• Aucun résultat trouvé

Suffixes déverbaux

Chapitre 4. La palatalisation des occlusives vélaires en picard

4.2. Typologie de la palatalisation des occlusives vélaires en picard

4.2.2. Devant voyelle postérieure

4.2.2.2. Palatalisation

4.2.2.2.2. Suffixes déverbaux

Les suffixes commençant par une voyelle postérieure mais compatibles avec la palatalisation sont :

-oér / -oé / -o (< -atorium, français « -oir ») servant principalement

à dériver un nom d’outil ou d’instrument

-ot (< -ottum), avec valeur de diminutif

-ard, qui forme un nom d’agent, en alternance et en concurrence

avec -eus (français « -eur »). Le féminin analytique -arde est souvent remplacé par -oire / -oére, issu du précédent. Cette forme supplétive est aussi utilisée à la place de -euse, ce qui contribue à lier intimement ces différentes formes (-ard, -eus, -oire)

-age (-ache) (< -aticum), très fréquent pour former un substantif

désignant l’action ou son résultat.

27 À Gondecourt, le morphème de la 1ère personne du pluriel de l’imparfait (synthétique) est

-acion (< -ationem), plus rare, utilisé dans les dérivés savants, ainsi,

théoriquement, que -atif (< ativum) entrant dans la formation d’adjectifs.

La palatalisation devant ces suffixes n’est pas aussi systématique que dans les paradigmes de conjugaison. Nous observons des flottements dans notre corpus littéraire et dans les descriptions antérieures, difficiles à caractériser précisément car le contexte est assez rare.

Vasseur (1963) présente systématiquement le suffixe -ouére comme variante de -euse ; il en résulte qu’une entrée comme

matcheux, -euse -ouére (màćœ, -œz, -wér), s. m., f., celui, celle

qui màk

doit s’analyser comme comportant une forme [maʧweʀ], avec palatalisation devant le suffixe -oére. Chez Duquef (2005), par contre, il n’y a pas alternance libre entre les deux formes du féminin (matcheux,

euse ; tédgeux, euse).

Joutchoér « perchoir » est utilisé par Leclerc, et donné comme la

seule forme par Vasseur (1963) et Duquef (2005), respectivement dans le Vimeu et à Amiens. Par contre, les deux lexicographes relèvent l’alternance des deux formes makoére et matchoére « mâchoire ». Peut-être faut-il invoquer un lien plus lâche avec le verbe dans le cas de « mâchoire » que dans celui de « perchoir ».

Leclerc utilise aussi chambutchage « le fait de cogner ». Duquet présente la forme esplitchation « explication », qui nous paraît exceptionnelle. Nous n’avons pas trouvé d’exemples de palatalisation devant -atif, présent dans le dérivé burlesque démacatif « écœurant » (de

démaker / dématcher « vomir »), alors que la palatalisation est fréquente

avec d’autres suffixes (y compris commençant par une consonne : voir infra 4.2.5).

Le suffixe -ard est cité par Viez (1933 : 114) au titre de « č, ǧ devant a

(...) dus à l’action analogique des infinitifs en či, ǧi ». Il cite ainsi les

formes [plyʧar] (cf. [plyʧi] « manger par petites bouchées et à même le plat ») et [beʤar] (cf. [beʤi] « bégayer »). Par contre, Viez donne la forme [sukar] « sournois » : dans ce cas, le lien avec le verbe souker « ruminer » (que l’on trouve dans d’autres parlers) est rompu (on ne trouve pas *[suʧi] à Roubaix et environs).

Chez Vasseur (1963), le suffixe -ard pose un problème intéressant. Il se présente sous la forme -èrd [ɛʀ], le [ʀ] exerçant dans cette région une action systématique sur le [a] qu’il suit (fermeture et antériorisation). Dès lors, une forme comme matchèrd [maʧɛʀ] n’offre pas de difficulté d’analyse, s’agissant d’une palatalisation devant la voyelle antérieure [ɛ]. Néanmoins, le contexte « devant ɛʀ < aʀ » ne provoque habituellement pas la palatalisation dans ce parler (4.2.3.1.1) : ce cas de palatalisation est donc une « exception dans l’exception » pour laquelle l’analyse standard (alternance allophonique) est insuffisante28.

La géographie du phénomène peut sembler difficile à mettre en évidence à partir des données de l’ALPic-2, compte tenu de sa rareté. On trouve à la carte 569 « (la) crécelle » les formes [kʀatʃo, klatʃo] (soit « craquoir ») aux points 15 et 16 (région lilloise) ; à la carte 598 « (un) hérisson », [yʀʃo a pitʃo] (« hérisson à picots ») au point 54 (Gommegnies, au sud de Valenciennes)29. La carte 559 « (un) bègue » est la plus parlante. On y trouve une alternance des suffixes -eus et -ard, parfois en concurrence pour un même point, associés au radical bègu-. On trouvera sur les cartes 4 et 5 la répartition des formes bégueus / bédgeus et

bégard / bédjard :

28 Le segment [ɛ] issu de [a] devant [ʀ] est ouvert, alors que [e] étymologique dans la même position est fermé ; une analyse phonologique par commutation conclurait probablement que l’opposition des deux phonèmes /a/ et /e/ est maintenue devant /r/, /a/ se manifestant dans l’allophone [ɛ].

29 La nasalisation est inhabituelle, ce type lexical étant habituellement représenté par

irchon (à) picots. La localisation au point 54 est également inattendue, puisque ce

Légende :

● forme affriquée

▲ forme palatalisée sans affrication + forme non palatalisée

La répartition bégueus / bédgeus est conforme à la répartition habituelle de la palatalisation devant voyelle antérieure, hormis que ces formes n’apparaissent pas dans la région lilloise. Pour cette zone, il faut se reporter à la carte bégard / bédjard : la distribution des formes palatalisées avec et sans affrication y correspond à ce que nous avons observé dans le contexte « devant voyelle antérieure » (affrication au nord et à l’est de Lille, palatalisation simple au sud et à l’ouest), ce qui rend les deux contextes comparables en tous points. Dans la zone sud-ouest, il est remarquable que le type bédjard apparaît, surtout en alternance locale avec bédgeus, à la limite nord de la zone (entre la Somme et le Pas-de-Calais), et, pour un seul point, à sa limite sud (entre la Somme et l’Oise)30.

30 Les formes notées begjaR au sud de l’Avesnois ne sont sans doute pas à proprement parler des formes palatalisées (à la différence des formes beg’aR en région lilloise), mais des formes issues d’un type lexical local bégui(ll)er, à la limite avec le wallon (cf.

béguiyi à Anor, d’après Carion 2001 : 164). Elles apparaissent dans notre

L’ALPic-1 offre une autre carte permettant d’illustrer le phénomène : la carte 50 « (le) perchoir » (type jouk- + suffixe o(é)(r)) :

Les zones vierges correspondent à d’autres types lexicaux : jouke (sans suffixe), p(i)erche, écoperche, perchoir, baton, ékèle. On constate que, si la répartition (au sud) est approximativement identique à celle que l’on observe dans le contexte « devant voyelle antérieure », cette répartition est fragmentaire. Les autres types lexicaux viennent peut-être résoudre la contradiction entre le conditionnement purement phonologique (qui interdit la palatalisation) et la pression paradigmatique (qui la réclame).

représentation cartographique à cause de la confusion de la notation de la palatalisation et du yod dans la graphie Feller-Carton qui lui sert de support.