Les parents qui confient leur enfant dans les structures d’accueil de la petite enfance ne le font pas à l’aveugle. Ils ont parfois conscience des objectifs de la collectivité à leur égard et se permettent de les déjouer quand ils le peuvent.
Tout d’abord, nous avons pu constater que les familles les plus défavorisées accueillies à la crèche, sont également celles qui participent le moins à la vie de la collectivité. Mis à part
75 DUBET, François, MARTUCELLI, Danilo, A l’école, Sociologie de l’expérience scolaire, Seuil, Paris, 1996, p.134.
6. Relation parents-‐professionnelles : deux espaces clivés ? Le soutien à la parentalité en question
83 s’ils entrent dans une procédure obligatoire de prise en charge, cette catégorie de parents se met très peu en rapport avec les professionnelles de la crèche. De ce que nous avons pu observer, ils réduisent les transmissions avec les professionnelles au minimum, ils ne fréquentent pas les moments conviviaux proposés par la crèche et encore moins les réunions organisées par les professionnelles.
Journal de terrain : 18/01/2013, fête de la galette
A la fête de la galette, seule la maman d’Issa est présente parce qu’elle a croisée Madame DURANT qui lui a mis une part de galette dans les mains à son passage, elle la mange rapidement, elle ne parle à personne, s’installe à l’écart du reste du groupe et s’en va dès qu’elle l’a terminée.
Nous pouvons à nouveau faire un parallèle avec la relation que les parents entretiennent avec l’école. « Les attitudes des parents des milieux populaires à l’égard de l’école sont clivées par une ambivalence et une tension essentielles. D’un côté, existe la reconnaissance de la légitimité de l’école et de ses capacités de socialisation. De l’autre, l’école apparaît comme une menace pour les enfants et, au-‐delà, pour les familles »76. Certains parents tentent donc de fuir les interactions proposées par les professionnelles de la petite enfance.
En se tenant « hors de portée », ils contraignent la relation avec l’établissement et creusent les distances avec lui.
Des réunions d’informations sont proposées aux parents afin de les informer de la vie en collectivité ainsi que des sujets qui pourraient les intéresser. A cet effet, une partie de l’équipe de la crèche leur propose de les rencontrer une fois dans l’année. Chacune des professionnelles explique sa fonction au sein de la crèche et ses objectifs en ce qui concerne le programme éducatif mis en place dans l’établissement. Les différents partenaires comme le pédiatre, la psychologue ou encore la psychomotricienne sont également présents pour prendre contact avec les familles de la crèche. Cependant, certains parents ne se sentent pas concernés par ces propositions ou même les évitent.
Madame VINOIS « Je sais que, Madame MARTIN me disait qu’elle allait organiser une réunion pour les parents, par exemple ça, ça ne m’intéresse pas à l’avance ».
-‐ Pourquoi ?
76 Ibid., p.111.
Soutien à la parentalité : Le quotidien des crèches ?
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Madame VINOIS « Parce que… ça c’est moi, c’est ma sensibilité à moi, parce qu’on va me faire un blabla sur « voilà comment ça se passe chez nous », et je trouve qu’on s’en fiche un petit peu de savoir ce qui se passe chez moi, donc moi entendre que la motricité… Oui alors je vais avoir le droit, il va y avoir, justement elle me disait qu’il va y avoir la psychomotricienne, voilà. Si c’est pour avoir une présentation « voilà comment on fait, c’est vachement bien, on tient compte des besoins des enfants, nous on fait comme ceci, comme cela… ». Je me doute que ça va être un super spitch donc je n’ai pas envie d’y aller. Non mais c’est un petit peu à cause de ce clash qu’il y a eu avec cette histoire où on n’a pas compris mon besoin sur le pyjama, ça m’a… Donc je vais faire ce qu’il faut, j’habille maintenant mes filles mais je n’irai pas à la réunion d’information où on va me dire « voilà c’est comme ça que ça se passe, c’est merveilleux, vous avez des questions ? ».
Les parents prennent du recul sur les pratiques professionnelles qui ne leur conviennent pas.
Il s’agit d’une démarche de subjectivation, en effet, « l’acteur social n’est pas uniquement défini par ses appartenances et par ses intérêts. Il est aussi défini par une distance à lui-‐
même et par une capacité critique qui en font un sujet. {…} L’essentiel tient à ce que sa présence construit une distance à l’ordre des choses autorisant une capacité de conviction, de critique et d’action autonome »77. Le fossé est donc bien ouvert entre la crèche et les parents quand les pratiques éducatives ne font pas l’unanimité. En revanche, si les parents ne souhaitent pas coopérer pour diverses raisons, le lien essentiel à la mise en place du soutien à la parentalité est évincé car la coopération « relève de la liberté des sujets et de la formation d’une volonté commune »78.
Par ailleurs, quelques parents tentent de faire face aux obstacles qu’ils rencontrent avec les professionnelles de la crèche lorsqu’ils estiment que leur combat est légitime.
-‐ Est-‐ce que vous vous adressez plus aux auxiliaires ou plus à l’équipe de direction en fonction des questions que vous avez ?
Madame LEBLANC « Non… C’est plus avec les auxiliaires parce que j’aime pas trop en fait aller directement vers la hiérarchie, dans mon métier j’aime pas trop quand les parents s’adressent à la hiérarchie avant de m’avoir exposer le problème donc après j’essaie de l’appliquer. Je sais que ça c’était posé, le problème s’était posé pour en fait le gouter, comme Guénolé, le biberon… enfin le gouter ne convenait pas, elle avait un plus grand appétit et puis ça ne correspondait pas tout à fait à ce que la pédiatre, elle, orientait au niveau de
77 Ibid., p.64.
78 NISSEN, Nicole, « Quelle alliance entre les parents et les professionnels ? », Etats généraux de la petite enfance, 2005.
6. Relation parents-‐professionnelles : deux espaces clivés ? Le soutien à la parentalité en question
85 l’alimentation et donc j’avais demandé à la référente de Guénolé si c’était possible d’avoir une compote en plus du biberon l’après-‐midi et ça a mis un peu de temps pour que j’obtienne une réponse, ça partait plus sur une bouillie etc… et moi j’étais pas très favorable et la pédiatre non plus. Comme j’arrivais pas vraiment, enfin l’auxiliaire me disait « non, c’est pas possible d’avoir de compote etc… », j’étais un peu étonnée donc j’ai fini par aller voir la direction en expliquant, en leur disant que la pédiatre était quand même plus favorable à une compote accompagnée d’un biberon à quatre heures et c’est le seul moment où j’ai du un peu court-‐
circuiter, enfin c’est pas que j’ai court-‐circuité, c’est juste que je suis passée d’abord par les auxiliaires, n’ayant pas de réponse ou ayant une réponse négative qui m’étonnait un petit peu et bien j’ai fini par aller voir la direction ».
-‐ Comment ça s’est terminé ?
Madame LEBLANC « Ca s’est fini que j’ai obtenu gain de cause (rires) pour le quatre heures mais c’est vrai qu’à priori c’était pas simple, j’étais un peu surprise et puis d’ailleurs la pédiatre aussi était un peu surprise que les choses soient un peu, paraissent aussi rigides. D’ailleurs même dans l’équipe de direction elles n’avaient pas la même avis ».
Le dialogue avec l’équipe et par conséquent les professionnelles les plus proches de l’enfant s’est rompu. Pour rétablir l’ordre cette mère s’est finalement adressée à l’équipe de direction. Le clivage équipe éducative-‐parents s’intensifie dès lors que la culture professionnelle et la culture parentale s’affrontent, « s’ensuivront différentes déclinaisons des rapports de pouvoir entre les parties et de leur relations interpersonnelles »79.
Etant donné le clivage existant entre les équipes éducatives et les familles, la question de la place du soutien à la parentalité se pose au sein de ces structures d’accueil de jeunes enfants.