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Chapitre 2 : Présentation et analyse des résultats

3. L’Arctique et les compagnies de vrac : propositions et théories

3.4 Les facteurs stratégiques d’attraction et de répulsion / deuxième partie

3.4.3 Stratégies

Les stratégies constituent l’une des pièces maîtresses de l’analyse, puisqu’elles sont au cœur de l’approche des entreprises face à l’Arctique. Les ressources, les compétences et l’identité des organisations maritimes caractérisent leur volonté et leur capacité à intégrer le marché arctique et leur permettent, en fonction de l’environnement extérieur, d’établir les stratégies entrepreneuriales propres aux divers marchés qui composent l’industrie maritime de vrac.

Dans le cadre de la présente recherche, dans l’approche face à la navigation arctique, la dimension stratégique revêt deux facettes; l’une « globale », qui fait référence à l’ensemble du marché maritime de vrac et qui constituera la pierre d’assise de la théorie centrale de l’étude, et l’autre plus « fine », qui renvoie à la catégorie Logistique telle que définie précédemment et, cette fois, qui permettra de recueillir des informations spécifiques sur les stratégies de navigation en eaux arctiques.

Tel que mentionné lors de l’analyse de la Logistique, les stratégies face à la navigation sont associées à l’employabilité des navires et à l’établissement des périodes de navigations les plus propices permettant ainsi de minimiser les risques sur une période donnée. Ainsi, les « […] décisions sont basées sur les conditions de glace et le temps de l’année »179. Les compagnies qui œuvrent actuellement dans l’Arctique ont « un certain volume à livrer »180 et effectuent ces livraisons pendant la période estivale comme l’explique Rigel Shipping Canada :

[…] on est capable de le faire facilement en trois ou quatre mois d’opérations. Pis en prenant deux navires, ben on est capable de le faire facilement, un ça serait comme

179 Traduction libre de l’anglais provenant de l’entretien avec Island Tug and Barges Ltd.: « […] decisions are based on ice conditions ant time of the year ».

impossible. Deux navires, ça se fait juste comme il faut. Pis si le volume augmenterait, ben on monterait à trois navires. Au lieu d’augmenter la saison, d’essayer d’allonger la saison, on va garder notre saison la même pour monter plus de navires étant donné qu’en t’engageant dans une saison plus longue tu augmentes tes coûts, donc ton profit va être moins bon pour la même ouvrage181.

Cette stratégie est d’ailleurs récurrente pour les compagnies naviguant régulièrement dans la zone à l’étude (3 mentions autres que celle de Rigel Shipping Canada).

Au demeurant, les flottes de navires avec des classes de glace arctiques au sein des entreprises maritimes œuvrant actuellement sur le marché arctique et ayant été interrogées ne sont pas entièrement utilisées dans la zone à l’étude. Ainsi, advenant une augmentation de la demande et du niveau d’employabilité des navires dans la région, les compagnies maritimes seraient en mesure de répondre immédiatement à l’appel : « […] il y a deux navires qui font le nord, par contre tous nos navires [huit] peuvent aller dans le nord. Si la demande est là, tous nos navires vont y aller, mais présentement la demande ne nécessite que seulement deux. […] c’est sûr que si la demande est là on va tous les envoyer […] »182. L’intégration préalable sur le marché arctique des compagnies au niveau d’intention très élevé combiné à leur capacité de répondre à la demande éventuelle dans l’immédiat constitue un avantage concurrentiel indéniable183 et, incidemment, constitue une barrière à l’entrée pour les autres entreprises de vrac.

Afin de se positionner de la sorte, la stratégie globale des entreprises actives dans l’Arctique vise à rentabiliser les navires sur les marchés englacés en dehors de la période estivale (3 mentions) :

[…] nos navires sont construits pour les hivers canadiens, donc notre but c’est de faire des opérations 12 mois par année… euh… dans l’hiver canadien qui est pas dans l’Arctique. Je veux dire dans le St-Laurent […] pour faire ça, durant la saison des glaces, t’as besoin du même type de construction que pour aller dans l’Arctique l’été, donc vu qu’on est un joueur qui va dans l’Arctique seulement dans des conditions favorables, […] on a un navire qui est classé pour la glace, qui est ice strengh […]. Donc, notre but premier c’est de faire notre même trade durant la saison d’hiver, qui est un autre quatre mois, fac là on est déjà rendu à huit mois, quatre mois l’été dans l’Arctique, quatre mois l’hiver canadien… y reste juste quatre mois qu’on navigue en eau claire. On se rend compte tout de suite que le deux tiers de la portion requiert un bateau qui est apte à naviguer dans les glaces, donc… euh… notre profit est de ce bord- là184.

181 Ibidem.

182 Extrait de l’entretien avec Pétro-Nav, filiale de Groupe Desgagnés.

183 Voir Johnson et al. (2005) pour de plus amples informations sur les capacités stratégiques et les avantages concurrentiels.

Subsidiairement, il est à rappeler que Knutsen AOS Shipping soulignait l’importance de la flotte mondiale possédant une classe de glace en fonction des besoins réels de ce type de navire. Les stratégies entrepreneuriales expliquent en partie cet état de fait : « […] si vous construisez un navire, vous le faites pour les 15 prochaines années. […] normalement, les navires ne sont pas construits pour transiger 15 ans dans un marché spécifique. Donc vous ne savez pas où votre navire finira et si vous le construisez avec une classe de glace, vous êtes sûr qu’il pourra traverser la Baltique en période hivernale […]. D’ailleurs, nous voyons beaucoup de navires avec des classes de glace 1A affrétés à temps en Afrique de l’Ouest »185. Parallèlement, la consommation accrue de carburant en eaux claires par les navires avec une classe de glace ne semble pas représenter une entrave pour l’industrie (4 mentions) : « […] ça ne représente pas une grosse différence. Vous perdez un peu de tonnes de poids en lourd au détriment de la classe de glace, mais c’est le plus gros problème, pas la consommation de carburant »186, alors que « […] si vous transigez [en zone englacée] peut-être cinq à dix pour cent chaque année, vous obtiendrez la prime qui vous permettra de payer pour l’autre 90 pour cent »187.

Au final, la possession de navires avec une classe de glace ne semble pas poser de difficultés pour l’ensemble des entreprises. Toutefois, bien que l’industrie maritime de vrac soit théoriquement en mesure de répondre à un accroissement de la demande pour une navigation en zone englacée, et ce, en fonction du nombre de navires possédant une classe de glace, il appert cependant que les compagnies qui œuvrent actuellement dans l’Arctique sont favorisées par rapport à leurs concurrents, puisqu’en plus de posséder les navires adéquats, elles détiennent l’expertise188 et les contacts commerciaux189 dans la zone arctique.

185 Traduction libre de l’anglais provenant de l’entretien avec Poseidon Schiffahrt : « […] if you build a vessel you build it for the next 15 years. [...] normally the vessels are not built to trade for 15 years in a special trade. So you never know where your vessels will end up and if you build them with all ice class then you’re sure that it can cross the Baltic in wintertime [...]. Although we see a lot of vessels being on time charter in West Africa having ice class 1A. ».

186 Idem. : « […] it’s not a very big difference. You lose a bit of death weigh to the ice class, but that’s the bigger problem, not the fuel consumption ».

187 Traduction libre de l’anglais provenant de l’entretien avec Stena bulk : « […] if you trade [in icy zones] maybe five to ten percent every year, you will get that premium that will pay for that 90 percent ».

188 Voir chapitre 2, point 3.3.2 (Main-d’œuvre)

189 Cet élément constitue une compétence fondamentale intégrante des capacités stratégiques des entreprises concernées et représente un avantage concurrentiel direct face au marché arctique tel que défini par Johnson

Les capacités stratégiques, telles que définies par Johnson et al. (2005), sont établies en fonction des marchés ciblés par les diverses entreprises. Or, afin de mieux comprendre quelle est la position de l’industrie maritime de vrac face à l’Arctique, il importe à présent d’approfondir la question des stratégies entrepreneuriales, et ce, en fonction de la vision des compagnies face aux différents marchés composant cette industrie.