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Un État aménageur, entre crise et velléités de renouveau (1975- (1975-2000)

territoire pour l’UE

2.1. De l’État aménageur à l’État accompagnateur : une transformation profonde de l’action étatique

2.1.2. Un État aménageur, entre crise et velléités de renouveau (1975- (1975-2000)

Le modèle français d’intervention de l’État entre en crise dès les années 1970 sous les effets conjugués de la crise économique (1er

et 2ème

chocs pétroliers) et de la montée de l’idéologie libérale sur le plan politique. L’arrivée au pouvoir de Margareth Thatcher au Royaume-Uni, en 1979 et l’élection de Ronald Reagan, aux États-Unis, en 1980, scellent l’apparition d’un nouveau « référentiel de marché » (Muller, 2004) qui ébranle le compromis socio-économique mis en place après la guerre (Boltanski et Chiapello, 1999). Au niveau territorial, avec la montée de l’UE et des collectivités territoriales comme lieux de production d’action publique s’enclenche un processus de « désétatisation » des politiques publiques (Le Galès, 2003). La décentralisation par étapes instituée à partir de 1982, sonne le glas de l’État jacobin et de l’hégémonie de l’État dans l’administration des territoires : « un système

autocentré sinon hiérarchique, que structuraient la domination de l’État et la limitation des acteurs au sein d’un cadre institutionnel clair, cède le pas à un univers largement a-centrique que caractérisent l’éclatement des frontières — entre le public et le privé, entre le local, le national et le supranational — et la diversité des acteurs qui y interviennent » (Duran et

Thoenig, 1996 : 580). L’État centralisé s’efface au profit d’une autre conception de l’État : « l’État accompagnateur » des collectivités territoriales (Bodiguel et Fialaire, 2002 : 30) — dans une posture quelque peu paternaliste — ou « l’État animateur » (Donzelat et Estèbe, 1994).

En matière d’aménagement du territoire, la fragilisation de l’État secoué par la crise et concurrencé par le renforcement des pouvoirs locaux se traduit par une phase de déclin, amorcé dès 1975 et confirmé lors de la décennie suivante qui est celle de l’abandon d’un dessein national. L’aménagement en tant que projet politique global (pensé à l’échelle de la Nation) et transversal (par opposition aux politiques sectorielles) perd en lisibilité et s’estompe. À la conception d’ensemble de l’aménagement qui avait prévalu jusque-là se substitue une multitude d’interventions ponctuelles opérées au nom de l’urgence : l’aménagement du territoire cesse d’être proactif pour devenir réactif et tenter de pallier les effets de la crise dans les bassins industriels les plus menacés dans les secteurs miniers, textile ou sidérurgique. La politique des pôles de conversion, adoptée en 1984, pour aider à la transformation des vieilles régions industrielles et minières françaises, illustre cette tendance. À une politique volontariste et ambitieuse d’aménagement du territoire succèdent des opérations ponctuelles davantage « subies » que choisies : « les crédits fléchissent, les

objectifs se brouillent, les moyens d’intervention s’effacent » (Madiot, 1996 : 5).

Les années 1990 semblent être celles du retour d’une ambition pour le territoire. La lecture des résultats du recensement de 1990 indique une aggravation des disparités spatiales, aussi bien à l’échelle régionale qu’à l’échelle des villes où des quartiers entiers apparaissent

particulièrement défavorisés. Le creusement des inégalités sociospatiales est interprété comme une menace pour la cohésion nationale. Il conduit à une relance de la politique d’aménagement du territoire dont le grand débat organisé, en mai 1990, à l’Assemblée nationale, constitue le point de départ. Le « renouveau de l’aménagement du territoire » (Nemery, 1994 ; Bodiguel et Fialaire, 2002) devient, à partir de 1993, une priorité du gouvernement d’Édouard Balladur et de son ministre de l’Intérieur et de l’Aménagement du territoire, Charles Pasqua. Un « grand débat national pour l’aménagement du territoire » est lancé en octobre 1993 qui servira de base à la loi d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire109 (LOADT) dite « loi Pasqua », approuvée en février 1995. Cette loi est la première du genre concernant un aménagement du territoire pourtant vieux d’un demi-siècle110. C’est une loi singulière, car elle est à la fois une loi de prospective qui a pour ambition de préparer la France de 2015, une charte nationale de l’aménagement du territoire comportant de nombreuses déclarations générales et un texte créant de nouvelles dispositions fiscales et financières et de nouveaux instruments de planification (Madiot, 1996). Par-delà les transformations profondes des cadres de l’intervention étatique (européanisation, internationalisation des économies et délocalisations, décentralisation), la LOADT entendait renouer avec les grandes heures de l’aménagement du territoire et redonner un sens à l’action de l’État. L’article 1 de la loi de 1995 illustre parfaitement cette volonté de s’inscrire dans la continuité de l’âge d’or de la politique française d’aménagement du territoire (tableau 4). Portée par un ministre souverainiste, cette loi contenait plusieurs innovations supposées aller dans le sens d’une recentralisation de l’aménagement du territoire : la mise en place d’un Schéma111 national d’aménagement et de développement du territoire (SNADT) fixant les orientations générales et établissant les grands principes de localisation des grands équipements et infrastructures, assorti de schémas sectoriels dans des domaines variés (enseignement supérieur, équipements culturels, communication, santé, sport, etc.) ; la possibilité, pour l’État, d’élaborer à son initiative et sous sa responsabilité, des Directives territoriales d’aménagement (DTA)112 dans les territoires à forts enjeux. Ces deux dispositifs de recentralisation de l’action publique ont connu des destins opposés. Si le SNADT, enterré par la LOADDT de 1999, n’a jamais vu le jour, six DTA ont, en revanche, été approuvées113. Elles sont situées pour la plupart dans de grandes métropoles (Aix-Marseille, Lyon), des

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Loi n°95-115 du 4 février 1995

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Affaire du Gouvernement, celui-ci n’avait guère jusqu’alors fait l’objet de débats parlementaires.

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Le terme « Schéma » est préféré ici à celui de « Plan ». Au début des années 1990, la France a en effet renoncé à la planification incitative mise en œuvre au sortir de la seconde guerre mondiale et dont l’élaboration était confiée au Commissariat général du Plan.

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Les DTA sont des documents d’urbanisme élaborés par l’État via ses services déconcentrés, sous l’autorité du préfet. Ce sont des documents de planification à long terme avec lesquels les Plans locaux d’urbanisme (PLU) et les Cartes communales doivent être compatibles.

113 La loi portant engagement national pour l’environnement du 12 juillet 2010 (dite loi Grenelle 2) a modifié quelque peu les DTA devenues désormais des DTADD (Directives territoriales d’aménagement et de développement durables).

zones littorales ou de montagne114 fortement urbanisées et conflictuelles où l’État est intervenu pour jouer le rôle d’arbitre entre des intérêts contradictoires. La DTA prétend réguler des situations complexes et proposer, au terme d’un processus lent et difficile de conciliation des différents intérêts, un mode de développement contrôlé et cohérent de l’urbanisation. Dans un territoire très urbanisé, en forte croissance et exposé à des risques naturels majeurs (inondation, incendie), la DTA des Alpes maritimes, instaurée par décret le 2 décembre 2003, se présentait comme un document de planification à long terme (25 ans) offrant un cadre et des principes d’organisation pour l’aménagement du département, ceci dans une logique de développement durable (Reghezza-Zitt et Sanseverino-Godfrin, 2012). Instrument doté d’une grande force juridique puisqu’il s’impose à tous les documents d’urbanisme (PLU mais aussi SCOT), la DTA incarne l’État régulateur intervenant pour éviter la poursuite d’une urbanisation anarchique le long du littoral et dans la plaine du Var. En 2007, l’intervention de l’État dans le département prend une forme juridique nouvelle dont l’assise territoriale est plus limitée : une opération d’intérêt national (OIN) dans la basse plaine du Var. Géographiquement inscrite dans le périmètre de la DTA, cette OIN peut être interprétée de façon divergente, soit comme le prolongement infradépartemental de la logique de contrôle qui présidait à la mise en place de la DTA, soit comme un périmètre d’exception juridique pouvant permettre la réglementation qui, justement, cherche à contraindre l’urbanisation. En ce cas, la durabilité invoquée dans l’OIN et incarnée par le concept « d’éco-vallée », ne serait qu’un « argument d’opportunité » légitimant le projet de création d’une nouvelle centralité pour l’aire métropolitaine niçoise, en zone inondable : la DTA est donc un « instrument de

promotion du développement durable » que l’OIN « permet en partie de contourner »

(Reghezza-Zitt et Sanseverino-Godfrin, 2012). Ce cas de la plaine du Var trouve de nombreux échos ailleurs témoignant de l’ambivalence de la fonction régulatrice de l’État, pris dans des logiques et des rapports de force locaux dont il peine parfois à s’extraire. Elle traduit également le soutien apporté par l’État à des opérations d’aménagement supposées permettre l’émergence de métropoles de rang européen voire international capable de prendre place dans la compétition que se livrent les grandes villes.

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Entre 2003 et 2007, au terme d’un processus long et difficile, six DTA ont été approuvées par décret : Alpes maritimes, Bassins miniers nord-lorrains, Estuaire de la Seine, Estuaire de la Loire, Aire métropolitaine lyonnaise, Bouches du Rhône.

2.1.3. Un État accompagnateur au service de la compétitivité des

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