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ANCRAGE THEORIQUE

3.3. La pragmatique linguistique

Notre étude consiste à présenter l’objet de la pragmatique linguistique dans sa relation avec la théorie de polyphonie. Pour ce faire, nous présenterons les termes clés de cette discipline, tout en nous focalisant sur les outils proposés par les pragmaticiens pour l’étude des mécanismes de construction et de génération du sens.

3.3.1. Présentation

Le mot pragmatique vient du mot grec pragma qui signifie « action de faire, d’entreprendre ». Ducrot (1984 : 173) voit que:

« Si l’on donne pour objet à la pragmatique l’action humaine en général, le terme de pragmatique du langage peut servir à désigner, dans cet ensemble de recherches, celles qui concernent l’action humaine accomplie au moyen du langage, en indiquant ses conditions et sa portée. Le problème fondamental, dans cet ordre d’études, est de savoir pourquoi il est possible de se servir de mots pour exercer une influence, pourquoi certaines paroles, dans certaines circonstances, sont douées d’efficacité »

La pragmatique linguistique est l’étude du sens de l’énoncé en contexte. Elle vise, non pas la signification des phrases, mais l’acte de parole réalisé par l’énoncé ; dire c’est faire (Austin, 1970). Les énoncés produits reflètent les intentions des locuteurs et suscitent des réactions de la part des allocutaires. La pragmatique linguistique essaye de répondre aux questions suivantes : Que fait-on lorsqu'on parle ? Quel est l'effet du langage ou quelle est son utilité ? Que vise un locuteur lorsqu'il s'adresse à son interlocuteur ? Comment agissent-ils l'un avec l'autre en parlant ? (Grunig, 1979 : 07). La pragmatique linguistique est fondée sur la théorie des actes de langage élaborée par Austin (1970) et Searle (1972, 1982).

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3.3.2. Les actes du langage

La pragmatique linguistique a vu le jour grâce à la théorie des actes de langage élaborée par Austin (1970) et Searle (1972) qui voient que les énoncés produits – et le langage en général– ne servent pas à décrire le monde, mais dévoilent des intentions chez les locuteurs qui visent à accomplir des actions. Austin s’oppose aux sémanticiens, qui voient que la fonction première du langage est la description de la réalité. Il voit que le langage ne renvoie pas seulement à des états de choses mais sert également à agir sur la réalité. On distingue trois actes majeurs : l’acte locutoire, l’acte illocutoire et l’acte perlocutoire. L’acte locutoire revoie à l’acte de dire quelque chose, c’est à dire la production d’une phrase. Il s’agit de prononcer ou d’écrire des mots ou des propositions. L’acte locutoire fait combiner trois éléments : un acte phonétique qui renvoie à la production de sons, un acte qui fait référence à la construction syntaxique et intonative de ces mots de sorte qu’ils donnent des phrases, et un acte rhétique qui consiste dans la signification.

Ainsi, l’acte effectué en disant quelque chose est dit illocutoire. Dans un énoncé comme « L’audience est ouverte » dit par un juge, l’acte illocutoire renvoie à l’ouverture de la séance. D’un autre côté, l’acte effectué par le fait de dire la phrase est appelé acte perlocutoire. La phrase « L’audience est ouverte » provoque certains effets : le public se tait, les personnes autorisées (telles que les avocats) prennent parole, etc.

Ces trois actes font référence aux moyens linguistiques investis par le locuteur pour agir sur son interlocuteur. Il peut s’agir donc d’une information, d’une demande, d’un ordre, d’une incitation, d’une promesse, etc. Austin (1970 : 148) propose une liste de cinq formes d'acte illocutoire:

- Les verdictifs, fondés sur un jugement. Des énoncés contenant des verbes comme

acquitter, condamner, comprendre, décréter, calculer, estimer, évaluer, classer, diagnostiquer, décrire ou analyser servent à « se prononcer sur ce qu’on découvre à

propos d’un fait ou d’une valeur, mais dont, pour différentes raisons, on peut difficilement être sûr » (Austin, 1970 : 150).

- Les exercitifs « renvoient à l’exercice de pouvoirs, de droits ou d’influences » (Austin, 1970 : 150). Ainsi, à travers l’usage de verbes tels que renvoyer,

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démissionner, supplier, proclamer, promulguer, dédier, le locuteur décide d'actions à

suivre ou à venir.

- Les promissifs renvoient à l’acte de promettre ou de prendre en charge quelque chose. Des énoncés qui consistent à promettre, convenir, contracter, jurer de, consentir,

donner parole, etc. obligent le locuteur à agir d'une certaine manière.

- Les comportatifs appartiennent à « un groupe très disparate qui a trait aux attitudes et au comportement social » (Austin, 1970 : 154). Le locuteur peut s’excuser, remercier,

féliciter, compatir, critiquer, souhaiter la bienvenue, des actions qui ne sont, en

réalité, que des réactions aux actes des autres.

- Les expositifs tels que affirmer, nier, décrire, corriger, mentionner, argumenter, dire,

interpréter, témoigner, rapporter, illustrer, etc. « sont employé dans les actes

d’exposition : explication d’une façon de voir, conduite d’une argumentation, clarification de l’emploi de la référence des mots » (Austin, 1970 : 160).

Searle (1979 : 49) voit que cette catégorisation donnée par Austin manque d’exactitude et de cohérence. Ainsi, nous avons constaté qu’Austin confond, lorsqu’il présente des exemples, entre acte et verbe illocutoire. Nous voyons qu’il ya aussi des actes qui sont dans différentes classes : condamner est classé, à la fois, dans les verdictifs et les exercitifs. Searle (1982) propose sa propre classification : « Nous disons à autrui comment sont les choses (assertifs), nous essayons de faire faire des choses à autrui (directifs), nous nous engageons à faire des choses (promissifs), nous exprimons nos sentiments et nos attitudes (expressifs) et nous provoquons des changements dans le monde par nos énonciations (déclaratifs) » (Searle, 1982 : 32). Elle est fondée sur trois principes : le but illocutoire qui renvoie au propos d’un type particulier d’illocution, l’ajustement entre les mots et le monde (l’assertion est un exemple de conformité entre les mots et le monde) ou entre le monde et les mots (le cas d’un engagement ou d’une promesse) et l’état psychologique du locuteur exprimé par l’énoncé (un désir, une croyance, etc.). Searle (1979 :52-56) articule sa taxinomie en cinq catégories d’actes illocutoires :

- Les assertifs qui expriment la croyance que p. Ils engagent la responsabilité du locuteur sur un état de choses tel que l’on voit dans les énoncés qui expriment une affirmation, une description, une caractérisation, une explication.

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- Les déclaratifs tels que « l’audience est ouverte », « je vous déclare mari et femme», « Je démissionne », etc. servent à provoquer un changement. Le locuteur de l’énoncé doit être doté d’un statut institutionnel pour dire de tels propos et les assumer.

- Les promissifs obligent le locuteur à faire quelque chose, en promettant, en faisant serment, en faisant vœu, etc. Ils expriment une intention chez le locuteur de l’énoncé. - Les expressifs comme les actes de féliciter, de s’excuser, de remercier, etc. reflètent

un état psychologique chez le locuteur de l’énoncé.

- Les directifs sont des énoncés qui servent à ordonner, plaider, demander,

commander, solliciter, interdire, etc. Ils reflètent un désir, un souhait, une volonté,

etc. chez le locuteur pour faire faire quelque chose par l’allocutaire.

A l’instar de la taxinomie d’Austin, la classification de Searle n’était pas à l’abri des reproches. Searle parle de « l’ajustement des mots et du monde ». Dans les assertifs, les mots sont conformes au monde. Ce dernier (le monde) est conforme aux mots dans le cas des déclaratifs, alors qu’il le doit lorsqu’il s’agit des directifs et des promissifs. Dans le cas des expressifs, on parle de coïncidence entre le monde et les mots. Eluerd (1985 : 167) refuse ce fait d’ajustement:

« Que peut signifier ajuster les mots au monde, ou l’inverse quand ce monde n’existe pas comme tel en dehors de ces mots ? Non, le monde ne saurait s’ajuster aux mots, ni le monde s’ajuster aux mots, comme le tenon à la mortaise, puisque c’est par et dans l’usage ordinaire des mots que nous devient un monde humain »

Les classifications des actes illocutoires varient11 ; chaque taxinomie part des lacunes de l’autre. Nous ne pouvons pas faire l’inventaire de toutes ces classifications. Notre objectif était d’en parler brièvement.

3.3.3. Les énoncés performatifs

Austin (1970) a accordé une intention particulière aux énoncés performatifs. Utilisé tant pour désigner les actes de langage, tant pour renvoyer à l’acte illocutoire en particulier, le terme de performativité a pris l’ampleur plus que l’expression « acte de langage ». Austin (1970) fonde sa théorie de performativité sur l’analyse des énoncés de forme affirmative à la première

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personne du singulier de l’indicatif présent, à la voix active « Je vous déclare mari et femme, Je vous remercie, etc. », des constructions telles que « Je suis désolé, Je suis navré, etc. », certaines phrases à la voix passive « Vous êtes destitué, La séance est ouverte, etc. », certains noms accompagnés du point exclamatif « Félicitations !, Merci !, Pardon !, etc. » Tous ces énoncés, dits performatifs, ne décrivent pas une réalité, et ne sont ni vrais ni faux, mais constituent des actions en soi.

Les performatifs sont des énoncés qui constituent une action en soi. Le seul fait de leur formulation permet d’effectuer une action. Ainsi, dans l’exemple que nous avons présenté avant, il suffit au juge de dire « L’audience est ouverte » pour ouvrir effectivement l’audience. Les énoncés performatifs s’opposent aux énoncés constatifs qui ont la propriété d’être vrais ou faux. Les constatifs ont cette propriété par ce qu’ils renvoient à une réalité alors que les performatifs sont soit heureux (réussis) soit malheureux (non-réussis). Dans l’exemple que nous avons présenté avant, la réussite de l’acte est conditionnée par :

- La présence du sujet parlant (le juge) ; - L’existence d’une audience à ouvrir ;

- Le sujet doit être doté d’un pouvoir légitime (être un juge).

Ainsi, dire « Je te promets de venir » est l’acte même de promesse. Cet acte est dit explicite, alors que « je viendrai » serait un acte de promesse implicite.