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Chapitre 6 : Discussion

6.6 Facteurs organisationnels

6.6.1 Structures des soins

La formalisation de la collaboration interprofessionnelle représente les règles de conduites favorisant la collaboration. Par le biais de structures, de procédures et de descriptions de tâches, ces règles tentent de régulariser et de stabiliser l’action (D’Amour 1997). Cette dimension trouve son importance lorsque ces règles sont intégrées et utilisées par les professionnels comme ressource dans les négociations (D’Amour, 1997). Elle clarifie les attentes et les responsabilités de chaque professionnel (D’Amour, 2005).

Cette recherche démontre l’existence de peu de règles officielles favorisant la collaboration interprofessionnelle. La coordination de l’intervention clinique est davantage orientée vers la philosophie et la culture du Centre hospitalier. Les règles informelles entourant les structures permettent en quelque sorte de développer un langage commun, un dénominateur, pour tous les médecins et les infirmières. Elles favorisent également la communication tant entre les professionnels mais également avec patients et familles. Même si les règles non-écrites de la culture organisationnelle orientent cette unité, celles-ci offrent un grand pouvoir de négociation entre les membres par son haut niveau d’intériorisation. Selon le sociologue G. Rocher (1969), la culture se définit par :

«…un ensemble lié de manières de penser, de sentir et d’agir plus ou moins formalisées qui, étant apprises et partagées par une pluralité de personnes, servent, d’une manière à la fois objective et symbolique, à constituer ces personnes en une collectivité particulière et distincte. » (p.109)

Cette culture peut être utilisée afin de guider les gestionnaires et, si elle est bien maîtrisée, assure le succès et la performance de l’organisation (Chanlat et Séguin, 1987). C’est donc cet outil, composé de règles informelles, que les gestionnaires utilisent afin de promouvoir la collaboration dans l’unité.

Les règles informelles et souples de l’unité permettent un engagement personnel et volontaire des participants, ce qui leur offre un certain confort et leur évitent de se voir imposer des règles. Chez les professionnels, la satisfaction d’être présent est plus élevée puisqu’ils ne sont pas obligés de participer. Dans cette étude, on peut voir que les multiples règles informelles imposées par la culture offrent des outils aux professionnels qui leur permettent d’imposer la collaboration aux nouveaux membres réticents.

Il existe quelques structures formelles importantes dont le dossier commun. Tous les différents professionnels y écrivent leurs notes. Toutefois, selon les professionnels interrogés, aucun document écrit relatif à la promotion de la collaboration médecins-infirmières n’est présent dans l`hôpital.

Au sein de l’unité, plusieurs structures ont été bâties autour de règles informelles afin de promouvoir la collaboration. Autre que la philosophie, il y a les téléphones portables, la présence des médecins 24 heures sur 24, l’infirmière support aux familles, les tournées interdisciplinaires quotidiennes et hebdomadaires. Ces structures accessibles sont utilisées par les professionnels et facilitent les échanges entre les différents partenaires. Ces mécanismes de coordination favorisent également la continuité des soins. Celle-ci augmente la satisfaction des patients et de leur famille (Sitzia et Wood, 1997). Dans notre étude, patient et famille ont effectivement exprimé l’importance de la continuité des soins obtenus par la présence des médecins et infirmières 24 heures sur 24.

L’infirmière clinicienne spécialisée est l’un des véhicules de la collaboration. Sa description de tâches peut contribuer à la formalisation puisqu’elle établit le lien entre médecins et infirmières. Selon une étude menée par Vazirani et al. (2005), l’introduction d’une infirmière praticienne à chacune des équipes d’intervention, l’attribution d’un médecin particulier au patient et l’implantation de réunions multidisciplinaires hebdomadaires, améliorent la communication et la collaboration entre les professionnels.

La tournée interdisciplinaire quotidienne est l’une des structures les plus importantes. Les médecins doivent obligatoirement y assister, les infirmières n’y sont pas tenues. Selon l’étude de Halm et al. (2003), les tournées interdisciplinaires sont un mécanisme valable afin d’améliorer les résultats chez les patients et augmenter le professionnalisme chez les employés. Bien qu’un certain niveau de professionnalisme soit nécessaire à la coordination de l’intervention clinique, une limite s’impose. En effet, selon Abbott (1988), la vie professionnelle implique une compétition interprofessionnelle par le contrôle du savoir et des connaissances. Cependant, le partage des connaissances est nécessaire à la prise de conscience et l’intériorisation de la régulation, qui ont déjà été discutées.

La tournée interdisciplinaire hebdomadaire est un concept unique dans le système hospitalier. Bien qu’elle ne soit pas utilisée comme structure formelle de gestion pour régulariser les

conflits, les résultats portent vers une telle vocation. Il n’est pas nécessaire de faire passer la formalisation dans un cadre trop rigide. D’Amour (1997) explique :

« La collaboration qu’elle soit interprofessionnelle ou interpersonnelle, reste une question d’engagement affectif qui ne peut être forcé par des édits. Le danger d’une formalisation trop rigide est justement de diminuer cet engagement. Il semble inapproprié de formaliser la collaboration interprofessionnelle au-delà d’un certain seuil. » (p. 185)

Ces tournées sont importantes puisqu’elles permettent l’intégration et favorisent la création d’une démarche commune entre médecins et infirmières. Ces réunions peuvent également servir d’agent intégrateur utilisé par la gouvernance endogène lors de la gestion de conflits entre professionnels. Elle peut être utilisée pour discuter des problématiques face au patient et à sa famille. Notons ici que le patient et la famille ne sont pas intégrés directement dans cette démarche puisqu’ils ne participent pas aux rencontres; par conséquent, et ne s’agit pas d’un réel comité d’intégration de tous les acteurs du processus de soins.

La formalisation de la collaboration interprofessionnelle pourra alors être centrée sur les utilisateurs des soins intensifs. D’Amour (1997), explique :

« L’absence du client devient un élément paradoxal qui, non exprimé ou même inconscient, peut paralyser la concrétisation du travail interprofessionnel et empêcher les professionnels d’élaborer ensemble le plan d’intervention. La collaboration interprofessionnelle dans les processus cliniques n’a de sens que dans la mesure où c’est le client qui identifie la situation à corriger ainsi que les objectifs à atteindre pour que la situation redevienne satisfaisante ou acceptable pour lui-même ». (p. 188)

Il est important que les professionnels communiquent avec le patient et sa famille pour identifier les structures et processus à modifier. Sans collaboration et communication entre les professionnels, le patient et sa famille, il est difficile pour médecins et infirmières d’améliorer la formalisation de la collaboration interprofessionnelle. Lors de l’élaboration de protocoles, il faudrait inclure l’orientation centrée sur la famille afin que cette philosophie se traduise par des messages concrets pour les professionnels, le patient et la famille (Henneman et Cardin, 2002). Les orientations cliniques et les modalités d’interaction entre les différents acteurs pourront alors être dirigées vers les mêmes objectifs.

Un autre élément du processus de coordination intra-organisationnel est le pouvoir (Chanlat et Séguin, 1987). Les règles énoncées doivent éviter de créer des inégalités de pouvoir. Ainsi, il ne faut pas obliger un professionnel à présenter des décisions prises, en permettant à un autre

groupe de professionnels de critiquer sans pour autant être impliqué avec le patient (D’amour, 1997). Cet écueil est évité dans les principales structures de collaboration de l’unité puisque chaque groupe de professionnels qui est présent lors des rencontres est directement impliqué auprès du patient. Contrairement à l’étude D’Amour (1997), le pouvoir semble être réparti entre médecins et infirmières. Les infirmières semblent même avoir plus de pouvoir parce qu’elles sont très solidaires face aux médecins plus individualistes. Peut-être sommes-nous habitués au pouvoir basé sur la compétence, alors qu’ici, nous nous retrouvons avec un pouvoir basé sur la faiblesse organisationnelle d’un groupe dispersé par rapport à un autre. Les infirmières, très unies, réussissent ainsi à obtenir le pouvoir sur les médecins.

Puisque peu de règles formelles existent, il est difficile pour les professionnels de les intégrer et de les utiliser comme ressource dans les négociations. En 2001, Krairiksh et Anthony ont conclu à une amélioration dans toutes les phases de soins et de conditions de travail grâce à la collaboration médecins-infirmières. Les résultats de l’étude présentent des évidences sur la relation entre la structure organisationnelle, le processus organisationnel et le processus de soins. Une structure formelle peut ainsi contribuer à l’amélioration de la collaboration; son absence dans ce Centre engendre un manque d’outils officiels lors de la gestion de conflits. Ce manque ne semble pas se faire ressentir par les professionnels puisqu’aucun participant ne s’en soit plaint. Par contre, certaines règles formelles pourraient être bénéfiques au groupe de médecins qui semble être dispersé. Elles permettraient une meilleure gestion des conflits et une amélioration de la coordination de l’activité clinique.