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CONSTRUIRE LA CRÉDIBILITÉ D’UN ÉNONCÉ SCIENTIFIQUE DANS L’ESPACE PUBLIC : la médiatisation des risques sur la santé

MOTS-CLÉS : RAISONNEMENT MÉDIAS – RISQUES ÉLECTROMAGNÉTIQUES

3. STRATÉGIES ET ENJEUX DE LA MISE EN SCÈNE MÉDIATIQUE D’UNE PREUVE

3.1 Stratégies de (re)présentation

Le récit de la controverse se déroule sur diverses scènes médiatiques, comme celle de l’hôpital, de l’aéroport, du supermarché, de la maison, du laboratoire de recherches ou de la rue. Chacune de ces scènes évoque un épisode bien particulier : les portables sont accusés de dérégler les stimulateurs cardiaques, d’interférer avec les instruments de bord ou bien encore suspectés d’induire des tumeurs au cerveau et des troubles de la mémoire. Les contextes de représentation sont donc multiples, tout comme les stratégies mobilisées par les médias. Nous souhaitons souligner ici les stratégies qui nous semblent les plus judicieuses.

1) La preuve par l’image

C’est plutôt la mise en scène des résultats d’une expérience dans l’espace public qui va faire preuve que l’expérience elle-même. Celle-ci passe plus particulièrement par le biais de l’utilisation d’éléments empruntés au domaine scientifique, qui sont les diagrammes, les courbes, les graphiques. Un graphique est une sorte d’équivalent visuel d’un effet habituellement invisible, le rayonnement du portable sur la tête de l’utilisateur par exemple (Fig. c). L’image scientifique telle- qu’elle-est-présentée-dans-l’espace-public constitue non seulement un moyen de représenter un objet ou un phénomène, mais surtout un moyen de l’authentifier. Une sorte de certificat de réalité en somme.

La juxtaposition d’images de nature différente, comme, par exemple, la réunion, au sein d’un même encart, d’un diagramme « scientifique » et d’une courbe représentant l’augmentation du nombre d’abonnés au portable au cours des ans (« Le danger potentiel concerne déjà un Français sur quatre », Fig. c), va permettre de donner à l’information sa valeur médiatique, et de rendre compte de la pertinence d’une réflexion sur les risques. Il n’y a pas que des intérêts scientifiques, il y a également des intérêts socio-économiques en jeu.

Une image ne saurait cependant constituer un élément de preuve à elle seule. C’est l’utilisation de l’espace scriptovisuel constitué par la page ou la double page du quotidien et l’agencement du texte et du co-texte (D. Jacobi, 1999) l’un par rapport à l’autre que nous regroupons sous l’expression « mise en scène ». Le texte et les images sont complémentaires et l’un ne saurait être la traduction de l’autre. Ils forment un ensemble indivisible et cohérent. Prenons l’exemple des ordres de grandeur qui figurent dans les légendes des illustrations ou bien encore dans le texte lui-même :

« 900 MHz », « 1800 MHz », « 0,1 à 0,3 watts », « n’est statistiquement significatif que pour des puissances massiques absorbées de 7,5W/kg »… De telles données sont-elles réellement incompréhensibles ou ne donnent-elles qu’une illusion d’objectivité et d’intelligibilité au lecteur ?

Fig. a Le Monde Interactif, 10 mars 1999. Fig. b Libération, 28 septembre 1999, p. 33. Fig. c Le Monde, 13 octobre 1999, p. 27.

Exemples de mises en scène médiatique d’un risque technologique

2) Le vocabulaire de l’incertitude

Le discours des journalistes semble osciller entre le souci de rendre intelligibles les données scientifiques dont ils disposent et la nécessité de rendre compte des doutes et des incertitudes de la science. Ce second trait apparaît notamment dans le vocabulaire employé (conditionnel et mode interrogatif) : les risques « sont faibles, mais sans doute pas nuls », « Peut-on déduire de cette expérience l’existence d’un véritable danger pour l’homme ? », « En l’absence de véritable danger, les fantasmes vont bon train », « Y a-t-il des contre-indications médicales ? », « suspicion », « hypothèses »… L’existence d’incertitudes laisse aux journalistes une certaine liberté et une part de créativité dans le traitement de l’information. Les figures a) et b) en constituent un exemple amusant. La figure b) notamment constitue une véritable métaphore : le lecteur/utilisateur de portable peut aisément s’identifier à un cobaye... Nous remarquons la tendance des journalistes, pour cette controverse tout du moins, à rassurer le lecteur sur les risques éventuels, et à ne pas « faire du sensationnel » comme cela a été le cas notamment dans le traitement médiatique d’autres affaires (comme celle de la listériose par exemple). Nous supposerons que l’incertitude est utilisée comme outil rhétorique par les journalistes, mais aussi par les scientifiques.

3) La preuve est portée par un individu, un scientifique ou un expert

scientifiques admettent que leurs connaissances sont parcellaires. Les scientifiques affichent de la sorte une certaine « objectivité » de la science, qui reconnaît « ne pas savoir ». L’incertitude n’est pas synonyme d’ignorance, mais fait partie intégrante du processus de recherche. Elle est notamment liée à la flexibilité interprétative des résultats scientifiques, c’est-à-dire qu’à une donnée ou un résultat scientifique correspondent plusieurs interprétations possibles. Elle est habilement employée par les scientifiques comme un outil rhétorique : elle permet de présenter la dimension sociale de l’entreprise savante (« la-science-en-train-de-se-faire ») et devient un argument d’autorité. Par ce biais, le scientifique se pose comme expert aux yeux du public, c’est-à-dire comme celui qui est habilité à parler au nom de la science. Il est présenté comme le représentant d’une institution en particulier et acquiert de cette manière ses « galons d’expert ». Dans cette controverse, des organisations comme l’O.M.S. ou la Commission européenne qui ont lancé récemment des études à grande échelle renforcent également leur position institutionnelle. Savoir si l’utilisation de portables à long terme est effectivement dangereuse ou pas, n’est pas le seul enjeu des débats. Il est avant tout question de remettre en cause l’autorité des institutions scientifiques.