• Aucun résultat trouvé

La religion a toujours joué un rôle crucial dans l’histoire du monde occidental, telle qu’on la connaît aujourd’hui, en forgeant, entre autres, la perception des gens et leur attitude par rapport au suicide. L’adoption des croyances monothéistes, par exemple, a modifié énormément les conceptions grecques et romaines du suicide. En effet, les Grecs et les Romains, qui pratiquaient des religions polythéistes, considéraient que le suicide contrevenait aux lois de l’État. Ils le jugeaient et le condamnaient en fonction des lois divines.

Les religions monothéistes — le christianisme, le judaïsme et l’islamisme, par exemple – considéraient la vie comme étant sacrée, en se basant sur les préceptes de la théologie. Par conséquent, le suicide était vu comme un acte indigne et devant être soumis à des punitions, comme la privation des rituels de funérailles et d’enterrement. La vie, selon ces religions, était un don de Dieu, non un patrimoine de l’État, et, par conséquent, se donner la mort était perçu comme un sacrilège (Veneu, 1994 : 15).

Pour ce qui est de la religion catholique, c’est au cours du Moyen Âge qu’elle a commencé à imposer les punitions les plus sévères. À partir de cette époque, on n’acceptera plus que le cadavre d’un suicidé soit enseveli dans un cimetière. En outre, l’Église acceptera que la famille du suicidé subisse des représailles de la part de la société et soit soumise à des rites spéciaux. Elle admettra, et même souhaitera, que le cadavre du suicidé soit mutilé. C’est dans ce contexte avec lequel des « tribunaux ecclésiastiques » seront créés avec pour responsabilité de juger si le décès d’un individu découlait ou non d’un suicide. Si ces tribunaux établissaient qu’un état de « mélancolie » ou de « folie agressive » avait mené un individu à se donner la mort, son cadavre était exempté de représailles publiques (Veneu, 1994 : 15).

On peut donc dire qu’à partir du Moyen Âge et jusqu'au XXe siècle, la religion catholique a fortement condamné le suicide. Ce n’est que récemment, grâce à l'influence des sciences sociales et de la psychologie, qu’elle a adouci sa conception de ce phénomène. Ainsi, à titre d’exemple de cette nouvelle perception par l’Église catholique, on peut citer l’encyclique Evangelium vitae, publiée en 1995 par le pape Jean-Paul II. Dans cette encyclique, le pape reprend les arguments théologiques traditionnels, qui condamnent le suicide sous sa forme objective. Toutefois, son texte présente une concession importante,

puisqu'il reconnaît que certaines forces psychologiques, sociales et culturelles peuvent soustraire le sujet à toute responsabilité subjective. Le texte condamne également l'euthanasie de même que le suicide assisté. Même perception du côté des églises protestantes, qui condamnent la mort volontaire pour des raisons très semblables (Mishara et Tousignant, 2004 : 10).

Pour sa part, selon Mishara et Tousignant (2004) dans le livre Comprendre le suicide, l’islam dicte que l'homme doit se soumettre en tout temps à la volonté divine et considère que s’enlever la vie est un crime envers Allah. Les multiples attaques suicidaires des « hommes- bombe », commises de nos jours, semblent cependant contredire cette position de l'islam par rapport au suicide. Certains chefs religieux qualifient même ces hommes de martyrs et leur prédisent le salut éternel et la protection d’Allah.

Traditionnellement, le judaïsme s'est opposé au suicide, car il considère que la vie doit être soumise à la volonté de Dieu. Le Talmud, l’un des textes fondamentaux du judaïsme rabbinique, rappelle que ce type de mort annule l'acte créateur de Dieu, témoigne d'une non- reconnaissance de l'immortalité de l'âme et enlève par le fait même toute possibilité de pardon. L’Halachah, institution juive, qui regroupe les lois, les sentences et les prescriptions religieuses régissant la vie quotidienne des Juifs, n'accorde pas tous les droits de sépulture à la dépouille des suicidés. Il arrive même que, dans certains cimetières juifs, on enterre leur corps en bordure du terrain. Cependant, plusieurs rabbins adoucissent ce traitement en considérant comme des suicides seulement les situations où les personnes ont annoncé l'imminence de leur acte et ont commis aussitôt l'acte. À la limite, les gens qui souffrent d'un mal physique ou moral extrême sont considérés comme n’étant pas en pleine possession de leur esprit et, par conséquent, ne sont pas tenus responsables de leurs actes (Mishara et Tousignant, 2004 : 9).

Pour faire un contrepoint, nous pouvons citer quelques religions – en soulignant que maintenant on se remet à l’Orient – dont l’attitude suicidaire n’est pas condamnée, et peut être même considérée comme une tradition, par exemple les religions hindouistes et bouddhistes, selon lesquelles les suicides par immolation et par inanition sont des actes qui ont leur source dans les traditions et qui y sont ancrés profondément.

En addition, on insiste sur la tradition du suicide au Japon, ou le Seppuku (aussi connu comme Hara-kiri), quoique celui-ci ne fait pas partie des prescriptions religieuses. Selon Toyomasa Fusé :

« Seppuku as a stylized and ritualized form of suicide by disembowelment has been a uniquely Japanese form of suicide for centuries. For the Japanese it has been a badge of courage as well as an honor reserved only for the samurai, Japan's traditional military aristocracy. » (Fusé, 1980 : 57). Aujourd’hui, encore selon Fusé, le suicide se constitue une institution culturelle.

Nous pourrions décrire plusieurs autres façons de concevoir la pratique du suicide selon les cultures. Par contre, il nous semble plus pertinent de nous concentrer sur la façon dont la société actuelle envisage la mort volontaire, si l’on veut mieux comprendre le phénomène chez les Atikamekw, objet de cette thèse. À cette fin, nous allons nous pencher davantage sur la philosophie, la psychologie, la sociologie et l’anthropologie et leurs définitions du suicide.