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Chapitre III – Révision et analyse critique des méthodes de recherche sur le suicide en milieu

2. Données statistiques

2.1 Introduction critique

Nous allons maintenant présenter des données statistiques sur les peuples autochtones du Canada et du Québec37 – de même que sur le suicide –, puis nous discuterons des sources et de différents systèmes de mesures d’où proviennent ces données. Discuter de la provenance des statistiques nous pousse à nous questionner sur ces chiffres généraux, qui masquent des disparités importantes. Cela nous aide aussi à critiquer l’objectif politique et social derrière le processus – social et étatique – d’évaluation quantitative du suicide et la réalité construite ou occulte autour de la question. En partant de ce point de vue, nous irons au-delà de la seule énumération de chiffres, en analysant de manière plus sociologique et anthropologique comment les statistiques constituent en elles-mêmes une partie de la considération du phénomène comme un fait social et politique.

La critique des statistiques sur les populations originaires du Canada et du Québec, et sur le suicide en milieu autochtone doit être faite relativement à la collecte, à l’organisation et à l’interprétation des données. Par ailleurs, s’il est nécessaire de comparer le taux de suicide

37 Comme nous allons voir plus tard, autant au Canada comme dans la province du Québec, l’absence et des

entre les Autochtones et les non-Autochtones, c’est parce qu’il importe de connaître les variables utilisées pour l’élaboration et l’analyse de chacun. L’intervalle de temps entre les différentes collectes de données (par exemple, si l’intervalle entre les recensements au sein de la population non autochtone est plus long ou plus court que celui entre les recensements faits chez les Amérindiens) de même que l’unanimité ou la disparité entre les résultats obtenus par les différents organismes qui effectuent les recensements sont d’autres aspects qui démontrent l’importance de critiquer le processus. Nous croyons que le fait que le suicide autochtone soit mesuré à l’aide de statistiques doit être envisagé comme un acte politique et non seulement comme une mesure chiffrée. En vérifiant depuis quand des statistiques nationales ou provinciales sont enregistrées sur le suicide autochtone et s’il existe un historique de ces rapports, nous nous donnons des pistes pour comprendre comment l'État fait face au suicide. Conséquemment, nous saurons s’il existe une forme de reconnaissance de l’État (fédéral et provincial, dans le cas du Canada et du Québec) de l’existence publique du suicide en tant que problème légitime pour la bureaucratie gouvernementale.

Nous présenterons les données auxquelles nous avons eu accès et qui concernent les populations autochtones et non autochtones du Canada et du Québec, de même que celles portant sur le phénomène du suicide dans celles-ci.

2.2 Portrait statistique des populations autochtones du Canada et du Québec

Si l’on veut dresser un portrait statistique des populations autochtones du Canada, en présentant les données sur le suicide, nous devons souligner que, selon Kirmayer et al. (2009), l’héritage des politiques d’assimilation forcée doit être intégré dans la relation actuelle des peuples autochtones avec la société canadienne. Les stéréotypes qui dépeignent les Autochtones comme des « sauvages » ou des « alcooliques », par exemple, perdurent encore dans les médias populaires. Le racisme est toujours répandu, bien qu’il soit parfois subtil, et on constate un manque persistant de sensibilisation historique à l’égard de l’expérience de la colonisation des peuples autochtones et de son impact durable sur leur bien-être et leurs conditions sociales. La tutelle et le contrôle gouvernemental, bureaucratique et professionnel, continuent à miner les efforts visant l’auto-détermination.

En attirant l’attention sur la question du suicide comme une conséquence du contact et des politiques citées précédemment, les auteurs affirment que la large variation entre les taux de suicide et d’autres indices de détresse chez les communautés autochtones, indique l’importance de considérer la nature des communautés et les différences dont celles-ci répondent au stress lié à la colonisation, à la sédentarisation, à la surveillance bureaucratique et au contrôle technocratique (Kirmayer et al., 2009 : 18-9).

Dans le rapport Suicide chez les Autochtones au Canada, publié par la Fondation autochtone de guérison (Kirmayer et al., 2007), les auteurs affirment que :

« Même s’il y a d’énormes variations parmi les collectivités, les bandes et les nations, le taux global de suicide chez les populations des Premières Nations représente le double de celui de l’ensemble de la population canadienne; le taux chez les Inuits est encore plus élevé – 6 à 11 fois supérieur à celui de la population générale38. Pour ce qui est des Autochtones, le suicide témoigne de la détresse chez la jeunesse. De l’âge de 10 à 19 ans, les jeunes Autochtones vivant dans les réserves ont 5 à 6 fois plus de risques de se suicider que leurs pairs au sein de la population générale39. Malgré l’inquiétude généralisée que suscitent ces statistiques alarmantes, le manque d’information sur le suicide chez les Autochtones, ses causes et les interventions efficaces en cette matière persiste. » (Kirmayer et al., 2007 : 1)

Toujours selon les auteurs du rapport, même si nous pouvons faire des distinctions entre les tentatives de suicide, les suicides complétés et les parasuicides (comportements autodestructeurs, sans que le sujet ait une intention réelle de s’enlever la vie), en considérant que chacun de ces gestes englobe une série de comportements, de recherches et de contextes variés, il nous semble important de discuter surtout les statistiques sur les cas de décès par mort volontaire, lorsqu’elles nous permettent d’analyser le phénomène du suicide dans les sociétés autochtones déjà mentionnées.

Les principaux critères utilisés dans les recherches statistiques sur les peuples autochtones au Canada et au Québec apparaissent dans le rapport technique sur les peuples autochtones (recensement de 2006, Statistique Canada)40. Selon ce rapport, il existe diverses façons de définir la population autochtone, à partir des quatre questions posées à ce sujet dans

38 Gouvernement du Canada cité dans Kirmayer et al., 2007 : 1.

39 Comité consultatif sur la santé mentale autochtone, Direction générale des services médicaux, 1991a cité dans

Kirmayer et al., 2007 : 1

le recensement : ascendance autochtone (origine ethnique), identité autochtone, appartenance à une bande indienne/Première nation et Indien inscrit ou Indien des traités.

Par « ascendance autochtone », on fait référence aux personnes ayant déclaré au moins une ascendance autochtone (Indien de l’Amérique du Nord, Métis ou Inuit). Sont incluses dans cette catégorie l’ascendance unique (la déclaration par le répondant d’une seule ascendance autochtone) et les ascendances multiples (la déclaration par le répondant de deux ascendances ou plus, dont au moins une ascendance autochtone). De plus : « sont incluses les personnes qui ont indiqué s’identifier à au moins un groupe autochtone, ainsi que celles qui ont déclaré être un Indien des traités ou un Indien inscrit, conformément à la définition de la Loi sur les Indiens du Canada, de même que celles qui ont déclaré appartenir à une bande indienne ou à une Première Nation »41.

L’identité autochtone fait référence aux personnes ayant indiqué appartenir à au moins un groupe autochtone, c’est-à-dire les Indiens de l’Amérique du Nord, les Métis ou les Inuits. Avant le recensement de 1996, on obtenait des données sur la population autochtone à partir de la question sur l’origine ethnique. La question sur l’identité autochtone du recensement de 2006 est la même que celle utilisée en 1996 et en 2001.

Par membres d’une bande indienne ou d’une Première Nation, on entend les personnes qui ont déclaré appartenir à une bande indienne ou à une Première Nation au Canada. Par Indiens inscrits ou Indiens des traités, on entend les personnes qui ont déclaré être des Indiens inscrits en vertu de la Loi sur les Indiens du Canada. Les Indiens des traités sont des personnes inscrites en vertu de la Loi sur les Indiens et qui peuvent prouver qu’elles descendent d’une bande signataire d’un traité.

Selon Statistique Canada, en 2006, l’ensemble des Premières Nations, des Métis et des Inuits comptait 1 172 790 personnes. De plus, le recensement de 2006 indique que la population autochtone a progressé de 45 % entre 1996 et 2006. Plus précisément, le recensement a dénombré 50 485 Inuits, 698 025 membres des Premières Nations et environ 400 000 métis. Proportionnellement, en 2006, les Autochtones représentaient 3,8 % de l'ensemble de la population du Canada, comparativement à 3,3 % en 2001 et à 2,8 % en 1996. Les Premières Nations composaient 62 % de la population autochtone, les Métis 30 % et les

Inuits 5 %42. Le ministère des Affaires autochtones et du développement du Nord canadien 43 utilise les résultats de ces trois recensements pour son administration. Cela démontre les similitudes dans l’exclusivité et la qualité des études, de même que la régularité et l’homogénéité, au plan national, des instruments de mesure du taux de l’ensemble de la population autochtone.

Néanmoins, il est important de souligner que quelques communautés n’ont pas pris part au recensement, « car le dénombrement n'a pas été autorisé, ou il a été interrompu avant sa réalisation. En 2006, il y avait 22 réserves partiellement dénombrées, comparativement à 30 en 2001 et à 77 en 1996 » (Statistique Canada, 2006). Selon Frideres et Statistiques Canada, on retrouve, parmi les groupes autochtones du Québec et du Canada, une grande diversité de communautés : 600 collectivités de Premières Nations et 11 groupes linguistiques. « Environ, une personne autochtone sur 4 peut parler une langue autochtone; pour les 14 langues autochtones encore vivantes, il y a plus de 2000 personnes qui utilisent chacune d’entre elles. » (Statistique Canada, 2003 in Kirmayer et al., 2007 : 14).

Par rapport à la prévalence, la répartition géographique et la configuration du suicide selon l’âge et le sexe, Kirmayer et al. (2007) affirment que, malgré des améliorations dans les enquêtes récentes concernant l’obtention de données sur le suicide, il y a encore beaucoup de lacunes. Selon les auteurs : « il n’y a aucune étude jusqu’à présent qui a systématiquement comparé le taux de suicide des divers groupes autochtones au Canada ». Également, le tableau ci-dessous, extrait du même rapport :

« […] fait le résumé des résultats de rapports publiés qui présentent le taux de suicide chez des populations et des collectivités autochtones. Ces taux ne sont pas directement comparables étant donné qu’ils sont le résultat de méthodes de compilation, de tranches de temps et de caractéristiques de différents échantillons. Par contre, ils indiquent tous des taux de beaucoup supérieurs à ceux constatés chez des groupes du même âge et de même sexe de la population générale. Ces études montrent également un grand nombre de variations du taux de suicide entre les collectivités, même au sein d’une même région géographique. » (Kirmayer et al., 2007 : 18-9)

42 Le reste provient d’autres groupes dont les membres ne se considèrent pas autochtones, nonobstant leur

héritage (Kirmayer et al., 2007).

43 Le 21 mai 2011, le gouvernement changeait le nom du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien

Tableau 1 – Résumé des résultats de rapports publiés

Région Groupe Période Source Taux de suicide* (par 100 000)

Labrador

Autochtones Âgés de 15 à 24

ans

1979-1983 Aldridge et St-John, Wotton, cité dans 1991 337 Innu, Inuit Labrador Âgés de 10 à 19 ans 1977-1988 Aldridge et St-John, 1991 180 Québec Indien 1984-1988

Comité directeur sur la santé mentale des Autochtones de la Direction générale des services médicaux 25,4 Inuit (Nunavik) 2002 Régie régionale de la santé et des services sociaux du Nunavik, 2005 82

Ontario Wikwemikong Ojibwa 1975-1982 1975 Ward et Fox, 1977 Spaulding, 1986 62 267

Manitoba

Nord du Manitoba

Indiens 1981-1984 Ross et Davis, 1986 77

Autochtones Âgés de 18 à 20 ans 1971-1982 Thompson, 1987 177 h 32f Jeunes autochtones Âges de < 24 ans 1984-1988 Sigurdson et coll., 1994 60 1988-1994 Malchy et coll., 1997 32

Premières Nations 1996-1997 Santé Canada, 2001 21

Alberta Nord de l’Alberta Autochtones Âgés de 15 à 34 ans 1980-1985 Bagley et coll., 1990 80 h

Saskatchewan Premières Nations 1996-1997 Santé Canada, 2001 19

Colombie-

Britannique Premières Nations 1996-1997 Santé Canada, 2001 33

Nunavut Inuit 2002 Inuit Tapiriit Kanatami, 2005; Hicks, prochaine publication, 2007 77 Territoires du Nord-Ouest Population totale Personnes âgées de 15 à 24 ans 1970-1980 Rodgers, 1982 120 h 40f

* Arrondi au nombre entier; h= homme, f= femme.

Par ailleurs, nous verrons plus tard que la fréquence du suicide s’est accrue partout, mais avec une intensité variable d’un endroit à l’autre. Le premier problème qu’on doit résoudre est celui du rapport entre une étude qui vise à comprendre le suicide à partir d’une conception locale et le portrait global que la statistique sociale révèle. Mais comment s’y prendre, quand les registres de mortalité par suicide en milieu autochtone ne tiennent compte que des variables comme le sexe et l’âge, sans faire mention de bien d’autres caractéristiques sociales44 qui pourraient être reliées à ce phénomène? Il faut commencer par se demander comment les recherches statistiques sont faites en milieu autochtone, en comparaison avec celles menées en milieux non autochtones. Comme nous l’avons déjà dit, différents paramètres doivent être observés pour juger de la valeur des données recueillies : la fréquence des recensements, la qualité des études, la question de la constance (ou non) des résultats (les résultats changent d’une recherche à l’autre), les raisons des variations des résultats (découlent du niveau de la qualité de l’étude ou de l’utilisation de différents paramètres).

Parmi la population non autochtone du Canada, de 1979 à 2000, le taux de suicide a diminué, passant de 16,7 à 12 sur 100 000 habitants. En 2010, il a été de 10,2 sur 100 000 habitants, soit 18,7 sur 100 000 pour les hommes et 5,2 sur 100 000 pour les femmes45 (Statistique Canada, 2001; Organisation mondiale de la santé, n.d.b in Kirmayer et al., 2007 : 16). Parmi les Premières Nations et parmi les Inuits, les taux de suicide sont généralement plus élevés que ceux de la moyenne de la population non autochtone. Chez les Premières Nations, le taux de suicide était de 24 sur 100 000 habitants, c’est-à-dire 2 fois plus que le taux général de la population canadienne et québécoise46. Selon les données du gouvernement du Canada, entre les années 1999 et 2003, le taux de suicide parmi les Inuits au Canada atteignait en moyenne 135 sur 100 000 habitants (Kirmayer et al., 2007 : 17).

D’ailleurs, autant au Canada qu’au Québec, il n’existe pas de données sûres. Les critères censitaires et les données varient énormément, et il existe encore des peuples au sujet

44 Comme le revenu, la scolarité, l’emploi, c’est-à-dire des caractéristiques qui, si mises en lumière, nous

offriraient un portrait moins généraliste du phénomène du suicide.

45 Même si les données datent de l’année 2000, selon nos recherches dans les pages internet de l’OMS

(Organisation mondiale de la santé) et de Statistique Canada, les taux n’ont pas beaucoup varié.

46 Au Québec, le taux de suicide est légèrement plus élevé, 14,2 sur 100 000 en 2008. Selon Brian Mishara,

directeur du CRISE (Centre de recherche et d’intervention sur le suicide et l’euthanasie), le travail des coroners au Québec explique en partie la différence entre le taux canadien et le taux québécois. « Les suicides sont bien comptabilisés au Québec. Il n'y a pas beaucoup de décès dont les causes restent indéterminées, contrairement aux autres provinces. » Tiré du site http://beta.cyberpresse.ca/actualites/quebec-canada/national/201002/02/01- 945343-net-recul-du-suicide-au-quebec.php, consulté le 15 octobre 2011.

desquels on n’a aucune information, de sorte que nous proposons d’être très prudents dans l’analyse des taux statistiques par rapport aux Premières Nations, aux Métis et aux Inuits, surtout en ce qui a trait au suicide. De plus, bien que le taux de décès par suicide dans la population autochtone soit plus élevé que la moyenne canadienne, il est important de souligner que ce ne sont pas toutes les collectivités autochtones du Canada qui connaissent un taux élevé de suicides. En fait, il existe des différences importantes selon les provinces, les régions et même entre différentes collectivités autochtones au sein d’une même région géographique. Par exemple, une étude réalisée en Colombie-Britannique a montré que certaines collectivités autochtones de la province avaient un taux de décès par suicide chez les jeunes 800 fois supérieur à la moyenne nationale. D’autre part, la même étude a montré qu’un peu plus de la moitié des 196 collectivités étudiées n’avait signalé aucun suicide en cinq ans47. De même, des chercheurs ont découvert qu’en Alberta, le taux de décès par suicide est trois fois plus élevé dans le nord que dans le sud48.

2.3 Critique finale par rapport aux statistiques

Autant au Canada qu’au Québec, lorsqu’on parle des populations autochtones, on utilise des termes génériques, comme si on pouvait les regrouper en une seule catégorie et ne pas tenir compte de leur diversité. Conséquemment, avant d’affirmer que partout dans ces communautés, les taux de suicide ont augmenté – ou de faire n’importe quelle autre affirmation du genre –, nous devrons nous baser sur des données fiables qui tiennent compte des caractéristiques géographiques ou, idéalement, des particularités de chaque ethnie. Néanmoins, il n’existe pas d’archives historiques sur les populations autochtones, ainsi comme il n’existe pas de recherches systématiques sur le suicide dans les différentes communautés autochtones du Canada, bien que quelques recherches aient été faites au niveau régional, comme nous l’avons vu précédemment.

Une première analyse du phénomène a déjà été tentée, mais quand on l’examine attentivement, on constate qu’elle présente des lacunes sur le plan régional. Or, si au Canada nous pouvons trouver des statistiques sur le taux de suicide chez les non-Autochtones qui tiennent compte de la région et de la province, nous pouvons aussi établir des rapports entre la

47 Chandler et Lalonde, 1998. Cultural Continuity as a Hedge Against Suicide in Canada’s First Nations.

Transcultural Psychiatry, 35(2), 193-211.

48Bagley, C., Wood, M. et Khumar, H. 1990. Suicide and careless death in young males: Ecological study of an

mort volontaire et, par exemple, le revenu ou l’accès à l’éducation. Si on analyse les taux de suicide chez les Autochtones, nous ne trouvons pas de données sur leur lieu de résidence. Sont-ils du Québec, de la Colombie-Britannique ou de n’importe quelle autre province ou région du Canada? Cela entraîne une généralisation qui écrase complètement les différentes particularités sociales qui peuvent exister selon les différentes régions. On se demande s’il y a des différences entre le taux national et les taux provinciaux, entre les taux concernant les Autochtones vivant en milieu urbain et ceux établis dans les réserves, ou encore en fonction d’autres aspects qui permettraient de dresser un portrait moins générique du phénomène. Comment peut-on analyser le suicide chez les Autochtones si on l’observe de façon aussi globale? Si on ne dispose pas des données régionales ou provinciales, la statistique perd alors son sens, et on ne peut comprendre le phénomène dans toute sa complexité. Ce manque de considération des particularités relatives aux différentes communautés autochtones nous empêche d’établir une classification sérieuse des taux de suicide qui tiendrait compte aussi d’autres facteurs.

Ainsi, que nous révèle ce manque de précision dans l’analyse du suicide chez les Autochtones par rapport à notre façon de les considérer? Pourquoi existe-t-il pour nous « un Autochtone générique » et pourquoi n’analysons-nous pas le phénomène du suicide chez ces populations de la même façon que nous le faisons pour la population générale du Canada? La mesure statistique est en soi un acte qui comporte des implications sociales et politiques. Dans la sphère publique canadienne et québécoise, les gens considèrent plus ou moins le suicide chez les Autochtones comme un « problème canadien » observé à travers une mise en scène qui ne tient pas compte, entre autres, de l’évolution des recensements ou des chiffres sur le suicide. Mais quand on parle du milieu non autochtone, le discours change complètement. Il existe plusieurs études quantitatives et qualitatives qui accordent une importance et une gravité au phénomène qui sont beaucoup plus grandes que lorsqu’il est question de la