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ANCRAGE THEORIQUE

3.4. L’argumentation dans la langue

L’argumentation, dans sa signification la plus ordinaire consiste dans le fait qu’un orateur essaye de convaincre un auditoire de la validité de son opinion en lui fournissant les éléments qui justifient cette prise de position. Toute argumentation présuppose un locuteur, un allocutaire, un ou des arguments et une conclusion à atteindre. Pour aborder la notion d’argumentation, nous nous inscrivons dans le cadre de la théorie d’argumentation dans la langue élaborée par Anscombre et Ducrot(1983).

3.4.1. Présentation de la théorie de l’argumentation dans la langue (TAL)

L’étude de l’argumentation relève, selon Ducrot (1974, 1980a, 1983), de ce qu’il appelle une logique du langage qui prend en considération les règles internes qui régissent le discours et

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qui commandent son enchaînement (Ducrot, 1980a : 12). Sa théorie vise à étudier la mise en œuvre des énoncés dans un discours et non pas les informations qu’ils véhiculent séparément du discours. Ce qui est important pour cette nouvelle théorie n’est pas le raisonnement à partir d’un énoncé mais l’emploi de cet énoncé dans un discours argumentatif. Ceci dit, raisonnement et

argumentation sont tout à fait distincts. Le premier relève de la logique alors que la seconde

relève du discours. Ducrot (1980a: 10-11) souligne que : « [...] dans un raisonnement, l'enchaînement des énoncés n'est pas fondé sur les énoncés eux-mêmes, mais sur les propositions véhiculées par eux, sur ce qu'ils disent ou supposent du monde » alors que « La situation est tout à fait différente quand il s'agit d'un discours. Là, l'enchaînement des énoncés a une origine interne, il est fondé sur la nature même de l'énoncé, ou, si l'on préfère, sur son sens, et non pas sur l'état du monde auquel il renvoie». Un raisonnement ne peut pas former un discours. Le raisonnement consiste dans le fait que tout énoncé fonctionne indépendamment, chaque énoncé exprime une proposition qui renvoie à un état du monde.

Le syllogisme constitue la forme la plus connue du raisonnement. Il faut rappeler que c’est à Aristote qu’on accorde la création de ce terme qu’il a défini en s’appuyant sur trois composantes majeure, mineure et conclusion. Un syllogisme est un raisonnement logique qui s’appuie sur deux prémisses sous forme de deux propositions conduisant à une certaine conclusion ,c’est à dire un ensemble de formules qui constituent des preuves et une formule inférée, une conclusion qui est tirée, d’après Anscombre (1990) « de l'ensemble des deux prémisses, et doit posséder, pour être valide, une légitimité vi formae (caractère formel) et vi materiae (caractère matériel) » ( Anscombre, 1990 : 215). Ainsi, dans le syllogisme suivant :

(A) : Tous les hommes sont mortels (B) : Socrate est un homme

(C) : Socrate est mortel

La proposition (A) est une prémisse majeure alors que (B) est dite mineure. Ces deux propositions supposées comme vraies permettent de valider la conclusion (C).

La théorie de l’argumentation considère que tout énoncé a une continuation ou une suite qu’il interpelle ou à laquelle il fait allusion, et le discours sera donc orienté vers une visée bien déterminée. Si un énoncé est argumentatif « ce n’est pas seulement par ce qu’il dit sur le monde, mais par ce qu’il est » (Ducrot, 1980a : 11). Ce fait inscrit la théorie de l’argumentation dans « un structuralisme du discours idéal » selon lequel « une entité linguistique tire toute sa réalité

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du discours où elle prend place » (Ducrot, 1980a : 11). Cette entité linguistique n’a de valeur que par le discours qu’elle requiert et proclame.

3.4.2. Valeur informative

Le point de départ de cette théorie proposée par Anscombre (1983, 1995) et Ducrot (1980a, 1983,) est « la constatation que certains enchaînements discursifs ne se comportaient pas comme le laissait supposer une analyse sémantique classique, i.e. faisant des indications descriptives le noyau même de la valeur sémantique profonde » (Anscombre, 1995 :186). Puisque ces enchaînements répondent au schéma de forme : argument conclusion, Ducrot et Anscombre supposent que certaines relations argumentatives sont prioritairement linguistiques et non pas rhétoriques. En d’autres termes, la valeur informative d’un énoncé est dérivée de sa valeur argumentative : « Les valeurs informatives (sens) de surface sont une illusion et n'ont pas à apparaître au niveau profond (signification). À un tel niveau n'apparaîtront que des valeurs et des opérateurs que nous appelons argumentatifs. Les éventuelles indications informatives (de surface) en seront nécessairement dérivées » (Anscombre, 1989 : 14). De ce fait, la valeur argumentative d’un énoncé est indépendante de sa valeur informative qui en serait dans ce cas une dérivée et non pas l’inverse. Les deux auteurs refusent, à travers ces postulats, la séparation traditionnelle entre la sémantique qui s’occupe de la valeur informative de l’énoncé, et la pragmatique qui se charge de sa valeur argumentative. Ils s’opposent, d’une part, aux descriptivistes12, qui voient dans les énoncés assertifs par exemple une description d’une propriété P qu’a un objet O, et d’autre part, aux ascriptivistes13, qui voient dans ces occurrences l’accomplissement d’actes de langage tels que la recommandation, la condamnation, l’affirmation, etc. Anscombre (1995) s’appuie sur l’énoncé suivant pour mettre en cause les fondements théoriques des deux approches :

- Cet hôtel est bon.

Les descriptivistes voient dans cet énoncé la description d’une propriété qu’a un objet « hôtel », alors que les ascriptivistes y voient l’accomplissement de l’acte de recommandation. Mais comment ces deux approches expliquent des occurrences comme :

12 Selon l’approche descriptiviste soutenue par Geach et Searle, un énoncé comme « Cet hôtel est bon » est une description d’un objet « hôtel ».

13 Dans une optique ascriptiviste, l’énoncé « Cet hôtel est bon » n’est pas fondamentalement une description mais il constitue une action en soi telle que « Je te le recommande ».

116 -Si cet hôtel est bon, j’y descendrai.

-Cet hôtel est bon, mais je ne te le recommande pas.

Pour l’approche descriptiviste, l’occurrence « Si cet hôtel est bon » est dépourvue d’une valeur de vérité et ne décrit pas une propriété de l’objet en question. Ainsi, on ne peut pas expliquer, d’un point de vue ascriptiviste, un énoncé comme « Cet hôtel est bon, mais je ne te le recommande pas ». Comment peut-on admettre de tel énoncé alors qu’il y a dans l’occurrence « Cet hôtel est bon » un acte de recommandation. La théorie de l’argumentation dans la langue, telle que la conçoivent Anscombre et Ducrot, se met à l’intermédiaire des deux approches en postulant que l’énoncé « Cet hôtel est bon » n’est ni une assertion (une description) ni un acte de recommandation, mais constitue un argument pour cet acte.

La théorie de l’argumentation dans la langue conçoit que « tous les énoncés d’une langue se donnent, et tirent leur sens du fait qu’ils se donnent comme imposant à l’interlocuteur un type déterminé de conclusions » ( Ducrot, 1980a : 11-12) . La parole est donc publicitaire. Cependant, ce fait ne réside pas dans les informations que portent les énoncés produits par les locuteurs ou les conclusions qui peuvent en être tirées, mais dans le lien entre les valeurs internes de ces énoncés et les suites qu’ils exigent. L’énoncé acquiert son sens et sa valeur non pas de ce que le locuteur veut dire mais de ce que ce dernier veut faire dire à son allocutaire. La valeur argumentative signifie que l’énoncé est présenté par le locuteur comme visant incliner l’allocutaire vers une certaine conclusion. Il s’agit donc de la continuation ou de la suite envisagée pour cet énoncé. De ce fait, tout acte d’énonciation a une fonction argumentative. Le locuteur vise donc à faire admettre à son allocutaire une certaine conclusion, ou à l’en détourner.

3.4.3. Argument / conclusion

Selon Anscombre et Ducrot (1983 : 08 ) : « […] un locuteur fait une argumentation lorsqu’il présente un énoncé E1 (ou un ensemble d’énoncés) comme destiné à en faire admettre un autre (ou un ensemble d’autres) E2 ». Leur thèse est :

« qu’il y a dans la langue des contraintes régissant cette présentation. Pour qu’un énoncé E1 puisse être donné comme argument en faveur d’un énoncé E2, il ne suffit pas en effet que E1 donne des raisons d’acquiescer à E2. La structure linguistique de E1 doit de plus satisfaire à certaines conditions pour qu’il soit apte à constituer, dans un discours, un argument pour E2 » ( Ducrot, 1983 : 08 ) .

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Le locuteur fait une argumentation quand celui-ci présente un ou des énoncés comme destiné(s) à faire admettre un ou d’autres énoncés. L’argumentation présuppose l’existence d’au moins deux énoncés E1 et E2, dont le premier est dit argument, parce qu’il sert à autoriser, justifier ou imposer E2, appelé conclusion. Ainsi, dans les énoncés suivants « Il fait beau, sortons donc » et « Sortons, puisqu’il fait beau », la proposition « Il fait beau » est présentée comme un argument en faveur de la conclusion « sortons ». Dans les deux énoncés, la conclusion est explicite, elle peut être implicite dans d’autres situations, comme dans le cas de ce dialogue présenté par Anscombre et Ducrot (1983 : 163):

a) Veux-tu aller voir ce film avec moi ? b) Je l’ai déjà vu.

La proposition « Je l’ai déjà vu » est présentée par le locuteur comme un argument en faveur de la conclusion « Non, je ne veux pas aller ». Pour Anscombre (1990) tout énoncé est un argument, mais cela ne signifie pas qu’un énoncé vise nécessairement une conclusion bien particulière. C’est au niveau de la phrase - qui constitue la structure profonde de l’énoncé - que se trouve circonscrite une classe bien déterminée de conclusions. Ainsi, les modifications syntaxiques entrainent des modifications dans cette classe de conclusions.

A chaque argument correspond une conclusion : « J'appelle "conclusions" les énoncés - par convention, je les représenterai par la lettre "C" - que l'on dit vouloir faire admettre, et "arguments" - par convention "A" - ceux qui sont censés autoriser les autres » (Ducrot, 1982 :143). A est donc un énoncé présenté par le locuteur comme un argument en faveur d’une certaine conclusion C. Argumenter pour С au moyen de A, c'est « présenter A comme devant amener le destinataire à conclure С », « donner A comme une raison de croire С » (Anscombre & Ducrot, 1976 :13 ). Mais cela dépend des contraintes qui régissent cette opération. Pour qu’un énoncé E1 soit présenté comme un argument en faveur d’un autre, E2, il faut que E1 fournisse des raisons pour admettre E2, et que sa structure linguistique remplisse des conditions bien déterminées.

3.4.4. Coordination argumentative

Deux énoncés sont argumentativement coordonnés, si le premier est présenté comme faisant admettre ou infirmant le second. Le locuteur peut présenter E1 somme justifiant E2, C’est le cas de l’énoncé suivant :

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12) Le stade situé à El Barki accueillera un nouveau revêtement en gazon synthétique de cinquième génération. Il pourra donc abriter des rencontres officielles des paliers inférieurs du championnat.

Mardi 1er avril 2014, p. 09.

Dans cet énoncé, la proposition (ou l’énoncé E1) « le stade situé à El Barki accueillera un nouveau revêtement en gazon synthétique de cinquième génération » est présentée comme un argument en faveur de la conclusion (ou l’énoncé E2) « Il pourra abriter des rencontres officielles des paliers inférieurs du championnat ». Les deux sont reliés par le connecteur donc. E1 est présenté comme une raison qui permet d’admettre E2, admettre signifie : « croire le locuteur de E2 justifié dans son énonciation, et accepter les obligations — de dire, croire ou faire — qu'il prétend imposer à son allocutaire » (Anscombre & Ducrot, 1983 :117). Dans l’énoncé (12), construit à la base de la structure p donc q, il s’agit d’une justification.

Dans un exemple de type p mais q, la coordination argumentative est sous-forme d’infirmation comme le montre l’exemple suivant :

13) Un peu cher, mais il (le recueil des proverbes et des dictions