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LES PROCEDES ARGUMENTATIFS

4.7. Les adverbes de la modalisation

4.7.3. Apparemment / Vraiment

Anscombre et alii. (2009) distinguent différents emplois de l’adverbe Apparemment. Nous ne nous intéressons qu’à deux usages de l’adverbe du fait qu’ils s’inscrivent dans une perspective polyphonique. La 1ère forme d’usage dépend de la structure suivante :

32) Le nouveau chef de l’armée du Lesotho a échappé dans la nuit de vendredi à samedi à une tentative d’assassinat en marge du coup de force de l’armée qui a déstabilisé ce petit royaume d’Afrique australe, a indiqué dimanche un responsable de la police. Des hommes armés ont attaqué le domicile du général Maaparankoe Mahao, a déclaré le commissaire de police Mofokeng Kolo, indice qu’un conflit semble se dérouler pour le contrôle des forces armées dans

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le pays en pleine crise politique. L’attaque qui s’est déroulée avant l’aube samedi à Maseru, la capitale, a apparemment échoué mais on ignorait dimanche où se trouvait le général.

Lundi 1er septembre 2014, la dernière page.

Dans (32), l’emploi de l’adverbe Apparemment s’inscrit dans le parcours suivant :

Apparemment P mais Q

La proposition P « L’attaque qui s’est déroulée avant l’aube samedi à Maseru, la capitale, a échoué » est présentée par le locuteur-journaliste comme un argument en faveur de la conclusion r « le général Maaparankoe Mahao n’a pas été tué » alors que la proposition Q « on ignorait dimanche où se trouvait le général » est un argument orientant vers la conclusion

non-r « génénon-ral Maapanon-rankoe Mahao a été tué ». A tnon-ravenon-rs cet énoncé, le locuteunon-r met en scène tnon-rois

énonciateurs. Un premier énonciateur E1, à qui il attribue le point de vue « L’attaque qui s’est déroulée avant l’aube samedi à Maseru, la capitale, a échoué ». Un deuxième énonciateur E2, est mis en scène par le locuteur, il lui attribue la conclusion r. Le locuteur ne s’identifie pas à ces deux énonciateurs, et il ne prend en charge ni le point de vue, ni la conclusion, qui leur sont attribués. Le locuteur ne se contente pas de s’en distancier, mais il marque son désaccord par l’emploi de l’adverbe Apparemment, et par l’annonce du contre-argument Q, qui permet de tirer la conclusion non-r, attribués à un énonciateur E3, et à qui le locuteur s’identifie. Est-ce qu’il s’agit du même schéma argumentatif dressé par l’adverbe Vraiment ? Lisons l’énoncé suivant :

33) Les Américains ne cherchent même pas à bousculer les choses sur la question du Sahara occidental même s’ils ont semblé assez ouverts sur l’option marocaine d’autonomie. Par contre –cela reste à confirmer- on peut supposer qu’ils veulent s’assurer que l’Algérie restera un fournisseur viable de gaz pour l’Europe au cas où la crise actuelle sur l’Ukraine perdure. Voire même de la voir suppléer en cas de réduction du débit du gaz de Russie. On n’est jamais

vraiment un «ami» d’un Empire, mais il est bien entendu peu recommandé de

s’en faire un ennemi.

Mercredi 02 avril 2014, p.02.

Dans cet exemple, il s’agit du schéma argumentatif :

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Le locuteur met en scène, comme dans le cas de l’adverbe Apparemment, trois énonciateurs. E1, à qui le locuteur attribue le point de vue exprimé dans la proposition P « On n’est jamais un «ami» d’un Empire », un point de vue auquel le locuteur s’accorde mais ne s’y identifie pas. La conclusion r « On est son ennemi »tirée de ce point de vue est attribuée à E2, de qui le locuteur se distancie en lançant un contre-argument « il est bien entendu peu recommandé de s’en faire un ennemi », attribué, avec la conclusion qui en est tirée, à E3 identifié au locuteur. L’adverbe Apparemment peut être utilisé dans un schéma argumentatif de forme :

Indices F1, F2, … + apparemment + conclusion (r).

F1, F2 et d’autres constituent des faits auxquels Apparemment renvoie. Ces faits sont présentés par le locuteur comme des indices qui lui permettent de tirer la conclusion r, une conclusion qu’il ne prend pas à son compte. Dans l’énoncé qui suit, le locuteur-journaliste avance un indice qui permet de tirer la conclusion r :

34) L’absence d’un pont pour enjamber l’oued Khémis, dans la commune de Dahra, et permettre la circulation des automobiles et des piétons en toute sécurité, a été plusieurs fois soulevée par les habitants. Apparemment leur souhait vient de se concrétiser sur le terrain par la décision du wali qui a ordonné la construction d’un nouveau pont, ce qui devrait mettre un terme aux souffrances des populations locales.

Jeudi 09 janvier 2014, p. 22.

Dans (34) le fait F1 « la décision du wali qui a ordonné la construction d’un nouveau pont » fonctionne comme un indice dont est tirée la conclusion « le souhait des habitants de la commune de Dahra d’avoir un pont qui enjambe l’oued Khémis et permet la circulation des automobiles et des piétons en toute sécurité vient d’être concrétisé ». Le locuteur-journaliste présente cette conclusion comme possible, éventuelle, mais il ne la prend pas en charge. Il s’agit donc d’une prise de distance de sa part à travers l’usage de l’adverbe Apparemment : « La mise à distance propre à apparemment… consiste donc à reléguer d’éventuelles preuves au rang d’indices » (Anscombre & al. 2009:49). Cette prise de distance est renforcée par l’emploi du conditionnel dans la proposition « ce qui devrait mettre un terme aux souffrances des populations locales ». Le conditionnel dans le verbe devoir sert à attribuer le point de vue à un énonciateur à qui le locuteur ne s’identifie pas.

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4.7.4. Carrément

Carrément, un adverbe très fréquent à l’oral, n’a pas fait l’objet d’études approfondies.

Nous en comptons une seule étude proposée par Rouanne (2012), dans laquelle l’auteur s’est proposé à étudier de points de vue diachronique et synchronique les différents usages de cet adverbe. Selon Rouanne, Carrément est un adverbe polyphonique par excellence, c’est un adverbe d’attitude énonciative : « Si carrément n’est pas un adverbe d’énonciation, il a cependant une valeur énonciative : carrément est un commentaire vis-à-vis de l’énonciation, c’est un adverbe d’attitude énonciative » (Rouanne, 2012 : 53). Il faut d’abord préciser qu’il sera exclu de notre analyse les usages où l’adverbe porte sur le verbe, l’adjectif ou toute la phrase tel que :

35) La situation est devenue carrément insoutenable et cela dure depuis 2012. Jeudi 10 avril 2014, p.21.

L’adverbe Carrément porte sur l’adjectif insoutenable. Notre analyse portera sur les occurrences où l’usage de l’adverbe s’inscrit dans le schéma argumentatif suivant :

A carrément B

Comme nous le constatons dans l’énoncé suivant :

36) Autrement dit, la structure pédagogique d’accueil admet et inscrit le bachelier sur dossier présenté par lui. Et c’est là où réside, justement, la faille, accentuée par une communication trop lente (A), voire carrément absente (B), entre la structure d’accueil et le service centralisé au rectorat.

Lundi 27 janvier 2014, p.04.

Nous avons constaté, à travers l’étude de notre corpus, que l’adverbe Carrément apparaît souvent dans des énoncés qui prennent la forme d’un surenchérissement. Il s’agit d’emploi où « est construite dans le cotexte gauche une sorte d’échelle de représentation dont carrément s’avère l’étape ultime » (Rouanne, 2012 :52). Cette structure de surenchérissement est marquée par l’emploi de formes telles que voire, ou et même, etc. Cependant, il faut préciser que cette valeur de surenchérissement n’est pas propre à l’adverbe lui-même, mais au contexte linguistique dans lequel il est employé. En effet, Carrément est parmi les adverbes qui inscrivent le locuteur

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dans son énoncé, tout en lui permettant d’effectuer un choix entre les différents points de vue. Ainsi dans l’énoncé (36), nous pouvons repérer les points de vue suivants :

- Pdv1 : C’est dans cette structure pédagogique d’accueil qui admet et inscrit le bachelier sur dossier présenté par lui où réside la faille accentuée par une communication trop lente.

- Pdv 2 : C’est dans cette structure pédagogique d’accueil qui admet et inscrit le bachelier sur dossier présenté par lui où réside la faille accentuée par une communication absente.

- Pdv 3 : Pdv2 > Pdv1

Le locuteur -journaliste met en scène deux énonciateurs E1 et E2. Il assume les Pdv2 et Pdv3 qu’il attribue à E2, alors qu’il se dissocie du Pdv1 attribué à E1. Pour Rouanne (2012) « […] étant donné la nature sémantique de carrément, le Pdv2 est asserté de façon claire, nette, tranchée, et la force argumentative de B est augmentée » (p.52). A, qui correspond au Pdv1 dans (36), est présenté par le locuteur comme un argument trop faible, le locuteur le rejette tout en présentant un argument plus fort (B), et qui correspond au Pdv2. Nous proposons un autre énoncé (37) pour étayer ce fait :

37) C’est qu’à la franche disposition de la ministre de l’Education nationale à prendre langue avec les syndicats contestataires, répond, à contre-courant, un élargissement attendu du mouvement de protestation, avec le vent de fronde qui souffle sur certaines fédérations - dont la FNTE - affiliées à l’UGTA, plus que jamais menacée de «partition». Plus qu’un trivial problème de négociations et son corollaire de revendications à satisfaire, le bras de fer opposant le ministère de tutelle et les syndicats du secteur symptomatise, surtout, la déliquescence totale à laquelle est arrivé ce segment stratégique de la vie nationale, mêlé, consciemment ou non, à toutes les manœuvres, de même qu’il se retrouve otage d’intérêts étroits(A), voire claniques (B), ou carrément sectaires(C).

Jeudi 11 septembre 2014, éditorial.

L’usage de Carrément dans cet énoncé dépend de la structure suivante :

A, B, carrément C

Dans (37), nous repérons trois arguments A, B, C qui correspondent respectivement aux Pdv1, Pdv2 et Pdv3 :

- Pdv1 : Ce segment stratégique de la vie nationale se retrouve otage d’intérêts étroits. - Pdv2 : Ce segment stratégique de la vie nationale se retrouve otage d’intérêts claniques.

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- Pdv3 : Ce segment stratégique de la vie nationale se retrouve otage d’intérêts sectaires. - Pdv4 : Pdv3> Pdv1+Pdv2.

Nous constatons qu’il y a une gradation au niveau de l’emplacement des arguments A, B et C. Il y a donc une échelle argumentative9 :

r C

B

A

Figure n°7 : Echelle et classe des arguments introduits par l’adverbe « Carrément ».

Le locuteur-journaliste place une série d’arguments (A, B, C) dans une classe argumentative, déterminée par une certaine conclusion r. Il présente A comme un argument très faible, B comme un argument fort par rapport à A, alors que C est un argument très fort, ou supérieur par rapport à A et B. Le locuteur qui met en scène trois énonciateurs et à qui il attribue respectivement les points de vue Pdv1, Pdv2 et Pdv3 + Pdv4, se dissocie des Pdv1 et Pdv2. Cependant, son attitude vis-à-vis de ces points de vue et leurs énonciateurs diffère. Il exprime une prise de distance maximale vis-à-vis du Pdv1, une attitude qui peut aller jusqu’au rejet. Alors que le Pdv3, correspondant à C, l’argument le plus fort et le plus supérieur, est présenté par le locuteur comme imposé par l’évidence, ce qui met en scène un quatrième point de vue « l’amenant à mettre à distance des représentations plus faibles auparavant considérées ». (Rouanne, 2012 :53). Ces représentations véhiculées par les arguments A et B coïncident avec les Pdv1 et Pdv2.

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4.8. Le conditionnel

Le conditionnel, et plus particulièrement le conditionnel journalistique, a fait l’objet d’un nombre incontestable d’études : Abouda (1997, 2001), Dendale (1993, 2001), Haillet (1995, 2001, 2002), Kronning (2001, 2002, 2004, 2005), etc.

4.8.1. Définition

Comme son nom l’indique, le conditionnel marque une condition interne. Weinrich (1989) montre que « Le conditionnel peut exprimer une conséquence probable, mais pas certaine d’une condition irréelle. Dans ce cas la condition peut aussi être admise tacitement ; le conditionnel exprime alors une éventualité, elle aussi incertaine» (Weinrich, 1989 : 158). Dans les manuels français consacrés à la conjugaison, on présente souvent le conditionnel comme ayant trois usages canoniques :

- Le conditionnel temporel qui fonctionne comme un futur du passé. Cet emploi du conditionnel permet de situer l’éventualité en postériorité par rapport à un moment de référence passé.

- Le conditionnel d’éventualité qui est utilisé en corrélation avec le si hypothétique. Ce type présente une éventualité au potentiel ou à l’irréel.

- Le conditionnel dit journalistique. Il marque une prise de distance de la part du journaliste et l’emprunt des propos à une autre source.

Haillet (2002) distingue trois catégories du conditionnel : le conditionnel temporel, le conditionnel d’hypothèse et le conditionnel d’altérité énonciative. Il (2003) préfère l’emploi de l’expression « conditionnel simple » pour désigner ce qu’on appelait traditionnellement «le conditionnel présent » (ferait, irait, ...) et « conditionnel composé » pour ce qu’on appelait auparavant « le conditionnel passé » (aurait fait, serait allé,...). Alors que le conditionnel d’altérité énonciative renvoie à son emploi journalistique.

Soit l’exemple suivant:

38) Les minorités Toubou, Amazigh et Touareg, qui ne disposeront que de 6 sièges sur 60, ont annoncé en juillet qu’elles boycotteraient l’élection pour dénoncer le fait que les travaux de la commission se baseront sur le principe de la majorité, alors qu’elles réclament l’adoption d’un principe du consensus.

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elles allaient boycotter

Dans cet énoncé, le verbe « boycotteraient » peut être remplacé par la forme allaient

boycotter. La projection dans l’avenir paraphrasable par «…elles boycotteraient...» est antérieure

au maintenant du locuteur de l’énoncé. Le locuteur-journaliste est différent des minorités Toubou, Amazigh et Touareg, qui se présentent comme l’origine de cette projection dans l’avenir. Dans le cas du conditionnel d’hypothèse, « […] Le procès se trouve mis en corrélation avec un cadre hypothétique et représenté comme imaginé dans ce cadre » (Haillet, 2003 :41) Ce type d’emploi n’admet pas la paraphrase « allait + infinitif », une caractéristique propre à la première catégorie, le conditionnel temporel :

39) Par ailleurs, les CAC (Les clauses d’action collective) ne constituent nullement une panacée. Si tel était le cas, nous n’aurions pas besoin du droit des entreprises en difficulté, qui clarifie les problématiques de type précédence et égalité de traitement.

Lundi 06 octobre 2014, p. 11.

Dans cet exemple, le procès « ne pas avoir besoin du droit des entreprise » est mis en corrélation avec le cadre hypothétique « si tel était le cas ». Ce cadre hypothétique se présente sous forme des propositions en :

- (même) si + imparfait

- (même) si + plus-que-parfait

- sous d’autres formes déduites selon le contexte et l’emploi.

La 3ème catégorie renvoie au conditionnel épistémique, c’est le conditionnel d’altérité énonciative ou le conditionnel journalistique. Alors quelles sont les caractéristiques du conditionnel journalistique et comment serait-il polyphonique ?