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L’historiographie au service des États-nations

Chapitre V – Aspects historiques du contact : analyse critique

3. L’historiographie au service des États-nations

Si on veut faire une analyse de l’histoire de la colonisation, on trouve facilement des données statistiques et des registres de documents écrits, tout à fait factuels. Par contre, les données issues de la tradition orale, de l’histoire conçue localement et ethniquement, sont difficiles à trouver. Ce silence sur l’histoire des Atikamekw – ainsi que sur d’autres Premières Nations au Canada – commence actuellement à être rompu. De toute façon, il révèle la résistance de la population non autochtone – soit ou non – à accepter les peuples autochtones comme des acteurs actifs et protagonistes de passages de l’histoire du Canada et du Québec, depuis la colonisation.

Pour discuter de la situation des Atikamekw au Québec, il faut avant tout faire une analyse de la pratique historiographique par rapport à eux. Pour y arriver, nous ferons une brève introduction sur la façon dont on raconte l’histoire de la colonisation du Canada et du Québec, à partir d’un regard officiel et en laissant de côté la participation des peuples autochtones aux guerres, son influence dans la culture canadienne et québécoise et sa participation dans la formation de la population actuelle. Selon Norman Clermont :

« Toutes les sociétés ont une histoire qui défie l’enregistrement. Personne ne se souvient de tout ce qu’il a vécu et aucune société ne saurait consigner tous les gestes ni toutes les idées de ses membres. L’autobiographie et l’histoire sociale ne font que souligner certains aspects perçus comme signifiants et ordonnés de manière intelligible. Toute histoire est donc une reconstitution entachée de subjectivité valorisante et toute intelligibilité de phénomènes historiques ne peut être que partielle. » (Clermont, 1977 : 3)

Particulièrement, l’histoire du Canada et du Québec est celle des colonisateurs anglais et français, alors qu’ils étaient les conquérants et se considéraient comme les seigneurs des terres, ceux qui avaient promu l’occupation et le développement du pays naissant. Ainsi, l’histoire à laquelle nous avons accès, c’est celle de l’action de l’Église catholique, ou encore celle sur le développement de la construction navale et de la navigation, sur la vie militaire et le commerce, et qui nous explique comment la vie intellectuelle européenne rentrait doucement dans le pays. L’historien européen du XIXe siècle fera mention des peuples autochtones, mais en leur attribuant toujours une place de sauvages ou de pauvres enfants qui ont besoin d’être sauvés. Autrement dit, nous pouvons identifier deux tendances : la tendance à l’extermination complète des populations autochtones et celle de leur assimilation.

En outre, il faut souligner que, à partir du début de la colonisation et pendant plusieurs autres années après, les membres de la société canadienne ont voulu être les représentants de l’Europe, du progrès, de la raison et de la civilisation. Ils ont toujours voulu conserver une identité européenne et rejeté toujours plus l’héritage autochtone. Le Canada sera défendu et produit par les élites blanches, par l’État et par la Couronne.

Par conséquent, l’héritage autochtone devait être oublié ou ne devait pas influencer la construction de l’identité des citoyens canadiens. Au contraire, il devait être utilisé en tant que modèle à ne pas suivre par le Canada. Ainsi, parmi les études historiographiques de cette époque, celles consacrées aux Autochtones avaient la fonction de mettre en relief la capacité du colonisateur de supplanter les influences sauvages des peuples originaires. De surcroît, les colonisateurs apparaissaient comme les bienfaiteurs des Autochtones. Ils s’octroyaient le devoir de les adopter, de les défendre, de les mettre en tutelle et de les christianiser.

Malgré les difficultés qu’elles ont vécues, on trouve chez les sociétés autochtones et leurs représentants, des personnes engagées et disposées à changer cette réalité néo- colonialiste et paternaliste. Ces personnes reconnaissent leur valeur et leur capacité à s’autogérer et veulent lutter pour leur autodétermination et leur autonomie par rapport à l’État-nation. Si aujourd’hui, les peuples autochtones du Canada jouissent d’une autonomie relative par rapport à leurs droits et à l’occupation de leurs territoires, c’est parce qu’ils ont vécu un long processus de luttes et de revendications, qui ont fait en sorte qu’ils passent de la position de victimes et d’enfants par rapport à l’État à une reconnaissance en tant que citoyens et membres de deux sociétés à la fois, capables de faire le pont entre l’une et l’autre.

Selon Fajardo (1999), les droits de décision autonome ou de libre détermination de développement, de participation, de consultation et de consentement préalable, libre et informé font partie d’un corpus de droits collectifs encadré dans de nouveaux principes de la relation entre les États et les peuples autochtones, lesquels brisent avec la tradition tutélaire antérieure. Avant ce nouveau cadre de droits, les États considéraient que les territoires où habitaient les peuples originaires et où ils habitaient eux-mêmes, étaient sous leur domination et leur tutelle et, par conséquent, sous leur seule décision. C’est pourquoi, dans les relations interethniques établies historiquement entre les États-nations et les peuples autochtones qui ont été soumis à la colonisation et dont la relation avec le colonisateur était remplie

d’asymétries, la question centrale porte sur les lois d’assimilation et d’intégration forcées. C’est pour cela que nous croyons qu’il faut apporter quelques précisions sur la Loi sur les Indiens et ses dispositifs afin de mettre en lumière quelques questions cruciales qui nous amèneront à la discussion finale.

Par ailleurs, nous nous proposons de clarifier les aspects pervers d’une politique de formation d’identités qui répond beaucoup plus aux questions nationales internes des pays centraux qu’aux problèmes politiques et juridiques des populations autochtones. On peut même y discerner une tentative d’avance hégémonique, qui utiliserait les différences internes des pays afin de mettre au point des solutions pratiques, opportunes pour la logique de productivité du monde « globalisé ». L’analyse basée sur cette prémisse vise à comprendre la logique qui sert d’arrière-plan au système tutélaire du Canada. Le « pouvoir tutélaire » est une forme de pouvoir créé et exercé à partir de la promulgation de « La Loi sur les Indiens » en 1867. Il s’agit d’un pouvoir étatique, exercé sur les populations et les territoires, qui cherche à assurer le monopole des procédures de définition et de contrôle sur les populations autochtones. Ainsi, la formulation d’un code juridique pour les populations autochtones du Canada et l’implantation d’un tissu administratif qui constitue un gouvernement des Autochtones sont des produits du pouvoir tutélaire. L’exercice d’un tel « pouvoir » sur les Autochtones possède des caractéristiques spécifiques qui ne doivent pas être confondues avec d’autres formes de pouvoir appliquées à de telles sociétés.

Selon l’anthropologue brésilien Antônio Carlos de Souza Lima, lorsqu’il écrit sur le système de tutelle existant dans son pays, le « pouvoir tutélaire » est compris comme une forme réélaborée – dans une continuité logique et historique – de la « guerre de conquête ». Il s’agit d’un pouvoir étatique, exercé sur les populations et les territoires, qui cherche à assurer le monopole des procédures de définition et de contrôle sur les populations autochtones. Ainsi, la formulation d’un code juridique sur les populations autochtones du Brésil et l’implantation d’un tissu administratif qui constitue un gouvernement des Autochtones sont des produits du pouvoir tutélaire. L’exercice d’un tel « pouvoir » sur les Autochtones possède des caractéristiques spécifiques qui ne doivent pas être confondues avec d’autres formes de pouvoir dirigé vers de telles sociétés. Comme un modèle analytique, selon la définition de l’auteur, la « conquête » est une entreprise ayant des dimensions distinctes : fixation des conquérants dans les nouveaux territoires à dominer, redéfinition des unités sociales

conquises, promotion de fissions et d’alliances dans le contexte de populations locales et objectives (Lima, 1995).

Aujourd’hui, l’appui tardif du Canada à la Déclaration de l’ONU sur les droits autochtones représente une partie de l’action de ce pouvoir tutélaire sur les Premières Nations78, sans toutefois leur enlever la situation d’agents de leur propre culture. Un bref éclaircissement sur la Déclaration va nous guider dans les prochains débats.

3.1 La Déclaration de l’ONU

La Déclaration des droits des peuples autochtones a été approuvée lors d’une assemblée générale de l’ONU, le 13 septembre 2007, à New York. La Déclaration a obtenu 143 votes favorables. Il y a eu 11 abstentions et 4 votes défavorables (États-Unis, Nouvelle- Zélande, Canada et Australie)79.

« La Déclaration établit un cadre universel de normes minimales pour la survie, la dignité, le bien-être et les droits des peuples autochtones du monde entier. La Déclaration adresse les droits collectifs et individuels; les droits culturels et l’identité; les droits à l’éducation, la santé, l’emploi, la langue ainsi que d’autres thèmes. » (ONU, 2007)

Ce texte, en plus de permettre la diffusion de l’ensemble des revendications actuelles des peuples autochtones à travers le monde, peut aussi être utilisé afin d’établir des paramètres pour la création d’autres instruments internationaux et de lois nationales. Dans la Déclaration, il est possible de trouver des principes tels que l’égalité de droits, la prohibition de la discrimination et le droit à l’autodétermination.

Dès les années 1970 et 1980, les Nations Unies avaient commencé à réunir des renseignements sur la situation des peuples autochtones sur la planète. Ensuite, en 1982, un Groupe de travail de l’ONU sur les populations autochtones a été créé pour mettre en œuvre

78 En 1980-1981, le Conseil mixte de l’Assemblée des Premières Nations utilise le terme « Premières Nations »

pour la première fois dans la Déclaration des Premières Nations. Le terme a comme objectif de donner aux peuples autochtones, en quête d’autodétermination et d’autonomie gouvernementale, le statut de « premiers parmi des égaux » aux côtés des peuples fondateurs : les Anglais et les Français. Tiré du site [http://www.afn.ca/index.php/fr/secteurs-de-politique/mettre-en-uvre-la-declaration-des-nations-unies-sur-les- droits-des-peuples-autochtones]

des actions internationales sur les droits des peuples autochtones. Toutefois, ce n’est qu’au début des années quatre-vingt-dix, que divers événements vont contribuer à la visibilité du mouvement international des peuples autochtones et lui donner une ampleur jusqu’ici insoupçonnée : la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement de Rio, en 1992, l’année internationale des peuples autochtones en 1993, la révolte des Indiens du Chiapas en 1994 ainsi que la mise en place d’une décennie internationale (1995-2004) en faveur des peuples autochtones.

À partir de 1985, l’ONU a travaillé à établir une Déclaration sur le droit des peuples autochtones, mais ce n’est que le 29 juin 2006 que les pays en sont venus à un consensus avec les représentants autochtones sur le sens de la déclaration, en l’approuvant devant la Commission des droits de l’homme. Pendant ce processus, les représentants des mouvements autochtones ont prolongé le temps de négociation afin de ne pas céder sur les revendications de base devant les pays opposés (dont le Canada faisait partie).

La Déclaration était prête et attentait l’approbation finale de l’Assemblée générale de l’ONU depuis novembre 2006, mais un groupe de pays africains, appuyés par les États-Unis et le Canada, a fait des objections sur la portée que des termes comme « peuples » et « autodétermination » pourraient avoir. Ils objectaient qu’on risquait ainsi de créer des divisions et des conflits interethniques de même que des tensions dans les frontières des pays. Cependant, après quelques négociations, la Déclaration a finalement été approuvée.

Ce n’est que le 12 novembre 2010 que le gouvernement canadien a décidé de signer la Déclaration. Le ministre des Affaires indiennes et du Nord, John Duncan, a alors annoncé : « Le Canada a appuyé la Déclaration dans le but de poursuivre la réconciliation avec les peuples autochtones du Canada et renforcer sa relation avec eux ». Les Métis et les Inuits sont aussi touchés par cette Déclaration.

Toutefois, comme l’a précisé le gouvernement canadien lors de son énoncé d’appui à la Déclaration, celle-ci ne modifie pas les lois canadiennes et ne constitue pas une expression du droit international. « Nous sommes désormais convaincus que le Canada peut interpréter

les principes de la Déclaration de façon conforme à sa Constitution et à son cadre juridique. » (Tiré du site [http://native-american.over-blog.com/categorie-11677912.html])80