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2. DEUX CLÉS D’INTERPRÉTATION : L’ATTACHEMENT ET L’AUTONOMIE

2.2. Au cœur de l’intervention : l’attachement et la relation

2.2.2. L’attachement, un lien vital

Un bref survol de la théorie de l’attachement nous transporte en 1948, alors que son précurseur, John Bowlby, pédopsychiatre et psychanalyste anglais, soutenait déjà l’idée « que la construction des premiers liens entre la mère ou celle qui en tient lieu répond à un besoin biologique fondamental » à satisfaire au même titre que la nourriture (Pétales, 2003, p. 5-6). Une réponse satisfaisante à ses besoins primaires amènera l’enfant à se sentir en sécurité, à faire confiance et à se lier avec le donneur de soins aussi appelé care giver. Lorsque les besoins d’attachement sont suffisamment comblés, d’autres systèmes comportementaux, telles l’exploration ou l’apprentissage peuvent être activés (Ainsworth, 1969; Ainsworth, Blehar, Waters et Wall, 1978; Bowlby, 1969). « C’est l’accessibilité à la figure d’attachement et l’assurance de pouvoir compter sur son soutien en cas de détresse qui vont permettre la création d’un lien offrant la sécurité grâce à laquelle l’enfant pourra explorer avec confiance l’univers qui l’entoure. » (Benoit, Miranda et Claes, 2009, p. 20).

Bowlby (1969) soutient que ces interactions vont donner lieu à la construction d’un modèle intériorisé opérant qui progressivement structurera l’univers relationnel et la représentation de soi de l’enfant44. « À travers la confiance que l’enfant a en son parent, parce que celui-ci aura répondu

44 Bowlby (1979) a développé le concept de « Inner working models » (modèles internes opérants, en abrégé : MIO) voulant qu’un

enfant dont le parent répond de manière prévisible, cohérente et chaleureuse à ses comportements, ses besoins et ses manifestations affectives, sera sujet à développer un MIO de son parent comme étant disponible pour interagir avec lui et répondre favorablement dans un délai acceptable à ses besoins et à ses signaux de détresse (Cyr et Dubois-Comtois, 2014; Goodman, Newton, et Thompson, 2012; Sroufe, Egeland, Carlson, et Collins, 2005). « Un tel comportement amène l’enfant à croire qu’il est digne de cette attention

suffisamment bien à ses besoins, l’enfant pourra au fil du temps devenir sa propre base sécurisante et s’appuyer sur ses ressources personnelles pour s’accomplir et résoudre les diverses difficultés de la vie » (Cyr et Dubois-Comtois, 2014). Ainsi, le type d'attachement que l'enfant développe à son parent est étroitement lié à la sensibilité de ce dernier faisant référence à sa capacité de décoder, d’interpréter et de répondre de manière appropriée, et ce, dans un délai raisonnable, aux besoins et aux signaux de l’enfant (Ainsworth, 1969).

Bien que Bowlby ait conçu les bases de la théorie de l’attachement, c’est à Mary Ainsworth psychologue développementaliste (Canada, États-Unis) et à tous ceux qu’elle a formés par la suite que l’on doit le développement d’une procédure expérimentale pour évaluer l’attachement et la mise en forme d’une première typologie de l’attachement (Noël, 2003; Wiart, 2011). Elle a instauré la « situation étrangère » ou « strange situation »45 (Ainsworth et al., 1978) qui permet d’évaluer la qualité de la relation à partir de l’observation des réactions de l’enfant lors de deux courts épisodes de séparation-réunion d’avec sa figure d’attachement. Cette procédure met en évidence trois catégories de réactions distinctes ou de « patterns d’attachement » (catégories A, B, C). Ainsworth décrit les liens d’attachement entre l’enfant et le fournisseur de soins comme étant soit sécurisants (B) ou insécurisants; l’attachement insécurisant se voit subdivisé en modèle évitant (A) et en modèle ambivalent (C) (Guedeney, 2010).

Mary Main (psycholinguiste), une des étudiantes les plus connues d’Ainsworth, permettra d’opérationnaliser la théorie de l’attachement et de faire évoluer les méthodes de recherche au- delà de la première année de vie de l’enfant, et ce, jusqu’à l’âge adulte. Elle établit en 1985 avec Carol George et Nancy Kaplan, un protocole d'entretien semi-structuré à partir des analyses des discours des parents dont les enfants ont été observés à la Situation Étrange. Cet instrument connu sous le nom d'Adult Attachment Interview (AAI)46, ou « entretien d'attachement adulte » interroge le niveau des représentations de l’adulte (les relations que les adultes ont vécues avec chacun de leurs parents et comment ces relations ont évolué jusqu’à aujourd’hui) et permet de classer les

parentale, ce qui l'incite à développer une représentation de soi positive, ayant une valeur aux yeux de son parent » (Tarabulsy et al., 2015, n.p).

45 « L’élaboration de ce paradigme vise à créer une tension graduelle chez l’enfant afin d’activer le système d’attachement et d’étudier

l’organisation du comportement vis-à-vis de la figure d’attachement alors que l’enfant est en situation de détresse potentielle. Le codage est réalisé ensuite par un observateur entraîné. Ce qui emporte la décision de catégorisation est la réaction de l’enfant aux deuxièmes retrouvailles alors que le stress est au maximum » (Guedeney, 2010, p.23).

46 « L’entrevue d’attachement pour adulte (Main et Goldwyn, 1998) est la mesure par excellence pour évaluer l’état d’esprit

d’attachement de l’adolescent. Certains auteurs ont modifié légèrement l’entrevue afin d’en faciliter l’administration aux enfants aussi jeunes que dix ans (Ammaniti, Van IJzendoorn, Speranza, et Tambelli, 2000) » (Dubois-Comtois et Cyr, 2009, p.147).

différents récits en fonction des expériences d’attachement. Main nomme ces manières d’être les « états d’esprit actuels quant à l’attachement » (Guedeney, 2010, p. 43).

L’année suivante, suite à l'observation et l'étude de situations étrangères non classifiables, Mary Main, en collaboration avec Judith Solomon, propose l'ajout d’un quatrième schème d'attachement. Le type « désorganisé » vient compléter les trois schèmes précédemment établis. Les enfants qui se retrouvent dans ce groupe se démarquent par des comportements anormaux, inconsistants, contradictoires, conflictuels et souvent déroutants en présence de la figure d'attachement. Ils peuvent s’agripper à la figure d’attachement tout en détournant le regard, ou encore pleurer à son départ sans vouloir s’en rapprocher. À l’encontre des enfants que l’on retrouve dans les précédentes catégories, ils ne semblent pas disposer d'une stratégie constante pour faire face aux événements stressants ni pour gérer la proximité et la protection de la figure d'attachement. Les chercheurs relient cette catégorie aux problématiques d’abus, de violence et de traumatismes non résolus. Cette quatrième catégorie, l'attachement désorganisé (groupe D), représente 15 % de la population normative alors qu’elle serait présente à 51 % chez les enfants victimes de maltraitance47 (Cyr, Euser, Bakermans-Kranenburg et Van IJzendoorn, 2010; Van IJzendoorn, Schuenge et Bakerarmans-Kranenburg, 1999).

Par ailleurs, bien que l’on distingue aujourd’hui quatre grandes catégories caractérisant le lien d’attachement (Guedeney et Dugravier, 2006; Vondra et Barnett, 1999), celles-ci ne sont pas forcément mutuellement exclusives puisque l’enfant peut développer un type d’attachement dominant tout en présentant aussi des caractéristiques d’un autre type. Il est aussi reconnu que l’enfant est susceptible d’établir des relations d’attachement avec différentes figures significatives (Bisaillon et Breton, 2010).

Le tableau suivant présente l'état des connaissances quant à ces quatre grandes catégories caractérisant le lien d'attachement.

47 « L’attachement désorganisé est le type d’attachement qui a été le plus fortement associé à des difficultés d’adaptation

socioémotionnelle, des déficits cognitifs, des troubles de comportements, une faible estime de soi et des désordres psychopathologiques à l’adolescence et l’âge adulte, incluant des troubles d’anxiété, de dissociation et des pensées suicidaires (Carlson, 1998; Carlson, Cicchetti, Barnett, et Braunwald, 1989; Dubois-Comtois, Cyr, et Moss, 2005; Lyons-Ruth, Connell, Grunebaum, et Botein, 1990; Lyons-Ruth et Jacobvitz, 2008, pour une recension; Moss, Cyr et al., 2004; Van IJzendoorn et al., 1999 métaanalyses) » (Cyr, Poulin et al. 2012, p.161).

CATÉGORISATION DES TYPES D’ATTACHEMENT CHEZ L’ENFANT

INSPIRÉ DES TRAVAUX D’AINSWORTH, MAIN ET SALOMON48

Relativement jeune, la théorie de l'attachement pose encore des défis majeurs : l'un d'entre eux étant notre capacité à bien l'évaluer. En dépit du fait que divers questionnaires et instruments de mesure comportementaux de l’attachement ont été mis au point et expérimentés au cours des trois dernières décennies, on ne retrouve pas, à l’heure actuelle, de standards ou de recommandations basés sur des données probantes préconisant l’utilisation d’un outil spécifique pour l’évaluation du lien d’attachement. En revanche, la littérature consultée met en évidence l’exigence d’utiliser plusieurs méthodes d’évaluation complémentaires et sources convergentes d’information pour effectuer une évaluation appropriée de l’attachement. Il n’existerait pas

48 « Les types d’attachement s’observent à travers les stratégies relationnelles déployées par l’enfant en situation de stress ou de

détresse et sont tributaires des comportements parentaux » (ACJQ, 2014c, p.1).

49 Tarabulsy, 2009 dans Boutet et Robillard, 2014 p.49. 50 Habets, 2014, p. 312.

TYPES

D’ATTACHEMENT

RÉPONSE DE

L’ADULTE49 RÉACTIONS DE L’ENFANT

50 SÉCURE Réponse adéquate, prévisible, constante et chaleureuse. Prévalence 60 % dans la population en général.

Ils activent leur système d’attachement

uniquement en situation de danger. Ils sont vite rassurés par la figure d’attachement et ils retrouvent rapidement leur désir d’explorer l’environnement qui les entoure.

INSÉCURE – ÉVITANT (Anxieux-évitant)

Réponse parfois intrusive ou rejetante. Les pleurs de l’enfant peuvent être perçus comme une menace. Prévalence 15 % dans la population en général.

Ils se conduisent comme si aucune situation n’était potentiellement dangereuse, comme s’ils n’avaient jamais besoin d’être rassurés. Ils se coupent de leurs émotions et ils affichent une apparente tranquillité. INSÉCURE – AMBIVALENT (Anxieux-ambivalent) Réponse imprévisible. Prévalence 8 % dans la population en général.

Ils vivent toutes les situations comme poten- tiellement dangereuses. Ils ne sont jamais rassurés et ils cherchent toujours à mobiliser l’attention de leur figure d’attachement, si bien qu’ils sont incapables d’explorer

l’environnement qui les entoure.

INSÉCURE – DÉSORGANISÉ (Désorienté- désorganisé) Réponse abusive, négligente, violente ou très contrôlante. Prévalence 15 % dans la population en général et jusqu’à 86 % chez les enfants maltraités.

Ils semblent ne pas savoir déterminer la dangerosité des situations auxquelles ils sont exposés. Ils activent leur système d’attachement de façon désorganisée, aléatoire, plus en réponse à des angoisses internes qu’à un danger présent dans la réalité. Ils cherchent les contacts avec leur figure d’attachement et les évitent en même temps. Ils les mobilisent puis s’en détournent.

actuellement d’outil suffisamment complet et apte, à lui seul, pour évaluer l’ensemble des composantes de l’attachement pour des enfants d’âge différent; en fait, la quasi-totalité des outils utilisés se base essentiellement sur l’observation (ACJQ, 2010b).

Une fois posées les bases de la théorie de l'attachement, il est important de différencier les types d'attachement des troubles qui y sont liés. C'est ce à quoi nous nous attardons dans la prochaine partie.

« La répétition des abandons est finalement l'événement le plus traumatisant, car elle interdit le développement de tous les points de repère. » (Lemay, 1993, p. 22)