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ANCRAGE THEORIQUE

3.2.2.5. Au-delà de l’unicité du sujet parlant

3.2.2.5.1. Sujet parlant

Le sujet parlant est d’après Ducrot( 1984), un être empirique, un individu du monde. Il renvoie au producteur effectif de l’énoncé. C’est l'être psychosociologique à qui est attribuée l’origine de l’énoncé. C’est l’être physique qui peut ou ne peut pas être déterminé. Il renvoie à l’individu ou les individus dont l’effort physique et moral donne lieu à l’énoncé. Il est donc extérieur à l’énoncé. Il diffère du locuteur, l’être déterminé par le sens de l’énoncé et présenté comme le seul responsable de l’énonciation. Le sujet parlant fait référence à l’extralinguistique.

Ainsi, dans notre corpus, le sujet ou les sujets parlants sont des journalistes, des spécialistes, des universitaires et des responsables dont les noms sont mis en bas ou en tête de l’article, des citoyens ou des personnes dont les noms sont mis avant ou après les propos cités. Mais parfois l’identification du sujet parlant n’est pas aussi facile que cela. Le nom du journaliste inscrit en haut ou en bas de l’article n’indique pas forcément qu’il est le sujet parlant ou qu’il est le producteur effectif des propos, car il peut s’agir de toute l’équipe éditoriale, d’un autre journaliste, du rédacteur en chef, du directeur du journal, etc. La notion de producteur peut faire référence à la personne qui a produit physiquement l’énoncé, qui l’a écrit, qui l’a tapé, qui l’a dicté, qui en a mis la forme, qui l’a mis en forme, etc. Il faut donc prendre en considération tous les éléments extérieurs qui contribuent ou qui ont contribué à la production de l’énoncé et dans ce cas l’étude du sujet parlant relèverait plutôt de la sociolinguistique et de la psycholinguistique que de la linguistique puisqu’il s’agit d’une instance extérieure à l’énoncé.

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3.2.2.5.2. Locuteur

Le locuteur renvoie à l’instance à laquelle est imputé l’énoncé dans sa matérialité phonique ou scripturale. Ducrot(1984) le définit comme « un être qui, dans le sens même de l’énoncé, est présenté comme son responsable, c'est-à-dire comme quelqu’un à qui l’on doit imputer la responsabilité de cet énoncé »(Ducrot, 1984 : 193). Le locuteur, l’être du discours, est différent du sujet parlant, l’être empirique, l’auteur effectif de l’énoncé. La présence du locuteur est exprimée par des marques linguistiques qui révèlent sa position vis-à-vis de son énoncé et son allocutaire. A chaque énoncé correspond un locuteur unique – même s’il y a une pluralité d’instances productrices comme dans le cas des énoncés dont le producteur est collectif. C’est le cas des discours émanant d’une équipe de recherche, d’une entité éditoriale, etc., et qui sont considérés comme un seul locuteur – dont les déictiques dénoncent la présence dans l’énoncé. Selon Rabatel (2003) : « Le locuteur (L) est l’instance qui profère un énoncé (dans ses dimensions phonétiques et phatique ou dans ses réalisations scripturales) selon un repérage déictique à partir d’un ego, hic et nunc ou selon un repérage indépendant de sa situation d’énonciation » (Rabatel, 2003 : 132). La présence du locuteur dans l’énoncé est marquée par l’usage de la première personne, mais pas dans tous les cas.

Dans notre corpus, il est rare que le locuteur (souvent le journaliste) s’exprime à travers la première personne. Nous savons très bien que le discours de la presse écrite est marqué dans sa majorité – malgré la présence de quelques articles à la première personne, tels que les articles rédigés par des spécialistes ou les articles de fond – par l’effacement énonciatif7, et plus particulièrement lorsqu’il s’agit des articles d’information:

1) Des travaux ont été entamés au cours de la semaine dernière dans la commune côtière de Mers Kébir, sur le territoire de la daïra d’Aïn El-Turck, pour procéder à l’aménagement des espaces verts et à la restauration du mobilier urbain.

Mardi 03 janvier 2012, p.13.

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Le locuteur de cet énoncé est identifié au journaliste malgré l’absence de toute marque linguistique qui l’indique. Il s’agit d’un énoncé tiré d’un article d’information qui se caractérise par l’effacement de l’instance énonciatrice. Nous ressentons l’existence latente de l’expression introductrice « Je vous informe que ».

Dans le cas des différentes formes du discours relaté, les marques d’inscription du locuteur sont bien déterminées :

2) « Nous sommes en train de signer ces jours-ci les contrats relatifs au projet que nous avons élaboré avec les Emiratis et les Allemands pour la fabrication de camions en Algérie», a déclaré, jeudi, le ministre de l’Industrie, de la PME et de la Promotion de l’investissement, Mohamed Benmeradi.

Samedi 04 février 2012, p.03.

3) Une vieille dame apostrophe le jeune soldat : «Mon fils est insoumis. Il a 24 ans mais il refuse de faire son service national. Je vous en prie, envoyez les gendarmes pour l’incorporer de force. Je n’en peux plus avec ce vaurien qui finira en prison». Le soldat répond gentiment : «Votre fils doit se présenter en personne pour retirer son ordre d’appel ».

Lundi 05 janvier 2015, p.02.

Dans (2), il y a deux locuteurs :

- Un locuteur citant identifié à l’aide de l’incise « a déclaré, jeudi, le ministre de l’Industrie, de la PME et de la Promotion de l’investissement, Mohamed Benmeradi », et qui renvoie au journaliste.

- Un locuteur cité : Le ministre de l’Industrie, de la PME et de la Promotion de l’investissement, Mohamed Benmeradi.

Dans (3), nous distinguons :

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- Deux locuteurs cités : la vieille dame et le jeune soldat.

Nous dirons qu’il y a un locuteur unique dans (1), alors que dans (2) et (3), le locuteur se dédouble en faisant apparaître dans une énonciation attribuée à lui, une ou des énonciations imputées à un ou d’autres locuteurs. Dans d’autres situations, il peut s’agir d’un locuteur collectif, anonyme ou des deux comme dans l’exemple suivant :

4) A propos du carburant pollué, le représentant de l’UNIPREST à Oran nous a exprimé son regret de voir ce carburant encore en circulation sans que Naftal ne soit en mesure de communiquer sur l’origine de cet incident.

Mardi 1er octobre 2013, p.03.

5) Puisque nous importons de tout, pourquoi ne pas importer des politiciens avec des «plans» ?

Mardi 1er octobre 2013, p. 11. 6) Gouverner c’est, dit-on, prévoir.

Mardi 11 janvier 2011, p. 02.

Dans (4) le locuteur est représenté par le pronom personnel nous qui renvoie au journal, le journaliste est donc le porte-parole de toute l’équipe éditoriale. Dans (5) le nous renvoie aux Algériens dont le journaliste s’exprime au nom. Dans (6) le pronom on renvoie à un locuteur représentant une communauté collective et indéterminée.

Nous constatons une survalorisation du locuteur chez Ducrot. C’est le metteur en scène et le maître de l’énonciation. Il a plusieurs tâches à accomplir :

- produire l’énoncé ;

- mettre en scène des énonciateurs ; - leur attribuer des points de vue ; - en distribuer les rôles ;

- avoir des attitudes envers ces points de vue et ces énonciateurs ;

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- identifier ou non son allocutaire à l’un de ces énonciateurs.

La responsabilité du locuteur réside d’abord dans le choix des énonciateurs et des points de vue qui leur sont attribués. Il adopte des attitudes vis-à-vis de ces énonciateurs et des points de vue qu’il leur attribue. En outre, il a la responsabilité de donner des indications sur l’identité de ces énonciateurs tout en s’y assimilant ou en s’en distanciant, comme il peut assimiler son allocutaire ou un tiers à tel ou tel énonciateur.

3.2.2.5.3. Le locuteur (L) / le locuteur (λ)

Chez Ducrot (1984), le locuteur englobe deux instances : le locuteur en tant que tel, L, et le locuteur en tant qu’être du monde (λ). Le locuteur en tant que tel est le locuteur responsable de l’énonciation. Le locuteur lambda (λ) ou le locuteur en tant qu'être du monde est considéré comme objet de l’énoncé. Il est représenté par : « une personne « complète », qui possède, entre autres propriétés, celle d’être l’origine de l’énoncé » (Ducrot, 1984 :200). Il est difficile de distinguer parfois les deux instances. Ducrot (1984) présente quelques exemples8 dont les interjections. L’interjection révèle un sentiment qui déclenche l’énonciation et qui est présenté au moyen et à travers cette énonciation :

7) Hélas, presque à la même période, chaque année, le problème du désherbage et le manque d’entretien des cimetières revient au-devant de la scène.

Dimanche 1er juin 2014, p.09.

Dans cet exemple, la marque d’interjection Hélas, révèle un sentiment de tristesse de la part du locuteur. Le sentiment de tristesse est dans ce cas intérieur à l’énonciation alors qu’il y est extérieur dans des énoncés comme « Je suis très triste », on peut contester à celui qui a recours à ce genre d’expression qu’il n’a pas ce sentiment de tristesse, ou qu’il n’a pas l’air d’être triste. Mais dans le cas d’une interjection, on ne peut pas le lui reprocher car l’interjection est en effet le produit d’un sentiment qu’elle représente. Nous dirons que (7) est attribué au locuteur en tant que tel, L, car c’est lui le responsable de l’énoncé alors qu’un énoncé comme « Je suis triste de voir (ou d’entendre) qu’à la même période, et que chaque année, le problème du désherbage et le manque d’entretien des cimetières revient au-devant de la scène »

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peut être attribué à un locuteur, λ, qui se présente comme un être- objet du monde et qui exprime sa tristesse en se désignant par le pronom je.

3.2.2.5.4. Enonciateur

Les énonciateurs correspondent à des voix qui traversent le discours d’un locuetur et qui peuvent y être implicites ou explicites. Le locuteur, le seul responsable de l’énoncé met en scène un ou plusieurs énonciateurs et qui constituent l’origine de ses dires. A un locuteur unique correspond plusieurs énonciateurs qui correspondent aux contenus exprimés dans un énoncé. Cependant, ce ne sont pas des personnes mais des êtres abstraits. Ces énonciateurs sont donc des tiers responsables des contenus, des locuteurs fictifs ou des êtres intralinguistiques qui « peuvent être identifiés et relèvent alors de diverses formes de discours rapporté » ou « non identifiés mais cependant identifiables si l’interlocuteur parvient à reconstruire la source de ces opinions. Ils seront cependant le plus souvent non identifiables » (Ducrot, 1984 : 204). Le locuteur est aux énonciateurs ce que l’auteur d’une pièce théâtrale est aux personnages. L’auteur d’une pièce théâtrale met en scène des personnages qui s’expriment par des mots, des gestes, des actions dont l’auteur n’assume pas la responsabilité. L’auteur s’adresse au public en s’assimilant ou non à l’un des personnages de la pièce théâtrale. De la même façon, le locuteur, le responsable de l’énoncé met en scène des énonciateurs tout en organisant les points de vue et les attitudes qu’il leur attribue.

Les énonciateurs seraient, donc, selon Ducrot « ces êtres qui sont censés s’exprimer à travers l’énonciation, sans que pour autant on leur attribue des mots précis ; s’ils ‘parlent’, c’est seulement en ce sens que l’énonciation est vue comme exprimant leur point de vue, leur position, leur attitude, mais non pas, au sens matériel du terme, leurs paroles » (Ducrot1984 : 204). Ce ne sont pas des êtres physiques ou des personnes mais des êtres de discours qui ne constituent que des intermédiaires entre le locuteur et les points de vue. Ils peuvent être présentés par le locuteur comme des porte-parole et dans ce cas il s’identifie avec eux, comme il peut s’accorder avec eux ou s’opposer à eux.

Haillet (2002 :4) montre que locuteur se situe par rapport aux énonciateurs qu’il met en scène de différentes façons. Il peut s’identifier à un énonciateur et prendre en charge le point de vue qu’il lui impute. Comme il peut mettre à distance un énonciateur. Ce fait qu’il avance « ne signifie pas nécessairement qu’il refuse le point de vue de ce dernier, mais simplement qu’il n’en

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revendique pas la paternité » (Haillet, 2002 :4). Il se peut que l’énonciateur corresponde au locuteur et dans ce cas, nous dirons que le locuteur s’est assimilé à l’énonciateur qu’il a mis en scène ou s’est identifié avec lui.

Toutes les définitions que nous avons présentées révèlent le caractère ambigu de la notion d’énonciateur, et dont le créateur9 (Ducrot) n’a pas encore décidé si elle doit être comprise « comme celle d’angle de vue, au sens de position à partir de laquelle est établie la représentation constituant le contenu, ou encore comme celle d’origine, de source, dont le locuteur tient le contenu, ou enfin de garant de la validité du contenu » (Ducrot & Carel, 2009 :38). En effet, la notion d’énonciateur peut englober tous ces éléments, car le nombre des énonciateurs mis en scène peut être déterminé par le nombre de positions du locuteur. Ainsi, le locuteur peut présenter le contenu de son énoncé comme émanant de lui, et dans ce cas, il se présente comme l’origine du point de vue exprimé, comme il peut attribuer ce point de vue à un énonciateur qu’il présente comme la source ou l’origine du point de vue. Nous ne pouvons pas donner des exemples sur la notion d’énonciateur sans parler de celle de point de vue (pdv).