5.1. D’une relative transparence (ce qui est divulgué)…
5.2.2. Les stratégies parentales
La nécessité d’un parent à confier son enfant à une collectivité dépasse généralement le simple intérêt de la socialisation précoce de l’enfant.
La crèche est régie par un certain nombre de règles qui vont autoriser ou non l’accueil de l’enfant qui arrive notamment lorsqu’il s’agit de problèmes de santé. Cependant, compte tenu des conditions de travail dans lesquelles les parents évoluent, la possibilité de prendre une journée supplémentaire pour s’occuper de son enfant malade peut s’avérer peu ou pas envisageable.
Journal de terrain : 24/01/2013, les bébés (le soir)
Il est 16h00, j’arrive à la crèche et je prends le temps de dire bonjour à l’équipe de direction avant d’entrer dans la salle des bébés. Une des auxiliaires déboule dans le bureau visiblement furieuse en disant qu’elle a compris pourquoi la maman d’Alou lui avait coupé les cheveux la veille. Alou a plein de poux. Malheureusement la maman n’en a pas informé l’équipe et par conséquent elles n’ont pas pu prendre les précautions nécessaires. L’auxiliaire précise qu’elle sait bien pourquoi elle n’a rien dit parce que sinon on l’aurait encouragée à garder son fils le temps de commencer un traitement.
Ici, communiquer « tout va bien » en guise de transmissions le matin en direction des professionnelles de la crèche permet d’esquiver les éventuelles incompatibilités de garde en collectivité. « Dans la vie quotidienne, il est généralement possible à l’acteur de créer à dessein à peu près n’importe quelle sorte d’impression fausse en évitant de tomber dans le mensonge caractérisé et inexcusable. Des techniques de communication telles que
66 GOFFMAN, Erving, La mise en scène de la vie quotidienne, La présentation de soi, Les Editions de minuit, Paris, 1987, p.23.
5. L’accueil : un monde du contact ambivalent
75 l’insinuation, l’ambiguïté calculée et le mensonge par omission permettent à leur utilisateur d’avoir tous les bénéfices du mensonge sans, techniquement parlant, en proférer un seul »67. Ainsi, en se préservant de donner davantage d’information, l’équipe ne se pose pas la question de savoir s’il est judicieux ou non d’accueillir un enfant et les parents peuvent assumer leurs responsabilités au travail.
D’autre part, de la même manière que les professionnelles ont d’autres tâches à gérer en parallèle de l’accomplissement des transmissions, les parents ont d’autres échéances qui font qu’ils sont pressés, n’ont pas le temps.
Journal de terrain : 27/09/2012, les grands (le matin)
8h15 : premier papa qui vient déposer sa fille. Habillé en costume cravate, il doit ensuite déposer sa fille ainée à l’école avant d’aller travailler. Les transmissions sont brèves :
« Bonjour, tout va bien, c’est moi ce soir. Au revoir. »
Delphine me rend compte de ce qu’elle conclut de cet échange.
Delphine : Chez les grands, bon les parents sont souvent pressés, on le voit bien par exemple avec ce papa, dès qu’on veut discuter un peu hop ils s’en vont. Les parents sont pressés. C’est vrai qu’il doit déposer sa fille à l’école à 8h30.
Le passage par l’étape de l’accueil et la transmission d’informations est obligatoire. « Quand un acteur adopte un social role établi, il constate habituellement que celui-‐ci implique déjà une façade déterminée. Qu’elles qu’aient été les raisons pour lesquelles il a adopté ce rôle – désir d’accomplir la tâche concernée ou bien désir de maintenir la façade correspondante – l’acteur se sent toujours contraint à la fois d’accomplir la tâche et de garder la façade »68. C’est pourquoi le besoin d’aller au plus court et au plus rapide semble souvent aller de soi, ainsi chacun rempli son rôle tout en n’empiétant pas sur d’autres contraintes extérieures existantes.
Chacun des acteurs rentrant en jeu dans une structure d’accueil du jeune enfant (parents et professionnelles) ne joue pas qu’un seul rôle au cours de la journée, entre la vie domestique, le travail, les relations sociales extérieurs, il faut composer avec tous les aspects de la vie courante qui sont parfois plus ou moins visibles. « Non seulement on rencontre des
67 Ibid., p.64.
68 Ibid., p.35.
Soutien à la parentalité : Le quotidien des crèches ?
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éléments appartenant à la façade sociale d’un rôle particulier dans les façades sociales de tout un ensemble de rôles dans lesquels on trouve un autre élément de la même façade »69. Autrement dit, en fonction de leurs obligations, les parents vont décider de divulguer ou non toutes les informations concernant leur enfant et d’accomplir le passage des transmissions de la manière la plus restreinte possible.
5.3. Conclusion
Dans une structure d’accueil de jeunes enfants la recherche d’un partenariat parents-‐
professionnelles apparaît comme un des objectifs principaux. Pour ce faire, la création d’une relation de confiance va de soi et est même indispensable afin de créer ce lien essentiel.
C’est pourquoi de nombreux éléments sont largement ouverts et divulgués aux familles qui confient leurs enfants en crèche quotidiennement. Une transparence du mode de fonctionnement est proposée par la période de l’adaptation ou encore par les échanges que peuvent entretenir les professionnelles avec les parents au fil des jours.
En revanche, nous avons pu constater qu’en parallèle, les enjeux des professionnelles ainsi que ceux des parents dépassent bien souvent les murs de la structure d’accueil. C’est ainsi que toutes les informations concernant la garde des enfants ne sont par transmises. On peut remarquer que chacun des acteurs rentrant en jeu tente de garder une certaine distance par rapport à l’autre et ainsi, défend ses propres intérêts. La question qui se pose est alors quelle est la place du soutien à la parentalité face à cette réalité ? C’est à cette question que nous essayerons de répondre dans le chapitre suivant.
69 Ibid., p.36.
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6. Relation parents-‐professionnelles : deux espaces clivés ? Le soutien à la parentalité en question
Au cours de ce travail de recherche, il résulte que la famille et la crèche ont chacune des intérêts à défendre. Il nous importe maintenant de mettre en rapport ces enjeux avec un véritable partenariat autour de la prise en charge des jeunes enfants. Que ce soit parents ou professionnelles, les enjeux vont parfois au-‐delà du projet d’un partenariat, c’est pourquoi il semble important de mettre à jour la place réelle accordée au soutien à la parentalité.