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ANCRAGE THEORIQUE

3.7. La théorie des stéréotypes

Avant de présenter cette théorie nous faisons une distinction entre des termes qui ont souvent un emploi qui se prête à la confusion. Nous parlons de : cliché, idées reçues, lieux

communs, poncif et stéréotype.

3.7.1. Cliché, poncif, idées reçues, lieux communs…

Dans le langage courant, les termes idées reçues, cliché, lieux communs ou poncif sont employés souvent comme des synonymes. Par ailleurs, ces concepts ne constituent pas l’objet de cette dernière partie du chapitre. Nous visons à mettre en exergue la notion de stéréotype employée souvent comme synonyme. Le terme poncif est emprunté au domaine des arts graphiques. Au XVI ème siècle, le mot est employé pour désigner un « papier dans lequel un dessin est piqué ou découpé, de façon qu’on puisse le reproduire en le plaçant sur une toile ou une autre feuille de papier, et en ponçant par-dessus avec une poudre colorante » (Larousse du XIX ème siècle). Le sens du mot a évolué à travers le temps pour désigner enfin un travail sans originalité ou une expression banale reproduisant une forme convenue. L’expression « idées reçues » a un emploi récent. Devenue péjorative à partir de 1820, dans sa référence au préjugé, l’expression désigne toute idée fausse. Pour Amossy et Pierrot (2005), les idées reçues « inscrivent des jugements, des croyances, des manières de faire et de dire, dans une formulation qui se présente comme un constat d’évidence et une affirmation catégorique » (Amossy & Herschberg Pierrot, 2005 : 24). Elles donnent les exemples suivants (p.24) :

- Montre : Une montre n’est bonne que si elle vient de Genève.

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- Ouvrier : Toujours honnête quand il ne fait pas d’émeutes.

Les idées reçues constituent des évidences pour toute société et inscrivent ses normes dans un cadre universel. Elles font partie des traditions et des modes de pensée et de réaction collectifs.

Employé d’abord au domaine de l’imprimerie puis la photographie, le mot cliché fait référence au négatif à partir duquel on peut tirer un nombre indéfini d’exemplaires. Dans son sens usuel, le terme renvoie à des formules banales, des expressions devenues figées à force de répétition. Gourmont(1899) constate que les deux termes cliché et lieu commun sont employés souvent comme des synonymes. Il montre que « […] le cliché porte sur les mots et le lieu sur les idées ; le cliché qualifie la forme ou la lettre, l’autre le fond ou l’esprit » (Gourmont, 1900 :76). La différence entre un cliché et un lieu commun réside dans le fait que le premier renvoie à la matérialité de la phrase alors que le second représente l’idée dans sa banalité (Gourmont, 1899). Gourmont (1900) ajoute que le cliché peut être perçu immédiatement alors que le lieu commun « se dérobe très souvent sous une parure originale » (p.76). Contrairement au cliché et au poncif, la notion de lieux communs n’a pas acquis de connotation péjorative. Les lieux communs remontent à la dialectique aristotélicienne, ils renvoient aux topoï18. Nous n’allons pas revenir à cette notion traitée dans le cadre de la théorie des topoï. Malgré toutes ces définition, il s’avère difficile, voire impossible, de distinguer ces concepts, employés souvent l’un pour définir l’autre.

3.7.2. Le stéréotype

Le terme de « stéréotype » a un emploi polysémique. Le TLF en propose trois définitions selon le domaine d’emploi :

- En imprimerie :

« Cliché métallique en relief obtenu, à partir d'une composition en relief originale (caractères typographiques, gravure, photogravure, etc.), au moyen de flans qui prennent l'empreinte de la composition et dans lesquels on coule un alliage à base de plomb […] »

- En psychologie et en sociologie :

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« Idée, opinion toute faite, acceptée sans réflexion et répétée sans avoir été soumise à un examen critique (par un groupe ou toute une communauté linguistique) […] et qui détermine, à un degré plus ou moins élevé, ses manières de penser, de sentir et d'agir »

- En linguistique et en stylistique :

« Association stable d'éléments, groupe de mots formant une unité devenue indécomposable, réemployée après avoir perdu toute expressivité […] »

Le terme a connu une évolution sémantique à travers l’histoire, nous considérons inutile le fait de s’y attarder. Nous nous intéressons à cette notion, parce qu’elle fera l’objet du dernier chapitre de notre thèse. Elle constitue un moyen d’ancrage du dire et de l’image de l’autre dans le discours. Nous nous concentrons sur les stéréotypes linguistiques et les stéréotypes de pensée, et leur emploi dans les articles du Quotidien d’Oran.

3.7.3. Présentation de la théorie des stéréotypes

La théorie des stéréotypes remonte à Putnam (1975,1990) qui voit qu’il est nécessaire de distinguer la signification d’un mot de sa fonction référentielle. Putnam (1975: 190-191) présente comme exemple la forme de la représentation sémantique (RS) de « eau » comme suivant :

Eau : / Nom massique, concret (a); substance naturelle, liquide (b); incolore, sans saveur, étanchant la soif, etc. (c); H2O (d)/

Selon Putnam (a) est un marqueur syntaxique et (b) un marqueur sémantique. (c) est le stéréotype, c'est-à-dire les propriétés et les caractéristiques associées au nom « eau ». (d) n’est en réalité qu’une extension. Cet exemple présenté par Putnam constitue un argument pour la critique qu’il a menée contre l’approche classique de la signification. La signification d’un mot ne peut pas fournir une description qui permet de l’identifier comme un objet du monde. En d’autres termes, la signification ne permet pas de référer à l’objet déterminé par le mot mais c’est la désignation rigide qui le permet et que Putnam appelle stéréotype. Cette notion a été ensuite baptisée par Anscombre (2001) pour faire l’objet d’étude de toute une théorie.

Anscombre (2001a, 2001b) définit le stéréotype comme suivant « […] nous appellerons stéréotype attaché à un terme une suite ouverte de phrases attachées à ce mot. Par ailleurs, le stéréotype définit la signification du terme considéré » (2001b :16), donc « Chaque phrase du

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stéréotype est, pour le terme considéré, une phrase stéréotypique » (2001a :60). Le stéréotype est en relation avec le sujet locuteur et non pas le terme, dans la mesure où ce locuteur ne possède pas dans son stock linguistique les mêmes éléments qui caractérisent un mot et sa signification, que ceux qu’a un autre sur ce même terme. Le stéréotype constitue une liste ouverte qui varie selon les individus qui se réfèrent à une communauté linguistique. Selon Anscombre (2001b), tout locuteur, lorsqu’il parle, se présente comme un membre d’une communauté linguistique composée d’un « ensemble de sujets parlants qui est présenté comme partageant (entre autres choses) la même liste de termes affectés des mêmes significations » (Anscombre, 2001b :15). Cette communauté n’est pas forcément réelle mais elle est présentée comme telle, c’est-à-dire liée à la situation d’énonciation.

3.7.4. Phrases stéréotypiques

Les phrases stéréotypiques sont employées par le locuteur comme des points de vue attribués à des communautés linguistiques auxquelles il appartient. Ainsi, ces phrases ne sont pas produites par le locuteur mais convoquées dans son discours. Elles comprennent, d’après Anscombre (2002, 2005), deux catégories de phrases génériques19 : les phrases vraies et les

phrases synthétiques. Est phrase vraie « toute phrase dont la valeur de vérité est indépendante de

toute vérification empirique » (Anscombre, 2002 : 14).Cette classe se répartit en deux sous-classes :

- les phrases nécessairement vraies dites aussi analytiques : « Les éléphants sont des mammifères », « Le mercure est un métal » (Anscombre, 2005 :80)

- Les phrases généralement vraies appelées typifiantes à priori : « Les castors construisent des barrages », « Les singes mangent des bananes » (Anscombre, 2005 :80).

Est phrase synthétique ou typifiante locale « celle dont la valeur de vérité n’est déterminable que par comparaison avec l’empiriquement vrai » (Anscombre, 2002 :14-15). Elle relève d’une opinion du locuteur : « Les chats sont affectueux », « Les singes sont amusants » (Anscombre, 2005 :80). Les phrases gnomiques font partie des phrases génériques. Le gnomique est un énoncé exprimant « non pas les particuliers […] mais le général ; et non toute espèce de

19Une phrase est dite générique lorsqu’elle possède les traits suivants : elle est vraie, elle n’est pas événementielle, elle possède un syntagme sujet générique, souvent sous la forme de « les N ». La phrase générique renvoie à des états de choses généraux et habituels et non pas à des événements particuliers.

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généralité mais seulement celles qui ont pour objet des actions […] » (Aristote cité par Schapira, 2008 : 57). Les énoncés gnomiques renvoient aux sentences (proverbe, dicton, adage, etc.) ou aux maximes, des formules qui résultent d’une expérience universelle, populaire ou individuelle transmises d’une génération à une autre et devenues figées par force d’emplois. Dans le cadre de la théorie des stéréotypes, nous allons étudier dans le dernier chapitre (chapitre VII) de notre thèse, les formes sentencieuses dont les dictons, les maximes et les proverbes français et algériens traduits.

Conclusion

Toute recherche doit s’intégrer dans une perspective théorique qui en constitue le cadre théorique. Définir le cadre théorique de notre recherche nous permet de disposer d’un ensemble d’outils d’analyse, qui peuvent être vérifiés à travers l’analyse de notre corpus. Il faut noter que le cadre théorique de notre recherche a été construit en fonction de nos objectifs voués et notre problématique formulée dans l’introduction.

Nous avons essayé de présenter différentes théories, qui sont en interrelation et en corrélation, en mettant en exergue les liens qui se tissent entre elles. Nous les avons faites succéder de sorte que l’une complète l’autre et part du point où l’autre théorie s’est arrêtée. Dans les chapitres qui suivront nous nous consacrerons à l’analyse de notre corpus en fonction des outils d’analyse présentés et définis dans ce chapitre. Nous commencerons par les procédés argumentatifs.

CHAPITRE IV