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LES RISQUES ALIMENTAIRES, ENTRE SCIENCE ET SOCIÉTÉ

MOTS-CLÉS : RISQUE ALIMENTAIRE EXPERTISE – BIOTECHNOLOGIES –

3. LES O.G.M : UN CAS D’ÉCOLE ?

3.1 Élargissement de l'espace d'expertise

En France, la question des O.G.M. est d'abord gérée de façon classique : un comité d'experts nommé par l'État, la Commission du Génie Biomoléculaire (C.G.B.), est chargé d'évaluer les risques associés aux expérimentations et aux mises en culture d'O.G.M. Dès 1986, les premiers essais de mise en culture d'O.G.M. sont réalisés sous son autorité.

L'Europe élabore un cadre juridique spécifique aux O.G.M. en 1990. Une directive européenne met alors en place deux protocoles différents relatifs à l'expérimentation de nouveaux organismes et à leur commercialisation. Dans le premier cas, chaque pays membre contrôle et réglemente les

expérimentations. Dans le second, la mise sur le marché d'un O.G.M. devra être autorisée par la Communauté européenne sur demande d'un pays et après accord de tous les pays membres3.

L'adaptation de la directive européenne au cas français a suscité des controverses. Les débats parlementaires de 1992 révèlent les difficultés auxquelles se heurte le politique lorsqu'il tente de concilier impératifs économiques et demandes citoyennes. Le projet de loi proposé conjointement par le Ministère de l'Environnement et le Ministère de la Recherche est assez consensuel : il intègre le principe de précaution et il ménage un espace qui permet l'expression de points de vue contradictoires4. Enfin, un amendement impose la réalisation d'enquêtes publiques préalables à certaines recherches. Ce projet sera adopté par le parlement en mai 1992.

Peu après, pourtant, la communauté scientifique remet en cause le projet : ce « boulet réglementaire » pourrait constituer un frein important dans le développement des innovations. Les décideurs se trouvent dès lors face à un dilemme : faut-il donner toutes leurs chances aux scientifiques et aux industriels pour qu'ils développent de façon optimale les biotechnologies et entrent en concurrence avec les États-Unis ? Ou alors, ne vaudrait-il pas mieux favoriser l'information et la transparence et laisser les citoyens exprimer leur point de vue ? En juin, quatre prix Nobel prennent position contre la loi et le principe des enquêtes publiques. Cet avis sera entendu par le Sénat qui remplace le principe d'enquête publique par celui de la transparence a

posteriori. Ce projet amendé par le Sénat sera adopté par le parlement en seconde lecture5.

Ce cadre légal permet à l'expertise scientifique de fonctionner de façon optimale : la C.G.B. demeure la seule commission apte à évaluer et à juger de l'acceptabilité des risques associés aux O.G.M. En 1994, elle est consultée pour la première fois et donne un avis favorable pour la commercialisation de semences de maïs transgénique, le Bt 176 de CIBA (futur Novartis). Trois gènes ont été intégrés à cette semence, un gène « marqueur » de résistance à un antibiotique, un gène « insecticide » et un gène de tolérance à un herbicide. La communauté européenne valide cette autorisation en 1996.

Mais c'est précisément en 1996 que le débat autour des O.G.M. devient public en France. Tout d'abord, la crise de la vache folle a certainement agi sur les consciences. D'autres événements qui concourent à l'émergence d'une controverse publique sont assez intensément médiatisés. De premières observations de « flux de gènes » qui confirment les risques environnementaux liés à la

3 Directive 90/220/CEE du Conseil relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés dans

l'environnement, JOCE, L 117, 8 mai 1990.

4Deux commissions sont créées en ce sens : la première, à dominante scientifique, est chargée d'évaluer les risques pour la

santé publique ; la seconde, ouverte aux associations de protection de l'environnement et aux consommateurs, a pour mission d'étudier le problème de la dissémination des O.G.M.

5Loi 92-654 relative au contrôle de l'utilisation et de la dissémination des organismes génétiquement modifiés, J.O. 16

dissémination des O.G.M., sont publiées. En même temps, des cargos chargés de soja et de maïs transgéniques accostent en Europe, avant que la commercialisation ne soit autorisée. Enfin, à l'instar de la réglementation sur la traçabilité de la viande bovine, une revendication des consommateurs devient sensible : l'identification au niveau de l'étiquetage des O.G.M. entrant dans la composition d'un produit.

L'intensification du débat dans l'espace public conduit J. Chirac à se prononcer : pas de commercialisation de produits contenant un O.G.M. sans étiquetage et, surtout, suspension de la mise en culture du maïs Bt. Cette décision est doublement paradoxale. Le premier paradoxe, relevé par l'opposition de gauche, concerne l'attitude du gouvernement face aux O.G.M. : pourquoi d'un côté suspendre la culture des O.G.M. et, de l'autre, autoriser - certes en la réglementant - leur commercialisation ? Le second paradoxe met en évidence l'insuffisance du fonctionnement classique de l'expertise. En suspendant la culture du maïs Bt, le gouvernement va à l'encontre de la décision favorable de la C.G.B. sur la commercialisation de cette semence. Cette décision sera mal perçue par les scientifiques. Axel Kahn démissionne de la présidence de la C.G.B. Mais surtout, on passe désormais d'une gestion strictement scientifique du risque vers la problématique de son acceptation sociale.

Revenue au pouvoir en novembre 1997, la gauche cherche un compromis. Le nouveau gouvernement annonce un moratoire qui concerne les variétés transgéniques de Colza et de betteraves sucrières tout en réautorisant la culture du maïs Bt. Cette décision est motivée par la seule prise en compte du risque environnemental6. Mais, en parallèle, l'organisation d'un « débat citoyen » sur la question des O.G.M. atteste de la volonté de transparence du gouvernement. Ce débat, orchestré par l'Office Parlementaire d'Évaluation des Choix Scientifiques et Technologiques (O.P.E.C.S.T.), se traduit par des auditions et par la Conférence de citoyens qui se tient les 20 et 21 juin 1998 (Joly, 1999).

À cette étape, l'espace d'expertise semble s'élargir aux citoyens, mais le système fonctionne toujours à distance de la société. Le débat citoyen se déroule à l'écart des médias et de la scène publique, ce qui limite d'entrée de jeu la pluralité des opinions émises. Car n'est pas « citoyen » qui veut. Les participants au débat sont sélectionnés, l'un des critères étant qu'ils ne fassent pas partie d'un groupe de pression (syndicats ou associations). Or, même si cette sélection est justifiable (elle permet d'éviter les querelles partisanes ou idéologiques), elle élimine précisément les citoyens les plus informés sur la question des O.G.M., peut-être aussi ceux qui sont les plus sensibles aux questions

d'acceptabilité du risque par le consommateur. Les groupes de pression interviendront toutefois, mais au même titre que les experts : ils exprimeront leur analyse et leur point de vue face aux « citoyens neutres » chargés de trancher la controverse. Ces « candides » devront donc être capables - tout neutres et naïfs qu'ils sont - de juger de la pertinence et de l'importance des données scientifiques et économiques, des considérations sociales et des revendications militantes. Au final, les citoyens donnent leur avis, mais leur fonction s'arrête là où commence le processus de prise de décision.

Aux dires des organisateurs, la Conférence de citoyens a été couronnée de succès. Ainsi, le principal organisateur, J.-Y. Le Déaut, semble émerveillé par la présence d'esprit de ces simples citoyens qualifiés de « candides » : ils ont bien identifié et évalué les risques. Loin de bannir les O.G.M., le groupe de citoyens opte pour une réforme des instances consultatives qui devront désormais intégrer des représentants de différents mouvements associatifs. Toutefois, la lecture des recommandations « citoyennes » montre, qu'en définitive, tous les points de vues sont respectés, ceux des consommateurs et des paysans, ceux des scientifiques et des industriels, ce qui ne va pas sans susciter des contradictions.

Il fallait encore que le gouvernement puisse utiliser au mieux ces « recommandations » tout en conservant son indépendance décisionnelle. Aussi, face à l'œcuménisme du « point de vue » citoyen, le gouvernement devait ignorer certaines recommandations. Par exemple, la recommandation visant à stopper l'utilisation de gènes marqueurs de résistance aux antibiotiques dans la production des O.G.M. n'a pas été honorée. Le maïs Bt 176 comporte déjà ce gène, de même que les nouvelles variétés autorisées quelques semaines à peine après la Conférence de citoyens.