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LES PROCEDES ARGUMENTATIFS

4.2.3. La question rhétorique

4.2.4.1. La question avec Est-ce que

Soit l’énoncé suivant :

9) Le nouveau aussi, selon la ministre française, est que le doctorant une fois son doctorat obtenu, a le droit de séjourner en France pendant un an, alors qu’auparavant cette période était limitée à six mois, pour lui permettre de trouver un emploi après ses études. La question qui se pose d’elle-même

:«Est-ce que :«Est-ces étudiants seront de retour un jour dans leur pays d’origine?».

Mardi 21 janvier 2014, p. 06.

3Il faut noter que chez Anscombre et Ducrot, la forme Est-ce que p ? est la forme canonique, elle représente, d’une façon générale, toute forme de question totale, y comprises les questions avec intonation, inversion sujet-verbe et avec est-ce que.

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L’énoncé (9) est extrait d’un article qui traite de la question des étudiants algériens en France et les opportunités que leur présentent la France au niveau du logement, de la santé, du séjour, etc. Lors d’une séance de signature de cinq conventions de partenariat entre le ministère français de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et le siège du Cerist à Alger, la ministre a énuméré les privilèges qu’ont les étudiants étrangers en France, y sont compris les étudiants algériens. Le journaliste s’interroge à la fin sur le fait que si ces Algériens seront de retour dans leur pays un jour ou non :

- «Est-ce que ces étudiants seront de retour un jour dans leur pays d’origine ? ».

Le locuteur-journaliste ne cherche pas une information auprès de son allocutaire, car il ne s’agit pas d’une vraie question. Il faut noter que la question est employée pour appuyer une assertion. Il s’agit, donc, d’une question rhétorique équivalente à une négation. De ce fait, la question Est-ce que p ? est orientée, dans cet énoncé, vers ~p, on peut avoir, comme équivalente, l’assertion suivante :

- Ces étudiants ne seront jamais de retour, un jour, dans leur pays d’origine.

Toute question rhétorique possède un aspect négatif 5 et c’est le cas de l’énoncé suivant :

10) Est-ce -que vous savez au moins d’où vient cette mode que vous calquez avec fierté ? Le pantalon taille basse a son origine dans les prisons surtout américaines où les ceintures sont enlevées aux détenus pour des raisons de sécurité. Les pantalons des prisonniers sont souvent en taille unique et donc trop larges.

Jeudi 05 décembre 2013, p. 21.

La question est sous forme de Est-ce que p ? Le locuteur- journaliste, d’après l’énoncé, ne cherche à avoir des informations qu’il connait déjà, la preuve en est qu’il présente dans la foulée sa réponse (Le pantalon taille basse a son origine dans les prisons surtout américaines où les ceintures sont retirées aux détenus pour des raisons de sécurité.). L’énoncé interrogatif peut s’orienter vers une assertion négative, ~ p:

5 Nous entendons par aspect négatif l’assertion contraire, un interro-négative peut être remplacée par une assertion affirmative et une interrogation affirmative peut être remplacée par une assertion négative.

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- Vous ne connaissez même pas d’où vient cette mode que vous calquez avec fierté.

L’interprétation peut engendrer un discours plus violent allant vers l’obligation, car la connaissance de l’origine de cette mode de vêtements est présentée comme une condition favorable même si elle est minimum. Cet aspect est introduit par l’emploi de Au moins dans l’énoncé. Ducrot et alii. (1980) présentent un exemple pour illustrer l’emploi modal de Au

moins avec Est-ce que dans la question suivante : « Est-ce que Pierre a au moins lu du

Chomsky ? » : « […] en demandant Est-ce que Pierre a au moins lu du Chomsky ?, on donne à entendre que la lecture de Chomsky est une condition favorable mais minimum » (Ducrot & alii, 1980 :105). L’énoncé interrogatif peut être remplacé par une injonction :

- Vous devez connaitre, au moins, d’où vient cette mode que vous calquez avec fierté.

Nous pouvons dire que, dans cet énoncé, l’interrogation a une orientation négative comme elle peut commuter avec l’injonction. Cependant, il ne s’agit pas toujours d’un aspect argumentatif négatif, il peut s’agir, parfois du contraire, comme le montre le troisième exemple :

11) Le décret n°88-204 du 18 octobre 1988 qui a suivi la loi n°88-15 a fixé les conditions de réalisation, d’ouverture et de fonctionnement des cliniques privées. A aucun moment, la législation n’a fait le distinguo entre la propriété du capital et l’exploitation technique des cliniques. Tous les textes ayant suivi ce premier dispositif législatif n’ont fait référence à la nature des personnes qui peuvent être propriétaires des cliniques. Il est juste précisé que les cliniques sont placées sous la responsabilité effective d’un médecin directeur technique. Est-ce que c’est une façon subtile d’ouvrir les portes aux personnes étrangères au domaine médical d’investir ce secteur ? En tout cas, nombre de cliniques appartiennent à des personnes qui n’ont aucune proximité avec le domaine médical.

Dimanche 22 juin 2014, p. 06.

Le journaliste parle du décret n°88-204 du 18 octobre 1988 ainsi que de la loi n°88-15 du 3 mai 1988 dans son article 208 bis relatifs aux conditions de réalisation, d’ouverture et de fonctionnement des cliniques privées en Algérie. Le journaliste remet en cause les décrets exécutifs et les décisions qui ont suivi la loi n°88-15 et le décret n°88-204, car ces textes,

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d’après lui, n’ont pas déterminé la nature des personnes propriétaires de cliniques privées. Le journaliste s’interroge:

- Est-ce que c’est une façon subtile d’ouvrir les portes aux personnes

étrangères au domaine médical d’investir ce secteur ?

Cette question totale avec Est-ce que p ? n’est pas orientée vers ~ p, comme dans les exemples précédents mais vers p car l’énoncé interrogatif peut être remplacé par l’assertion positive :

- C’est une façon subtile d’ouvrir les portes aux personnes étrangères au domaine médical d’investir ce secteur.

Il paraît donc que l’interprétation de l’énoncé (11) contredit l’hypothèse énoncée par Anscombre et Ducrot(1997), qui soutiennent que tout énoncé avec Est-ce que p ? est orienté et coorienté vers ~ p. Si la question en Est-ce que p ? est orientée vers ~p, cela n’empêche non plus qu’elle soit orientée vers p, dans des cas comme dans l’exemple (11). L’énoncé (11) appartient à la catégorie des rhétoriques inversées qui contredisent la terminologie traditionnelle des formes classiques dites les interrogatives rhétoriques simples. Dans le cas d’interrogations rhétoriques positives ou d’interrogations inversées, il y a une inversion des rôles et des principes classiques, ce qui confère à ces interrogations inversées le statut de questions polyphoniques.

Anscombre et Ducrot (1977) reconnaissent l’existence de ce genre de questions rhétoriques bien qu’elles contredisent leur thèse de départ (toute question rhétorique est orientée vers une assertion contraire). Ils déclarent : « Il nous faut donc montrer que les questions de cette nature sont fondamentalement différentes de celles qu'on dénomme habituellement « interrogations rhétoriques ». En particulier, que si elles admettent une réponse positive, c'est qu'elles font jouer un mécanisme différent » (Anscombre et Ducrot, 1976 : 129). Ce genre de questions a un indice distributionnel très important. Il concerne la position de la question, elle-même dans l’énoncé. La question rhétorique imposant une réponse positive précède toujours la conclusion visée par le locuteur mais ne la suit pas. Dans (11), la question est suivie de l’assertion :

- En tout cas, nombre de cliniques appartiennent à des personnes qui n’ont aucune proximité avec le domaine médical.

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Cette assertion fonctionne comme un élément qui sert à renforcer l’orientation de la question et conduisant vers la conclusion visée par le locuteur-journaliste. Elle est, en elle-même, la conclusion visée par lui.