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Caractérisation légale

Chapitre 2. Cohésion du picard : les facteurs extralinguistiques

2.1. Caractérisation légale

Le picard est l’une des langues de France, au sens du rapport Les

langues de la France de Bernard Cerquiglini1. Il y est classé parmi les langues dites « d’oïl » ; rappelons ici la justification que donne l’auteur du rapport à l’appui de ce choix :

Que l'on adopte, pour expliquer sa genèse, la thèse traditionnelle et contestable d'un dialecte d'oïl (le supposé francien) « qui aurait réussi » aux dépens des autres, ou que l'on y voie la constitution très ancienne d'une langue commune d'oïl transdialectale, d'abord écrite, puis diffusée, le français « national et standard » d'aujourd'hui possède une individualité forte, qu'a renforcée l'action des écrivains, de l'État, de l'école, des médias. Il en résulte que l'on tiendra pour seuls « dialectes » au sens de la Charte [Européenne des Langues Régionales et

Minoritaires], et donc exclus, les « français régionaux »,

c'est-à-dire l'infinie variété des façons de parler cette langue (prononciation, vocabulaire, etc.) en chaque point du territoire. Il en découle également que l'écart n'a cessé de se creuser entre le français et les variétés de la langue d'oïl, que l'on ne saurait considérer aujourd'hui comme des « dialectes du français » ; franc-comtois, wallon, picard, normand, gallo, poitevin-saintongeais, bourguignon-morvandiau, lorrain doivent être retenus parmi les langues régionales de la France ; on les 1 Bernard Cerquiglini, Les langues de la France, Rapport au Ministre de l'Education

Nationale, de la Recherche et de la Technologie et à la Ministre de la Culture et de la Communication, avril 1999 ( http://www.culture.gouv.fr/culture/dglf/lang-reg/rapport_cerquiglini/langues-france.html). Voir aussi Cerquiglini 2003.

qualifiera dès lors de « langues d'oïl », en les rangeant dans la liste.

Rappelons également que cette position constitue une nouveauté sur le plan de l’attitude des pouvoirs publics en France, telle qu’elle s’est exprimée au travers des rapports successifs qui ont accompagné la signature par la France de la Charte Européenne des Langues Régionales et Minoritaires. C’est ainsi que le rapport Langues et cultures régionales de Bernard Poignant2 estimait en 1998 que « [l]es langues d’oïl, langues

utilisées au Moyen-Âge par les seigneurs de ces régions, [...] ont disparu et les parlers actuels ont été largement influencés par le français.[...] Les parlers d’oïl tels que le picard (au nord), le gallo (à l’ouest), le poitevin, le saintongeais, le normand, le morvandiau, le champenois, d’autres encore constituent autant de formes régionales du français. » (p. 5).

En l’absence de ratification par le Parlement français de la Charte Européenne des Langues Régionales, le picard, pas plus que les autres langues de France, ne bénéficie d’aucun statut légal en France. Il entre néanmoins dans les préoccupations du Ministère de la culture et plus particulièrement de la Délégation Générale à la Langue Française et aux Langues de France (DGLFLF). Dans le domaine de l’éducation, le picard n’entre pas dans le champ d’application des différents textes régissant l’enseignement des langues régionales en France : loi « Deixonne » du 11 janvier 1951, loi « Savary » du 26 janvier 1984, loi d’orientation du 10 juillet 1989 sur l’éducation, et leurs textes d’application3. Dans l’enseignement supérieur, l’Université de Lille-3 propose un enseignement dûment labellisé en culture et langue régionales picardes, s’inscrivant dans la tradition d’une Chaire de dialectologie picarde et wallonne créée dès la

2 Langues et cultures régionales, rapport de M. Bernard Poignant, Maire de Quimper, à

M. Lionel Jospin, Premier Ministre, 1er juillet 1998

(http://www.ladocfrancaise.gouv.fr/BRP/984001448/0000.pdf)

3 Il s’agit davantage des effets d’une interprétation restrictive des textes que d’une volonté affirmée du législateur ou des gouvernants. Le picard a pu bénéficier ponctuellement des dispositions de la circulaire « Savary » du 30 décembre 1983. Jusqu’en 2002, une épreuve facultative de picard était proposée dans les Académies de Lille et d’Amiens au concours de Professeur des Écoles (ce choix a été supprimé à l’occasion de la réorganisation des épreuves du concours). La loi du 23 avril 2005 d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école ouvre peut-être de nouvelles perspectives dans un cadre décentralisé, puisqu’elle prévoit en son article 20 la possibilité d’un conventionnement entre l’État et les collectivités territoriales pour l’organisation de l’enseignement des langues régionales.

fin du XIXe siècle4. Enfin, les différents textes définissant les obligations des médias publics en matière d’utilisation des langues régionales ne semblent être appliqués au picard qu’avec parcimonie.

Il faut mentionner qu’au niveau régional, l’attention des collectivités territoriales est inégale. Le Conseil Régional de Picardie prête une attention soutenue au picard, notamment au travers de l’Office Culturel Régional de Picardie (OCRP) qui possède un département « langue et culture de Picardie » doté de moyens humains et financiers appréciables. L’OCRP soutient ou organise lui-même de nombreuses manifestations autour du picard : cycles de conférences, festival « ches Wèpes », publications, aides à la recherche... Dans le Nord-Pas-de-Calais, l’intérêt des pouvoirs publics pour le picard se manifeste surtout au sein de certaines collectivités locales ou groupements intercommunaux.

En Belgique, le picard entre dans le champ du décret de la Communauté française en date du 24 décembre 1990, relatif aux langues régionales endogènes, aux côtés du wallon, du champenois, du lorrain (gaumais) et du francique mosellan. Ce décret reconnaît (article 2) que

« [l]es langues régionales endogènes font partie du patrimoine culturel de la Communauté ; cette dernière a donc le devoir de les préserver, d’en favoriser l’étude scientifique et l’usage, soit comme outil de communication, soit comme moyen d’expression ». Le picard est également

concerné par le décret du 24 janvier 1983 « relatif au recours à un dialecte de Wallonie dans l’enseignement primaire et secondaire de la Communauté française ».

À noter qu’une tentative de coordination des politiques publiques des trois régions se fait jour actuellement, avec les Journées Interrégionales de la Langue Picarde, qui regroupent acteurs associatifs, universitaires, élus et représentants institutionnels. La première édition de ces Journées a eu lieu dans la région Nord-Pas-de-Calais en décembre 2005 (Wallers et Denain, avec le support de la Communauté d’Agglomération « la Porte du Hainaut »), et la deuxième édition en Picardie en octobre 2006 (organisée par le Conseil Régional de Picardie, elle s’est tenue à Amiens et à

4 Sur l’histoire de l’enseignement du picard à l’Université de Lille, voir l’allocution d’ouverture de Roger Berger dans Landrecies & Petit (2003). Ajoutons qu’en 2002 a été créée à l’Université de Lille-3 une licence de Lettres mention « littérature, langue et culture régionales » (abandonnée depuis). Le picard est également enseigné et étudié à l’Université Jules Verne d’Amiens, dans le cadre des cursus de lettres et de linguistique.

Chaulnes). La troisième édition est prévue en 2007 en Province de Hainaut (Belgique). La création d’un Conseil Interrégional de la Langue Picarde a été annoncée, à l’initiative du Conseil Régional de Picardie et avec le soutien des deux autres régions.