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Chapitre 2 : Présentation et analyse des résultats

3. L’Arctique et les compagnies de vrac : propositions et théories

3.3 Perception et gestion des activités maritimes

3.3.3 Aide à la navigation

En fait, l’aide à la navigation se traduit, de manière accessoire, par l’aspect technologique et celui de l’information, mais principalement en termes de service de brise-glace. Les connaissances des compagnies maritimes sur ce dernier sujet demeurent ténues dans l’ensemble, plusieurs ayant simplement préféré ne pas s‘aventurer sur ce terrain. Ainsi, les sept entreprises ayant permis de recueillir de l’information pertinente sur le thème des brise-glaces effectuent toutes des voyages réguliers en zones englacées, alors que cinq d’entre elles naviguent en zone arctique. Cet état de fait révèle une certaine fragilité quant à la compréhension fine des tenants et aboutissants entourant la navigation en milieu englacé de la part de l’ensemble de l’industrie. Parallèlement, si la teneur des propos émis se veut passablement similaire d’une compagnie à l’autre, suggérant l’atteinte de la saturation théorique pour cette catégorie, elle laisse toutefois certaines questions en suspends comme il sera permis de le constater.

Le constat général se veut relativement simple. D’une part, l’ensemble des compagnies nord- américaines (3/7) atteste d’un manque de disponibilité des brise-glaces en raison de la petitesse de la flotte : « la flotte est (bis) pas assez grosse pour aider tout le monde, donc l’availibility est très difficile »149. Du même souffle, ces compagnies stipulent que cette remarque concerne le développement de l’Arctique de manière générale, mais que ce manque de disponibilité n’affecte en rien leurs propres opérations, puisque « ça dépend tu vas où aussi, nous dans notre zone150 c’est peut-être pas si pire »151 et « c’est surtout la saison qu’on choisit d’y aller aussi. On y va dans le bon

149 Extrait de l’entretien avec Rigel Shipping Canada.

150 La compagnie concernée, Rigel Shipping Canada, opère presque qu’exclusivement au Nunavik, soit sur les marges de l’Arctique.

temps, on y va juste dans la saison qui est vraiment favorable, donc on n’a pas vraiment besoin des icebreakers »152.

En droite ligne avec ce qui a été présenté précédemment, ces entreprises maritimes de vrac ont acquis une expertise sur le terrain et ont développé des stratégies qui leur permettent d’évoluer de manière passablement autonome; par conséquent, les lacunes associées au service de brise-glaces constituent davantage un frein supplémentaire à l’intégration de nouveaux joueurs sur le marché arctique : « [nous], nous opérons indépendamment, mais dans une perspective plus large, je pense qu’il y a des opportunités qui sont peut-être perdues à cause de l’indisponibilité [des brise- glaces] »153.

Parallèlement, les propos des compagnies européennes sont plus bigarrés. À titre d’exemple, la compagnie 5E s’est plainte que « […] seulement deux brise-glaces ont travaillé à Arkhangelsk cet hiver »154, alors que chez Transpetrol maritime services on stipule, pour la même zone, que « là y’a pas de problème, [les russes] sont quand même bien équipés, y’a deux icebreakers, y’a des pilotes, j’veux dire, on a jamais eu de gros problème là ». Or, selon Crystal Pool Shipping les décisions des entreprises maritimes de vrac dans l’acceptation d’un contrat vers l’Arctique, ou toute autre zone englacée d’ailleurs, est basée sur l’évaluation des risques en fonction des données graphiques sur les glaces, sur la fréquence et l’importance des convois dans la région et, évidemment, sur le nombre de brise-glaces présent dans le secteur. La mainmise des autorités russes sur la région, notamment avec la flotte de brise-glaces, assujettit donc les compagnies maritimes de vrac au bon vouloir du pouvoir russe (3 mentions).

Ainsi, si, du côté nord-américain, l’inquiétude principale concerne la petitesse de la flotte de brise- glaces, la préoccupation principale chez les compagnies européennes demeure la dépendance aux aspirations du régime russe. Cela se traduit par une réduction des opportunités du côté ouest de l’Atlantique, mais, sur l’autre rive, par une certaine incertitude ou, à tout le moins, par le sentiment que la prise de décision sur le développement du marché arctique échappe en partie aux acteurs maritimes concernés par la présente étude. Les Influences extérieures jouent donc un rôle

152 Extrait de l’entretien avec Pétro-Nav, filiale de Groupe Desgagnés.

153 Traduction libre de l’anglais provenant de l’entretien avec Canartic, filiale de Fednav Group : « [...] we operate independently, but I think that there are opportunities that are perhaps missed because of the [icebreakers’] unavailability in a much wider perspective ».

154 Traduction libre de l’anglais provenant de l’entretien avec 5E : « [...] only two icebreakers have been working in Arkhangelsk this winter ».

primordial dans le développement de l’Arctique, ce que la catégorie du même nom permettra d’approfondir.

Par ailleurs, il importe de noter qu’aucune donnée sur les services de brise-glaces offerts dans l’Arctique « profond » n’a pu être recueillie, les compagnies en activité dans cette zone, telles que SCF Sovcomflot ou Neste Oil, n’ont pas émis de commentaires à ce sujet. L’évaluation de ces services dans les portions de l’Arctique qui sont le plus à même de susciter une demande et pour lesquels la présence de brise-glaces semble essentielle au développement maritime demeure donc inconnue.

Le deuxième thème de la présente sous-catégorie, celui de l’information et des technologies, se veut particulier, dans la mesure où sa pertinence même est remise en question sur la base de la méthodologie utilisée. En effet, lors de la première étape de l’analyse, l’encodage, les thèmes relatifs aux questions technologiques et de l’information ne se sont pas avérés récurrents. Or, comme le stipule Hennebo (2009 : 17), « […] si un code apparu initialement n'est que rarement retrouvé dans les entretiens suivants, peut-être faudra-t-il le supprimer ou le regrouper au sein d'un autre code plus conceptualisant ». Ainsi, sans s’appesantir sur le sujet, il importe de relever qu’en dépit de l’importance légitime soulevée par certaines recherches (site de Northern Sea Route User Conference, consulté le 12 mai 2014; Mulherin et al., 1994 : 22 – 35; Wang et al., 2008; Bourbonnais, 2010 : 8 – 12;) sur les avancées technologiques favorisant la navigation en zone englacée celles-ci trouvent peu d’écho auprès de la marine marchande, du moins pour la portion à l’étude dans le présent cas. Par ailleurs, si certains commentaires épars indiquent la présence de lacunes concernant la collecte, la disponibilité et la fiabilité des informations météorologiques et cartographiques (glaces et fonds marins) sur l’Arctique, cela témoigne également de la capacité d’adaptation des compagnies maritimes face à l’environnement glaciel qui, se faisant, repose davantage sur les stratégies entrepreneuriales que sur un réel apport technologique.