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Des structures territoriales inadaptées : trop nombreuses, trop enchevêtrées et obsolètes !

Communes(et( groupements(

3.2. La réforme territoriale : nouvel âge de la décentralisation

3.2.2. Des structures territoriales inadaptées : trop nombreuses, trop enchevêtrées et obsolètes !

La modification de l’organisation territoriale est un débat particulièrement vif en France où l’émiettement communal est très fort. Dès 1968, le Club Jean Moulin publiait, aux éditions du Seuil, un manifeste intitulé Les citoyens au pouvoir, dans lequel étaient dénoncées les pesanteurs du système administratif et esquissés les contours de collectivités futures plus démocratiques et au maillage plus large : 12 régions, 2000 communes ! Bien qu’ancienne, la question de la réforme territoriale connaît un regain d’intérêt depuis plus de dix ans. Sans être nouvelle, la thèse de l’inadaptation des institutions territoriales alimente un grand nombre de rapports, d’articles, de discours publics et transcende les clivages politiques. L’ancienneté d’une organisation territoriale faite de « sédiments successifs accumulés en fonction des

époques », mais aussi son coût, sa complexité et sa singularité en Europe sont souvent

soulignés dans plusieurs rapports officiels (Krattinger et Gourault, 2009 ; Comité pour la réforme des collectivités locales, 2009). Les principaux griefs prononcés à l’encontre des découpages existants portent sur leur fragmentation, leur juxtaposition et leur défaut de lisibilité. Avec ses trois niveaux de collectivités, la France ne fait pas exception parmi les pays européens. Ce qui la distingue, c’est l’enchevêtrement et la superposition fréquente entre ce maillage institutionnel et différentes formes d’intercommunalités de gestion (SIVU, SIVOM, syndicats mixtes ou pas). C’est aussi l’émiettement communal : avec 36 767 communes en 2013 (dont 86 % de moins de 2000 habitants), la France détient le record européen du nombre de communes. Par rapport à ses voisins européens, la France aurait trop de communes, trop de régions, trop de départements : elle compte au total 36 914 collectivités territoriales alors que l’Allemagne, pourtant plus peuplée, n’en compte que 11 563, l’Italie 8 222 et le Royaume-Uni 433191. Ce morcellement territorial bien qu’intéressant en termes de proximité, nuirait à l’efficacité de l’action publique : « Les pouvoirs publics se préoccupent

depuis longtemps de cet éclatement communal qui constitue tout à la fois une richesse par la proximité et le maillage du territoire, mais également une déperdition d'efficacité par l'émiettement des moyens : de nombreuses petites communes ne disposent pas en effet des capacités nécessaires à la gestion de la collectivité. » (Courtois, 2009 : 84). Le législateur a

tenté de réduire le nombre de communes en favorisant les fusions. La loi Marcellin du 16 juillet 1971 relative aux fusions de communes n’a pas abouti aux résultats escomptés : selon le rapport du sénateur Jean-Patrick Courtois (2009), le nombre de communes s’est réduit de seulement 5 % entre 1950 (38 800 communes) et 2007 (36 783 communes). Tandis que dans de nombreux pays européens, le mouvement de fusions de communes engagé à peu près au même moment s’est soldé par des baisses significatives entre 1950 et 2007 (baisse de 87 % en Suède, de 80 % au Danemark, de 79 % au Royaume-Uni, de 75 % en Belgique et d’un peu plus de 40 % en Autriche, Norvège et Allemagne), les communes françaises ont résisté à

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Données disponibles sur le site de la direction de l’information légale et administrative, URL : http://www.vie-publique.fr/actualite/dossier/reforme-collectivites-territoriales/organisation-territoriale-debat-recurrent.html [consulté le 28/05/2014]

l’union. Toutefois, des réticences à la concentration sont également observables en Espagne où le nombre de communes ne s’est réduit que de 12 % (passant de 9 214 communes en 1950 à 8 111 communes en 2007) et en Italie où le nombre de communes s’est accru de 4 % (de 7 781 à 8 101 communes). Faut-il y voir l’expression d’un attachement au fait communal, observable aussi en Europe centrale (Maurel, 2003) ?

La France souffre également de la complexité de son architecture territoriale. Au maillage dense des collectivités territoriales (plus de 36 000 communes, 101 départements, 26 régions) s’ajoutent les groupements communaux, superposés à la cellule communale : 15 communautés urbaines, 222 communautés d’agglomération, 1 903 communautés de communes, en 2014192, mais aussi syndicats diverses (SIVU, SIVOM, syndicats mixtes, syndicats d’agglomération nouvelle, etc.). À ces territoires de gestion, il conviendrait d’adjoindre les 342 arrondissements et les 4 035 cantons (dont le découpage vient d’être revu, pour les élections départementales de 2015) de même que les multiples découpages peu connus des profanes utilisés pour la réalisation d’études ou l’allocation de ressources spécifiques (ZRR, ZRU, ZPPAUP, zones d’emplois, etc.). La création, en 1995, d’un territoire de projet nouveau, les Pays, a ajouté un élément de confusion contribuant à « altérer [davantage] la lisibilité de l’organisation territoriale » (Courtois, 2009 : 15). Dans le processus de « fabrique des territoires », la superposition l’emporte sur la substitution ou la suppression (Vanier, 1995). Cet empilement des couches à l’origine du fameux « millefeuille territorial » français serait lié à l’application, depuis plus de deux siècles, d’une règle tacite, mais intangible : « réformer sans supprimer » (Bellanger, 2012). La multiplicité de zonages fonctionnels qui tendent souvent à se superposer aboutit à une mosaïque territoriale difficile à décrypter y compris par les élus eux-mêmes ce que nous avons pu observer dans les Pyrénées. Souvent adossés aux cantons voire aux arrondissements, les regroupements intercommunaux foisonnent sur le versant français des Pyrénées. Certains n’intègrent qu’un nombre limité de communes (figure 10) : la communauté de communes de Gèdre – Gavarnie dans les Hautes-Pyrénées n’en regroupe que deux (mais une fusion est envisagée avec la communauté de communes voisine du Pays Toy) ; dans la vallée voisine d’Aure, quatre communautés de communes sont présentes dont la communauté de communes Aure 2008 (ainsi nommée, car elle fut créée en 2008) n’intègre que trois communes (Vignec, Tramezaïgues et Saint Lary – Soulans) sous influence de la station de sports d’hiver de Saint-Lary (le maire de cette dernière est d’ailleurs président de l’intercommunalité). Les découpages intercommunaux respectent ici scrupuleusement les limites des cantons tels qu’ils existaient avant la réforme de mars 2015.

Figure 10 : Un découpage en communautés de communes complexe, mais respectueux des limites cantonales

À ces EPCI s’ajoutent des formes de regroupement intercommunal dont l’objet est fort limité (gestion d’un équipement, d’un complexe sportif). La juxtaposition des périmètres est fréquente. Ainsi, dans les Hautes-Pyrénées, deux communautés de communes se partageaient, avant 2015, le canton d’Argelès-Gazost : la communauté de communes d’Argelès-Gazost née le 1er

janvier 2003 de l’intégration des communautés de communes du Davantaygue, de l’Extrême de Salles et de quatre communes isolées ; la communauté de communes de Saint-Savin constituée le 1er

janvier 2005. À ces deux EPCI se superposent d’autres formes de regroupements, plus restreints géographiquement et parfois dotés d’une compétence unique comme la gestion d’un équipement touristique : le SIVU du massif du Pibeste au col d’Andorre (Agos-Vidalos), le Syndicat mixte de la haute vallée des gaves (Pierrefitte-Nestalas), le Syndicat mixte du Pays des vallées des gaves (Agos-Vidalos) et le Syndicat mixte du Haut Lavedan (dont le siège est également situé à Agos-Vidalos, mais l’objet quelque peu différent), etc. Enfin, toutes les communes de ce canton appartiennent à des structures intercommunales à l’échelle de l’arrondissement : le syndicat mixte de développement rural de l’arrondissement d’Argelès (SMDRA) et le Pays de Lourdes. Il faut ajouter à cela, sept autres structures intervenant dans le domaine touristique : la communauté de communes du Val d’Azun qui gère les équipements touristiques (dont un anneau de ski de fond) sur le seul territoire cantonal d’Arrens-Marsous ; le SIVOM de l’Ardiden qui aménage et gère le contrat de pôle de la station de Luz Ardiden ; le Syndicat mixte du Hautacam qui aménage et gère l’anneau de ski éponyme ; le Syndicat mixte du Pôle touristique du

Cadeilhan-Trachère ARREAU VIELLE-AURE Aulon VIELLE-AURE Ancizan Sarrancolin Ilhet Beyrède-Jumet Camous Ardengost Jézeau Aspin-Aure Barrancoueu Pailhac Cadéac Lançon Grézian Gouaux Guchen Bazus-Aure Guchan BourispCamparan Grailhen Estensan Ens Azet Vignec Aragnouet Tramezaïgues St Lary-Soulan Sailhan Fréchet-Aure Gèdre Gavarnie Vignec E S P A G N E Barèges LUZ-St-SAUVEUR Pic du Midi de Bigorre 2876 m Gavarnie-les-Espécières Piau Engaly Espiaube Soulan La Cabane Super Barèges 0 5 km Station de ski Station thermale Limite de canton Limite de commune Frontière Communautés de communes : du Pays Toy de Gèdre - Gavanie de la Haute Vallée

Tourmalet—Pic du Midi—La Mongie et un Syndicat mixte pour la maison du Parc national et de la vallée de Luz qui tentent avec bonheur et grâce à trente ans d’efforts d’insuffler une politique économique et environnementale commune à l’ensemble de la vallée. Face à une architecture territoriale aussi enchevêtrée, on comprend la difficulté à faire émerger une vision prospective d’ensemble, structurée, négociée et durable. On comprend aussi les efforts déployés par le corps préfectoral pour unifier cet ensemble complexe. Le SDCI (Schéma départemental de coopération intercommunale), élaboré en 2011, devait simplifier cette carte intercommunale ; il s’est cependant heurté à la résistance des élus qui, dans les Hautes-Pyrénées tout comme dans les Hautes-Pyrénées-Atlantiques, se sont refusés à l’adopter.

L’empilement des niveaux d’administration rend également opaque la répartition des compétences. Coûteuse, peu efficiente, notre architecture territoriale serait aussi un frein à la compétitivité du pays (Le Lidec, 2009). Dans ces conditions, de nombreuses voix s’élèvent pour réclamer une simplification du maillage territorial et une clarification dans la répartition des compétences sous couvert « d’innovation territoriale » (Némery, 1994). La modernité résiderait dans la réforme tandis que la défense du maintien de découpages anciens jugés totalement caducs serait une preuve de passéisme. Le désir de réforme est ainsi justifié par l’« obsolescence déclarée des mailles héritées » (Offner, 2006 : 27). De nombreux rapports parlementaires ont été produits sur cette question délicate : comment réduire le « millefeuille territorial » sans heurter les élus locaux menacés de perdre leur territoire d’élection ? Comment simplifier l’enchevêtrement territorial tout en assurant aux citoyens des services publics proches et de qualité ? Toutes ces réflexions aboutissent à des solutions oscillant entre maintien du statu quo territorial et velléités réformatrices.

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