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Une structuration institutionnelle proche du tennis qui ne permet pas de s’en détacher

TENTATIVE VERS UN BADMINTON SPORTIF … OU VERS UN SPORT

5. Le badminton comme pis-aller du tennis

5.3. Une structuration institutionnelle proche du tennis qui ne permet pas de s’en détacher

La difficulté à définir le badminton sans faire référence au tennis peut se comprendre plus largement au regard de leur proximité structurelle. D’une part, une minorité de déclarations d’associations existe1032, questionnant la légitimité de la pratique face aux clubs de lawn-tennis qui accueillent en leurs infrastructures les terrains de badminton. D’autre part, quand elles existent, le tennis est mentionné dans « les buts » des clubs, comme l’attestent les extraits suivants tirés du Journal Officiel :

Figure 43 : Déclarations d’associations publiées au Journal officiel de la République française, BnF NUMP-5314.

1032 Le Badminton Club de l’Île-de-France (Journal officiel de la République française, 14 septembre 1933, ark:/12148/bpt6k65465500, p. 9724, BnF, NUMP-5314), le Sporting Club de la Seine (Journal officiel de la République française, 21 avril 1934, ark:/12148/bpt6k65477715, p. 4016, BnF, NUMP-5314), le Badminton Club de Lyon (Journal officiel de la République française, 18 février 1934, ark:/12148/bpt6k65471461, p. 1663, BnF, NUMP-5314), le Badminton Club de Paris (Journal officiel de la République française, 24 novembre 1938, ark:/12148/bpt6k6554989w, p. 13292, BnF, NUMP-5314).

Seul le Badminton Club de Paris fait exception en se fixant comme buts la « pratique des sports athlétiques et le jeu de badminton en particulier »1033. Ce club confirme ainsi son statut singulier de premier club disposant d’installations permanentes et que la dépendance aux infrastructures des clubs de tennis est un facteur ne permettant pas au badminton de se développer avec une identité propre. La revue officielle fait écho à cette idée à travers les lignes de propagande suivantes :

Que ceux qui se figurent qu’il ne s’agit que d’un jeu d’enfants ou de jeunes filles essaient de jouer un simple : leur conviction sera vite faite et ils se rendraient compte que le Badminton serait un rude concurrent du lawn-tennis si, comme lui, il se jouait couramment au plein air1034.

Les promoteurs du badminton soulignent que l’absence de courts couverts est un frein pour développer l’activité.

Par ailleurs, la discipline est difficilement reçue au RCF. À l’occasion de l’assemblée générale de janvier 1936, « une membre », non nommée, s’inquiète du manque de transparence des coûts de la pratique pour le club et exige que le badminton soit supprimé s’il coûte de l’argent ou ne rapporte rien au Racing. Elle demande au président s’il « peut donner sa parole que les joueurs payent eux-mêmes la location du tennis Molière »1035 ainsi que leurs déplacements. Ernest Féret affirme avec certitude que les cotisations des quarante pratiquants et pratiquantes de badminton, qui sont pour neuf dixièmes uniquement joueurs de badminton, apportent 6 000 francs. Le tennis Molière n’est loué que pour 500 francs par mois pour six mois et l’ensemble des frais qui incombe à leur pratique est à leur charge. À noter que dès l’assemblée générale du club de 1934, il est rapporté dans L’Auto que « la séance se déroula normalement, l’ordre du jour étant adopté à l’unanimité. Toutefois, l’acceptation du Badminton souleva de violentes réprobations »1036. Aucune explication n’est fournie et nous n’avons pas pu consulter le procès-verbal détaillé de cette assemblée ou le travail de la commission correspondante. Pour apparaître dans un procès-verbal de manière aussi ouverte, il semble que le problème ne soit pas considéré comme mineur. La question du potentiel coût d’une nouvelle pratique, ou de sa représentation comme étant « un jeu » et non un sport athlétique, sont des pistes explicatives quant aux réticences des membres de ce club omnisports à intégrer le badminton. L’extrait de l’assemblée générale est particulièrement

1033 Le Badminton Club de Paris (Journal officiel de la République française, 24 novembre 1938, ark:/12148/bpt6k6554989w, p. 13292, BnF, NUMP-5314).

1034 Revue du tennis et du ping-pong, n°102, 15 février 1934, p. 19-20, Musée Tenniseum FFT.

1035 PV de l’AG du RCF, janvier 1936, Coll. Priv. Lafitte Bruno.

1036 « L’assemblée générale du R.C. de France », L’Auto, 9 février 1934, ark:/12148/bpt6k4634386v, p. 5, BnF, NUMP-16168.

intéressant pour nuancer l’idée que les joueurs de badminton sont essentiellement des joueurs de tennis qui « s’occupent » l’hiver, à l’occasion des débuts du badminton. Une étude plus ciblée de l’histoire des clubs permettrait d’approfondir cette piste.

Finalement, les prémices du badminton s’établissent sur le fait qu’il constitue une occupation pour les joueurs de tennis, au cours de la saison d’hiver. Ce levier est paradoxalement le premier frein à son développement. La propagande écrite est orientée pour séduire les tennismen, tout comme les démonstrations qui se tiennent pour la plupart dans des clubs de tennis. En choisissant la cible d’un public dont la pratique est ancrée et valorisée, installée depuis le début du siècle et confirmée par le succès des Mousquetaires, le badminton est placé en sport second par ses dirigeants. Ainsi, la France est un lieu de « contagion différée » pour la discipline, comme le qualifie Jean-Marc Silvain dans le cas du ping-pong1037. Autrement dit, l’activité apparaît simultanément en France et dans d’autres pays mais ne connaît pas d’essor rapide dans l’Hexagone. Les débuts du tennis de table démarrent de manière similaire, avec une Fédération constituée du regroupement d’une dizaine de clubs parisiens en 1927, pour atteindre un chiffre de seulement seize clubs à Paris et un seul en province quatre ans plus tard. Pour Jean-Marc Silvain, ces années de lente maturation s’expliquent par son statut de sport second aux yeux des fondateurs de la Fédération française de tennis de table, et par l’absence de projets, de volonté et d’initiative de leur part1038.

En définitive, ce chapitre aura permit de montrer que le badminton « redémarre à zéro » au début des années 1930 par le biais de Charles Maillot qui le réimplante à Lyon puis le diffuse, aidé par d’autres dirigeants et appuyé par un support commercial. Cette extension s’accompagne de sa structuration institutionnelle et d’une rapide affiliation à la Fédération internationale ; il se dote d’une structure dirigeante, s’instaure en tant que pratique compétitive par la mise en place d’un classement permanent, d’un calendrier de compétitions allant du niveau local jusqu’aux rencontres internationales. Les dirigeants emploient une propagande qui vise à le situer parmi les sports reconnus comme tels. Tout semble donc se passer comme pour de nombreux sports modernes nés en Angleterre. Ils connaissent une mobilisation de pratiquants et de spectateurs qui investissent une logique compétitive1039. Selon René Mathieu, en juin 1939, il y aurait environ 2 000 joueurs et une vingtaine de

1037 En effet, le ping-pong peine à se développer au début des années 1930 malgré l’affiliation précoce de la FFTT à la Fédération internationale en 1929 (SILVAIN, Jean-Marc, op.cit., 2000, pp. 69-94).

1038 SILVAIN, Jean-Marc, op.cit., 2000, p. 85.

1039 LOUDCHER, Jean-François, op.cit., 2007, pp. 107-128.

clubs1040. Néanmoins, la volonté des promoteurs du badminton, dans l’intention d’augmenter le nombre de pratiquants et de diffuser la pratique sur le territoire, lui fait défaut. Le fait d’avoir une ambivalence entre un sport adapté pour les femmes, mais de vouloir être un sport athlétique pour les hommes, de vouloir lui donner une image de pratique abordable, mais en lui associant une image d’activité de prestige, renvoie une image floutée de ce qu’est le badminton. Ne trouvant sa définition, il est classé en tant que sport de raquette, voire demeure perçu comme un jeu non sérieux, éventuel pis-aller lorsqu’il n’est pas possible de s’adonner à son sport favori. Pratiqué par un noyau restreint, comprenant des joueurs de tennis, et pensé comme son « cousin », le badminton est placé en tant que subalterne et à l’ombre de celui-ci.

1040 Smash, n°1, 15 juin 1939, p. 24, Musée Tenniseum FFT.

Chapitre 4 : 1940 - 1951 : Un modèle privilégiant l’entretien des sociabilités, un entre-soi maintenu sous la tutelle du lawn-tennis

Alors que la France est occupée, le déjà discret développement du badminton se voit freiné. Une bascule s’observe dans l’organisation du mouvement sportif français, fortement contrôlé par le gouvernement de Vichy1041. Pendant cette période, la discipline partage ses structures institutionnelles avec les autres sports de raquette. À la Libération, la Fédération de badminton ne revoit pas le jour : l’activité est alors dirigée par une commission intégrée au sein de la FFLT. Quelles sont les conséquences immédiates de cette mise sous tutelle ? Observe-t-on une modification des politiques menées pour développer le badminton ? L’adossement de l’activité à la désormais puissante FFLT offre-t-il un bénéfice en termes de structuration institutionnelle ou pour changer l’image de la discipline, la détacher du jeu du volant ?

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