En revanche, le pouvoir caractérise celui qui possède la capacité d’écrire le scénario de la vie des autres. Suivant cette logique, le pouvoir désigne la capacité « d’objectifier » autrui, de le considérer comme un simple objet, alors que l’autorité constitue l’exercice de la subjectivation visant à reconnaître l’autre comme sujet de sa propre vie.

Une nuance est toutefois apportée entre l’action d’objectifier et celle d’objectiver, l’objectivation (et non l’objectification) étant requise à certains moments de l’intervention pour favoriser une meilleure compréhension d’une situation. Faisant un parallèle avec la pratique de la médecine, il explique qu’il y a un moment où l’objectivation s’avère une condition indispensable pour qu’elle soit efficace, tout en réaffirmant la nécessité de toujours revenir au rapport intersubjectif entre le praticien et le patient56 (Malherbe, Courbat, Pétel et Salem, 2010).

56 J’ai une douleur au genou; je serai heureux le jour où l’on fera une radiographie de mon genou et qu’un médecin compétent fera une

lecture de cet objet – genou : épanchement synovial, ménisque abîmé, cartilage usé, arthrose, ou que sais-je? Il y a là un moment d’objectivation qui est une condition pour que la médecine soit efficace. Le problème, c’est lorsque le médecin parle du « genou de la 117 » : là on n’est plus dans l’objectivation, on est dans l’objectification : je suis le genou de la117. Non, c’est moi. Je m’appelle Jean- François (Malherbe, Courbat, Pétel, et Salem, 2010, p. 22).

Malherbe nous convie par la suite à la construction progressive de sa matrice clarifiant le concept d'autonomie réciproque ainsi que la notion du respect de soi et des autres. La relation aidant-aidé implique nécessairement un acte de communication par lequel des interactions et des échanges d’informations se vivent entre au moins deux personnes. Il consiste à s’expliquer, à vérifier que l’information circule correctement sans trop de déformation et à s’assurer que l’on se comprend bien. Voulant identifier les conditions les plus favorables à la libre circulation d’informations dans l’acte de communication, l’auteur l’analyse sous l’angle de quatre considérations : la matière, la forme, l’opération ainsi que sa finalité.

La matière représente la relation entre les personnes, ce que l’acte de communication travaille. Respecter à la fois l’autre et soi, c’est en même temps reconnaître sa présence mutuelle, ses différences et son équivalence en humanité d’égale valeur, et ce, en dépit de toutes les différences de fait (physiques, raciales, biologiques, sociales, économiques, culturelles, etc.) qui pourraient nous séparer l’un de l’autre. L’auteur appelle cette relation, la « présence » de l’un à l’autre, leur attention mutuelle (Malherbe, 2006, 2007; Tremblay, 2007).

La forme est ici regardée comme la transformation opérée par l’acte de communication. « Il transforme une communication approximative et floue qui porte en germe un tas de risques de malentendus, d’erreurs, voire de mensonges, en communication plus précise et plus nette, mieux assurée de ne pas faire obstacle à l’éclosion de la vérité. » (Malherbe, 2006, p. 3). Il énonce trois interdits sous une forme symbolique, l’homicide, l’inceste et le mensonge, qui sont en fait la négative des éléments mentionnés au paragraphe précédent. La réciprocité de ces interdits signifie qu’ils s’appliquent autant à l’un qu’à l’autre, chacun devant démontrer par ses propres actions ce qu’il attend de l’autre (Tremblay, 2007).

À la question portant sur les pratiques ou encore les opérations par lesquelles l’acte de communication prend sa forme, Malherbe nous ramène à un travail sur soi. Il soutient que pour laisser advenir la vérité dans l’acte de communication, il est nécessaire que chacun puisse assumer sa condition humaine qu’il traduit par sa solitude, faisant référence au fait de parler « en je », sa finitude, voulant que l’humain ait des moyens limités et son incertitude liée à la recherche d’une vérité et d’une certitude qui lui échappe constamment.

C’est ainsi que les concepts d'autonomie réciproque et du respect de soi et des autres prennent la forme d’une matrice conceptuelle reprenant les douze éléments inter reliés entre eux, tels que le présente le tableau suivant.

MATRICE DE L’AUTONOMIE : LE RESPECT DE SOI ET DES AUTRES57

La matière du dialogue consiste

À reconnaître

Entre l’autre et moi

La forme du dialogue se présente sous trois interdits À respecter Les interdits de Le dialogue apparait possible en présence de trois conditions À assumer

Son humaine condition

Les valeurs fondamentales qui rendent le dialogue possible À cultiver Des valeurs de La présence de l’autre L’homicide [interdiction de nier l’autre, de l’ignorer, de le rejeter…] Sa solitude [parler en je en assumant sa propre solitude] La solidarité

[qui prend davantage figure de justice dans certains contextes] La différence d’autrui L’inceste [interdiction de se servir d'autrui, ne pas l’utiliser, l'instrumentaliser, ce que Malherbe appelle son objectification]

Sa finitude

[reconnaître ce dont je suis capable,

elle renvoie à nos capacités et à nos impuissances]

La dignité

[qui fait référence à la capacité de se considérer avec justesse] Notre équivalence [Respect mutuel] Le mensonge

[ne pas tromper autrui]

Son incertitude

[il demeure toujours des hésitations, des doutes, une nécessité de choisir]

La liberté

[préalable incontournable au dialogue]

La finalité qui se trouve poursuivie à travers cet exercice est que chacun puisse bénéficier d’une communication plus harmonieuse, être davantage soi-même et faire preuve d’humanité; être entendu, avoir une réelle possibilité de parole, se connecter à sa propre humanité (Malherbe, 2006; Tremblay, 2007).

Ce cadre conceptuel permet d’aborder de façon concomitante l’aspect pratique de l’intervention avec une clientèle adolescente et les enjeux éthiques qui y sont liés, tout en étant transposables dans un contexte tel que celui de la réadaptation en centre jeunesse. Le défi d’une plus grande autonomie en contexte d’aide contrainte demeure à la fois un enjeu central et un défi puisque la relation aidant-aidé s’inscrit la plupart du temps à l’intérieur d’une relation de vive opposition des usagers aux services offerts et d’une non-reconnaissance face à la légitimité de la présence de l’aidant.

La relation d’aide exercée à l’intérieur d’un mandat de protection implique pour l’aidant de se retrouver en relation d’autorité et de devoir répondre de normativités sociales et juridiques prescrites. Accueillir l’autre dans ce qu’il est, ce qu’il vit, être attentif à sa subjectivité, ses choix et ses propres fins, l’accompagner selon son propre rythme pour le mener là ou lui veut aller tout en respectant son droit à prendre connaissance des vrais enjeux de sa problématique et à lui reconnaître sa capacité à assumer sa condition vie, prend tout son sens au cœur de l’intervention (Tremblay, 2007, p. 32). À travers la matrice de l’autonomie réciproque, Malherbe nous suggère la voie pour respecter la condition d’autrui et éviter de lui faire violence en le niant comme sujet; agir de sorte que le sujet ne soit pas seulement le simple acteur d’une vie se déroulant sous la dictée d’un autre qui en a conçu le scénario, mais qu’il puisse être lui-même l’auteur de sa propre vie (Malherbe, 2000, 2003, 2006, 2007; Malherbe, Courbat, Pétel et Salem, 2010).

Il est maintenant temps d'établir des liens entre ces deux lunettes et de voir jusqu'à quel point elles parviennent à rendre compte de cette nécessité du développement humain : avoir des racines et des ailes.

Le principal message de John Bowlby « est certainement que le lien n’implique pas un état de dépendance, mais au contraire qu’il peut constituer un facteur d’ouverture, de socialisation. » (Pillet, 2007, p. 174)