• Aucun résultat trouvé

Les représentations véhiculées par les acteurs du badminton

4. Au carrefour de l’institutionnalisation et de l’image d’une pratique : le rôle des acteurs en question

4.2. Les représentations véhiculées par les acteurs du badminton

Toute représentation est le produit de pratiques sociales, « à commencer par celles qui les produisent »152. Dans le cadre d’une histoire sociale des représentations, il faut distinguer ce qui institue et ce qui constitue153. Si les sept critères de Guttmann permettent d’appréhender la forme d’une pratique pour en juger son degré de sportivisation, ils ne permettent pas d’accéder à d’autres facettes des représentations, plus profondes, et ancrées dans les schèmes de perception des acteurs ou agents du système constitué par la pratique et sa structure. Autrement dit, cette structure, collective, est déterminée par un ensemble d’individus qui en définissent la forme, la symbolique, et se reconnaissent par une forme d’identité interne. Toutefois, ces acteurs deviennent agents à partir du moment où c’est un point de vue extérieur qui leur alloue des représentations, nécessaires pour « donner sens à l’expérience humaine »154. Ces représentations, schèmes de pensée et perceptions, qui attribuent des valeurs, des images, des idées parfois distanciées du réel, se constituent par le biais des représentations dites figurées (elles sont réelles, mais parfois en décalage avec le réel, quand le dessinateur ou le photographe les met en scène en fonction de son propre ressenti). Également, les écrits participent de cette construction, notamment la presse155, qui parfois reporte le réel – et le traduit – au sens de Latour – (les représentations cette fois-ci définies comme des exhibitions, des « présentations » de la pratique), de manière déformée parce que le journaliste n’a pas saisi le sens de la pratique ou parce que tout simplement il ne

151 MOUSSET, Kilian, La mode du Ping-Pong de 1901 à 1939 : d’un jeu de salon mondain à un sport moderne, Thèse de doctorat, sous la direction de Jean-Nicolas RENAUD et Christian VIVIER, Rennes : Université de Rennes 2, 2017.

152 KALIFA, Dominique, op.cit., 2010, p. 878.

153 ORY, Pascal, op.cit., 2015, p. 13.

154 Ibid., p. 11.

155 MONIER, Brice, op.cit., 2011.

s’est pas déplacé sur les lieux de la présentation ou du match. Ces différentes formes sont constructives du social et constitutives des pratiques156. Ainsi, la construction d’une représentation « externe » à la pratique est fortement influencée par le regard porté par cet extérieur sur les « pratiquants intérieurs », qui à leur tour, tentent parfois d’influencer l’image qu’ils dégagent. Il s’agit ainsi de s’intéresser « aux hommes toujours saisis dans le cadre des sociétés dont ils sont membres […] aux hommes dotés de fonctions multiples, d’activités diverses, de préoccupations et d’aptitudes variées, qui toutes se mêlent, se heurtent, se contrarient »157. Quelle image les acteurs du badminton souhaitent-ils véhiculer ? Quel est l’impact du groupe identifié comme pratiquant le badminton sur les représentations de l’activité ?

L’histoire événementielle de Bernard Adams propose quelques anecdotes desquelles se dégagent les modes de vie des premiers joueurs anglais de badminton. Il décrit le « très distingué » Sir George Thomas, le septième et dernier Baron de Yapton, comme un gentleman d’une ponctualité sans faille et d’un fair-play admirable158. Cet exemple n’est pas isolé : d’autres pratiquants britanniques se distinguent par leur classe sociale élitiste. Est-ce le cas en France ? À travers l’exemple du rugby, donné par Christian Pociello159, la mutation d’une pratique ‒ à la fois géographique mais surtout sociale ‒ modifie les valeurs qui lui sont attribuées. D’abord construites autour de la vitesse et l’agilité par les athlètes des milieux aisés, les qualités d’un joueur de rugby deviennent la force, la solidité, le poids quand les classes populaires l’investissent160. On passe d’« un rugby chic » à « un rugby choc »161, d’un rugby élitiste à un rugby populaire qui attire davantage les masses. Dès lors, nous tenterons de nous intéresser à l’évolution des caractéristiques sociales des joueurs de badminton, sans pour autant faire leur sociologie. Celles-ci forgent des cultures de pratique, conformes au système de valeur d’une catégorie sociale et suscitent ainsi le rejet ou l’attrait, l’accès ou son interdiction, pour une pratique donnée162.

La féminisation de la pratique est un autre facteur ayant une incidence sur les représentations d’une discipline. Certains promoteurs du sport, à l’instar de Pierre de

156 KALIFA, Dominique, op.cit., 2010, p. 879.

157 FÈBVRE, Lucien, op.cit., 1952, p. 20-21.

158 ADAMS, Bernard, op.cit., 1980, p. 50.

159 POCIELLO, Christian, Le rugby ou la guerre des styles, Paris : Éditions Métailié, 1983.

160 Cet investissement est permis par la recherche de performance pour vaincre les Anglais. Il fallait pouvoir lutter à forces égales en combinant la ruse et la force. Des clubs ont commencé à recruter des gros gabarits dans les milieux populaires, pour les postes jugés « ingrats » par les classes favorisées.

161 POCIELLO, Christian, « Du pays où la force est vertu… Contribution à l’histoire du rugby français », Histoire sociale des pratiques sportives, n°8, 1985, p. 62.

162 DARBON, Sébastien, op.cit., 2008, p. 322.

Coubertin ou Henri Desgranges, sont totalement opposés à la pratique sportive féminine.

D’autres sont plus modérés et admettent une pratique raisonnable, et la compétition ne doit jamais dépasser l’esthétique et le bon goût163. Par conséquent, certaines pratiques, comme la natation, le tennis, sont recommandées. Le tennis est d’ailleurs plébiscité par la presse pour les femmes dès 1897164. Dès lors, quand une pratique est autorisée pour les femmes, ses valeurs s’éloignent de la virilité, de la force, de la lutte, de l’effort intense. L’analyse de l’investissement féminin, notamment dans les compétitions, ainsi que des valeurs attribuées à la discipline, offre un indice permettant d’évaluer les perceptions du badminton, s’il est plutôt un sport considéré comme réservé aux hommes ou réservé aux femmes.

En bref, nous situons donc notre démarche à la croisée d’une histoire culturelle et institutionnelle. Comme le soulignent Michaël Attali et Jean Saint-Martin, cette histoire culturelle vise à pénétrer le réel pour mieux comprendre les ressorts qui le constituent, mais demeure une entreprise complexe du fait de la pluralité de déterminants à considérer165. Une pratique peut connaître des mutations selon la classe sociale qui l’investit, que ce soit en termes de valeurs ou de possibilités de démocratisation. Le processus d’institutionnalisation d’une pratique physique lui accorde un statut de sport dans sa forme et la bureaucratisation établie peut, elle aussi, autoriser un accès large à une discipline ou, au contraire, le restreindre, en jouant sur les facteurs économiques et temporels notamment. En outre, certaines représentations influent sur la définition d’une activité et rendent floue la distinction entre le sport et le jeu, que l’on retrouve dans la confusion badminton versus jeu du volant, entre la pratique compétitive ou de loisir, entre l’aspect sérieux, ou, au contraire, ludique. Ces valeurs suscitent soit attrait, soit rejet de la pratique pour le profane, largement influencé par les contextes économiques, politiques, sportifs du pays. Elles peuvent expliquer le développement plus ou moins important d’une discipline. Ce travail analysera donc, à travers le prisme du badminton, la question de la fabrique d’un sport et, plus largement, le rapport à l’invention des pratiques culturelles de la modernité et à la culture de masse. Qu’est-ce qu’un développement « normal » pour un sport ? Est-il nécessaire d’être considéré en tant que tel pour se massifier ? Où se situent les mécanismes d’accélération et/ou de frein dans cette création et ces développements ?

163 LÉZIART, Yvon, op.cit., 1989, p. 85.

164 Ibid., p. 86.

165 ATTALI, Michaël, SAINT-MARTIN, Jean, « Éditorial. À propos de l’histoire culturelle du sport… », Movement et Sport Sciences, n°86, 2014, p. 1-2.

Outline

Documents relatifs