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Dichotomie production/réception : Boersma

Chapitre 1. Modèles de variation et de cohésion dialectale

1.3. Esquisse d’une théorie des correspondances dialectales

1.3.2. Dichotomie production/réception : Boersma

Lorsqu’on se place dans un cadre polylectal, la notion de représentation sous-jacente doit certainement être reconsidérée en tenant compte de la nécessaire distinction entre les mécanismes de production et de compréhension. Rappelons que, d’après Puech (in Berrendonner, Le Guern et Puech 1983 ; cf. 1.1.3), une phonologie polylectale se voit notamment assigner comme tâche de traduire l’hypothèse psycholinguistique d’une différence de fonctionnement entre les opérations

Figure 6: OT standard et sans RSJ

OT standard OT sans RSJ

/M/

d’encodage (valables pour un idiome) et les opérations de décodage (valables pour la langue), ce que traduit le raccourci : « on comprend une langue mais on parle un idiome ». Dans cette première hypothèse, les représentations polylectales (ou interlectales) interviennent uniquement dans les opérations de perception/compréhension ; elles ne sont pas nécessaires pour rendre compte des opérations de production21.

Dans le cadre OT, ces considérations rejoignent le modèle de phonologie fonctionnelle élaboré par Boersma (notamment 1998, 1999). Nous retiendrons plus particulièrement deux axes : le retournement de la place respective de la représentation phonologique et de la représentation phonétique dans leurs relations à la forme sous-jacente, et la description séparée des mécanismes de production et de compréhension.

1.3.2.1. Place de la représentation phonologique

Boersma distingue deux objets qui sont souvent confondus dans d’autres approches : la représentation sous-jacente et la représentation phonologique.

Le statut de la représentation phonologique varie selon les modèles. Dans le modèle structuraliste (par exemple Bloomfield), elle s’insère entre la forme sous-jacente et la forme de surface et constitue le niveau où est évaluée l’identité entre les objets phoniques :

| forme sous-jacente | /forme phonologique/ [forme phonétique]

(discrète) (discrète) (continue)

(morphophonèmes) (phonèmes) (allophones)

C’est aussi la vision qui prévaut, de façon plus ou moins explicite, chez Prince & Smolensky (1993) où la forme phonétique est laissée à un module d’implémentation phonétique dont le détail est passé sous silence (cf. supra note 20 page 49).

La phonologie générative dans sa version initiale (Chomsky & Halle 1968) fait l’économie de la forme phonologique intermédiaire :

| forme sous-jacente | [forme phonétique]

(discrète) (continue)

Le modèle de Boersma combine les deux approches : la forme phonétique (qui est l’output articulatoire) est générée directement à partir de la forme sous-jacente (définie comme spécification perceptive) par la grammaire de production, mais la forme phonologique (ou output perceptif) est construite à partir de la forme phonétique par la grammaire de perception. La conséquence est une inversion de la séquence héritée de la tradition structuraliste :

| forme sous-jacente | [forme phonétique] /forme phonologique/ (spécification perceptive) (output articulatoire) (output perceptif)

1.3.2.2. Mécanismes de production et de compréhension

Le description complète du locuteur-auditeur chez Boersma fait appel à quatre dispositifs de traitement (voir tableau 1 page 58)

• la grammaire de production (G-Prod), qui régit le passage de la forme sous-jacente à la forme phonétique. C’est G-Prod qui est décrite par la plupart des théories phonologiques.

• la grammaire de perception (G-Perc), qui prend en entrée la forme phonétique, et retourne en sortie la forme phonologique de surface. G-Perc intervient à la fois chez l’auditeur (où elle s’applique à l’énoncé d’autrui) et chez le locuteur lui-même (qui l’applique à son propre énoncé).

• la grammaire de reconnaissance (G-Rec), qui, à partir de la forme phonologique de surface, permet de récupérer la forme sous-jacente dans le lexique.

• un module de comparaison (Comp), qui intervient lors de l’acquisition du langage pour comparer l’output de l’apprenant avec les formes de surfaces du modèle adulte, et faire évoluer l’output en cas de divergence.

Plusieurs types de représentations sont nécessaires pour rendre compte du cheminement production-compréhension :

• la représentation articulatoire, qui représente l’output articulatoire de G-Prod (sur la phonologie articulatoire, cf. Browman & Goldstein, 1992)

• la spécification perceptive contient les formes stockées dans le lexique, exprimées en termes de traits perceptifs discrets. Elle représente ce que le locuteur « doit » produire, en termes perceptifs, pour assembler son énoncé.

• l’output acoustique est le résultat physique de l’output articulatoire, produit automatiquement par la configuration des organes phonatoires

• l’output perceptif est l’output acoustique tel qu’il est perçu par le locuteur lui-même

• l’input acoustique est le signal auditif physique reçu par l’auditeur • l’input perceptif est l’input acoustique tel qu’il est perçu par

l’auditeur

• la forme sous-jacente est ce que l’auditeur trouve dans son lexique. Elle équivaut à la spécification perceptive du locuteur (cette identité constitue le postulat de la communication linguistique, depuis Saussure).

Tableau 1: schéma de la communication linguistique d'après

Boersma

Auditeur Locuteur | forme sous-jacente | G-Rec / input perceptif / G-Perc [ input acoustique ] | spécification perceptive | G-Prod [ output articulatoire ] (auto) [output acoustique ] G-Perc / output perceptif / Légende :

Traitement automatique ou équivalence Traitement grammatical

Le locuteur, par la production de son énoncé, vise une certaine forme

sous-jacente, qui constitue la spécification perceptive. Sa grammaire de production (G-Prod) engendre, à partir de cette spécification perceptive, un output articulatoire ; à ce niveau interviennent des contraintes gestuelles qui évaluent l’effort articulatoire22.

Les organes phonatoires convertissent automatiquement l’output articulatoire en output acoustique. Toujours chez le locuteur, la grammaire de perception (G-Perc) engendre à partir de l’output acoustique un output perceptif. Les contraintes de fidélité interviennent entre cet output perceptif et la spécification perceptive pour en évaluer la similarité, et, par des mécanismes de rétroaction, contrôler la production.

L’output acoustique du locuteur devient l’input acoustique de

22 Les contraintes articulatoires sont, de façon informelle, de la forme «tel articulateur ne doit pas exécuter tel geste, sur telle distance, pendant telle durée, avec telle précision et telle vélocité ». On doit pouvoir les identifier avec les contraintes standard de bonne formation en OT.

l’auditeur. De même que chez le locuteur, la grammaire de perception

intervient pour engendrer l’input perceptif, selon des mécanismes dans lesquels la catégorisation tient une large place. Enfin, la grammaire de reconnaissance (G-Rec) permet à l’auditeur de récupérer la forme sous-jacente, notamment grâce aux contraintes de fidélité23.

1.3.3. Un modèle dynamique du locuteur en situation de