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Chapitre 1 : Présentation du projet de recherche

3. Revue de littérature et principaux concepts

3.1 Notions et concepts

3.1.2 La navigation en zone englacée

La navigation en zone englacée fait référence à deux concepts spécifiques, soit la glace en tant que telle et la capacité des navires à évoluer dans ce type d’environnement.

La glace

Deux éléments permettent de caractériser les glaces, soit leurs concentrations (voir tableau 3), ainsi que leurs attributs physiques, principalement associés à l’épaisseur (voir tableau 4), à l’extension (voir tableau 5) et à la dureté de celles-ci, alors que, parallèlement, les entraves glacielles à la navigation se présentent sous deux aspects, soit le couvert de glace et les icebergs (voir tableau 6).

Tableau 3 : Terminologie partielle associée à la concentration des glaces

Termes Caractéristiques

Libre de glace Aucune glace n’est présente. S’il y a de la glace de quelque espèce que ce soit, ce terme ne doit pas être employé.

Eau libre

Grande étendue d’eau librement navigable dans laquelle la glace de mer est présente à des concentrations inférieures à 1/10. Aucune glace d’origine terrestre n’est présente.

Banquise très lâche Banquise dont la concentration est de 1/10 à 3/10 et où il y a plus d’eau que de glace.

21 Pour de plus amples renseignements sur la question de la géographie du transport maritime, se référer à Stopford (2009 : 347 – 384, 434 – 467 et 473 - 497).

22 Traduction libre, dans EFTA (2009) Adoption of Guidelines on guidance on state aid to ship management. [En ligne] http://www.eftasurv.int/state-aid/legal-framework/state-aid-guidelines/

Banquise lâche

Banquise dont la concentration est de 4/10 à 6/10 avec de nombreux chenaux et polynies; les floes ne sont généralement pas en contact les uns avec les autres.

Banquise serrée Banquise dont la concentration est de 7/10 à 8/10 et qui est composée de floes dont la plupart sont en contact. Banquise très serrée Banquise dont la concentration est de 9/10 à moins de 10/10.

Banquise compacte Banquise dont la concentration est de 10/10 et où il n’y a pas d’eau visible.

Banquise consolidée Banquise dont la concentration est de 10/10 et où les floes ont été soudés par le gel.

Banquise / Pack

Terme utilisé au sens large pour désigner toute zone de glace autre que la banquise côtière, quelle que soit sa forme ou sa disposition. Lorsque les concentrations sont élevées, par exemple 7/10 ou plus, on utilise normalement le terme « pack »; sinon, on parle de « banquise ». Source : Environnement Canada – Service canadien des glaces.

Tableau 4 : Terminologie associée à certains attributs physiques des glaces

Termes Caractéristiques (vieillesse et épaisseur)

Nouvelle glace

Terme général s’appliquant à toute glace formée récemment. Ce terme recouvre ceux de frasil, sorbet, gadoue et shuga, lesquels correspondent à différents aspects de la glace formée par des cristaux encore faiblement soudés entre eux par le gel (ou pas du tout, le cas échéant) et n’ayant un aspect défini que lorsqu’ils flottent en surface.

Nilas

Couche de glace mince et élastique, ondulant facilement sous les vagues et la houle et formant, sous la pression, des avancées en forme de « doigts » entrecroisés. Cette couche a une surface mate et peut atteindre 10 cm d’épaisseur. On distingue le nilas sombre et le nilas clair.

Glace grise Jeune glace de 10 à 15 cm d’épaisseur, moins souple que le nilas et se brisant sous l’effet de la houle.

Glace blanchâtre

Bloc flottant de glace de glacier qui émerge généralement de 1 à 5 m, est long de 5 à 15 m et a habituellement une superficie de 100 à 300 m2.

Glace mince de première année / Blanchâtre de premier stade

De 30 à 50 cm d’épaisseur. Glace mince de première

année / Blanchâtre de

deuxième stade De 50 à 70 cm d’épaisseur. Glace moyenne de première

année De 70 à 120 cm d’épaisseur.

Glace épaisse de première

Glace de deuxième année (glace pluriannuelle)

Vieille glace ayant subi un seul été de fonte. Comme elle est plus épaisse que la glace de première année, elle flotte plus haut sur l’eau. Contrairement à ce qui se passe avec la glace de plusieurs années, la fonte d’été produit un dessin régulier de nombreuses petites mares d’eau. Les endroits mis à nu et les mares sont généralement bleu-vert

Glace de plusieurs années (glace pluriannuelle)

Vieille glace qui a survécu à au moins deux étés de fonte. Les hummocks sont encore plus arrondis que dans le cas d’une glace de deuxième année et la glace est presque exempte de sel.

Source : Environnement Canada – Service canadien des glaces.

Tableau 5 : Terminologie associée à l'extension du couvert de glace

Termes Caractéristiques

Floe Tout fragment de glace relativement plat ayant 20 mhorizontale. 2 ou plus d’extension Banc de glace Étendue de glace de moins de 10 km2

Champ de glace moyen Champ de glace dont l’étendue se situe entre 15 et 20 km2. Petit champ de glace Champ de glace dont l’étendue se situe entre 10 et 15 km2.

Champ de glace Étendue de glace flottante formée de floes de n’importe quelle taille et dont l’étendue est de plus de 10 km2.

Îlot de glace

Très grand fragment de glace flottante qui émerge d’environ 5 m au- dessus du niveau de la mer, provenant d’un plateau de glace arctique. L’épaisseur totale est de 30 à 50 m et la superficie de quelques milliers de mètres carrés à 500 km2 ou plus. La surface est ordinairement caractérisée par une ondulation régulière qui lui donne, vu des airs, une apparence côtelée.

Source : Environnement Canada – Service canadien des glaces.

Tableau 6 : Terminologie associée aux icebergs

Termes Caractéristiques

Bourguignon

Bloc de glace plus petit qu’un fragment d’iceberg, émergeant à moins de 1 m au-dessus de la surface de la mer et s’étendant habituellement sur une superficie d’environ 20 m2. De couleur blanche, mais parfois transparent ou bleu-vert, le bourguignon est difficile à reconnaître lorsqu’il est entouré de glace de mer ou flotte dans une mer agitée.

Fragment d'iceberg Bloc flottant de glace de glacier qui émerge généralement de 1 à 5 m, est long de 5 à 15 m et a habituellement une superficie de 100 à 300 m2. Petit iceberg Bloc de glace de glacier qui émerge de 5 à 15 m et mesure de 15 à 60 m de longueur.

Moyen iceberg Bloc de glace de glacier qui émerge de 16 à 45 m et mesure de 61 à 120 m de longueur. Gros iceberg Bloc de glace de glacier qui émerge de 46 à 75 m et mesure de 121 à 200 m de longueur. Très gros iceberg Bloc de glace de glacier qui émerge à plus de 75 m et mesure plus de 200 m de longueur.

Iceberg

Importante masse détachée d’un glacier, de forme très variable, émergeant de plus de 5 m au-dessus du niveau de la mer, et qui peut être flottante ou échouée. Les icebergs peuvent être petits, moyens, gros ou très gros. Source : Environnement Canada – Service canadien des glaces.

Le couvert de glace

Globalement, le couvert de glace correspond à la surface d’une région géographique maritime couverte par la glace, sa concentration est variable et est rendu sous la forme d’un « rapport, exprimé en dixièmes, indiquant quelle proportion de la surface de la mer, dans la zone considérée, est couverte de glace » (site du Service canadien des glaces, Environnement Canada, consulté le 25 septembre 2012). Ainsi, un rapport de zéro sur dix (0/10) correspond à une région complètement libre de glace, alors qu’inversement, un rapport de dix sur dix (10/10) indique que la zone est complètement couverte par la glace.

Toutefois, si un rapport élevé force davantage le passage à travers le couvert de glace dans une région donnée, ce sont les caractéristiques spécifiques de ce dernier qui modulent le niveau de difficulté associé à la navigabilité. En effet, les navires doivent, pour pouvoir se frayer un chemin, être en mesure de rompre le couvert de glace. Dans ce cadre, l’âge même de la glace joue un rôle prépondérant, puisque plus elle est ancienne, plus sa densité est élevée (Cox et Weeks, 1983; Guichard, 1992 : 20) et, corollairement, plus elle s’avère résiliente. Dans le même ordre d’idée, l’épaisseur du couvert de glace, lui-même inhérent au cycle de vie de la glace (voir tableau 4), contribue concurremment à rendre l’environnement glaciel plus hostile à la navigation.

Les icebergs

Les icebergs représentent un risque important pour la navigation, dans la mesure où ils sont constitués de glace pluriannuelle exposée à des pressions importantes et résultant en des niveaux de densité élevés, ce qui, en cas d’impact avec un navire, peut être fatal. Par ailleurs, s’ils se déplacent relativement rapidement, jusqu’à 2m seconde (Duthinh et Fuglem dans Guichard, 1992 : 80), c’est la combinaison entre la vitesse de l’iceberg et celle du navire qui constitue le réel danger, Guichard (1992 : 38) stipule d’ailleurs que « les risques [associés aux collisions avec des icebergs] sont

concentrés sur les navires en mouvement ». Concomitamment, les icebergs sont difficilement identifiables, particulièrement sous forme de bourguignon et de bergy bits (site de l’Encyclopedia Britannica, consulté le 27 septembre 2012), et ce, malgré les avancées technologiques effectuées au cours des dernières années (Bourbonnais, 2010 : 8 – 10), ce qui accentue évidemment le risque de collision.

Aussi, il importe de mentionner que la majorité des icebergs étant issus du vêlage23 provenant du Groenland (Guichard, 1992 : 32), la zone d’impacts potentiels dans l’Arctique du nord-ouest est beaucoup plus étendue que dans celle du nord-est (voir figure 2), alors que, parallèlement, le réchauffement climatique accélère le processus de vêlage dans la région (Benham et al., 2008a et 2008b) et, concurremment, diminue le couvert de glace semi-permanent qui emprisonne traditionnellement une partie des icebergs (Reeh et al., 2001 : 479), accentuant ainsi la menace pour les navires.

Les navires et la glace

Partant de ces constats généraux, la question des glaces et, dans une moindre mesure, des conditions climatiques y étant rattachée, constitue une problématique certaine pour le trafic maritime. La solution qui s’impose alors est de bâtir et d’équiper les navires de façon à permettre la navigation dans un tel environnement.

En fait, la solution idéale consiste à éviter les amas de glaces de tout acabit, plutôt que de tenter de résister aux impacts, ce qui s’avère

23 Séparation, par fracture, d’une masse de glace à partir d’un mur de glace, d’une falaise de glace ou d’un iceberg (site Service canadien des glaces, Environnement Canada, consulté le 27 septembre 2012).

Figure 2 : Distribution usuelle des icebergs dans l’Arctique

d’autant plus vrai avec les icebergs (Guichard, 1992 : 38). Or, bien que les systèmes de détection aient grandement évolué au cours des deux ou trois dernières décennies, il s’avère évidemment impossible d’éviter tout contact avec l’environnement glaciel dans la zone arctique.

En conséquence, l’industrie maritime a développé des bâtiments pouvant œuvrer dans la glace et résister davantage aux impacts potentiels. Évidemment, il existe d’énormes disparités dans l’ensemble de la flotte mondiale relativement à la capacité d’évoluer dans les conditions nordiques. Ainsi, les sociétés de classification24 attribuent à chaque navire une classe de glace en fonction de caractéristiques spécifiques, principalement en ce qui a trait à la résistance structurelle et au design de la coque, à la capacité à se mouvoir dans la glace en fonction de la puissance du système mécanique et à la résistance de l’équipement aux conditions glacielles et climatiques (Germanischer Lloyd, 2006 : 2.1; Nippon Kaiji Kyokai, 2009 : i), et ce, dans le but de facilité la prise de décision relativement aux assurances, aux escortes de brise-glace, etc. Toutefois, comme l’a démontré Niels Bjørn Mortensen (2008), non seulement la codification des différentes classes de glace entre les multiples sociétés de classification diffère, mais l’établissement d’une concordance n’est qu’approximatif, puisque les caractéristiques sur lesquelles reposent les définitions des classes de glace sont légèrement distinctes. Cependant, bien que la constitution d’équivalences entre les différentes classifications demeure possible (Lasserre dans Lasserre et al., 2010d : 403), l’International Association of Classification Societies (IACS) a jugé nécessaire de mettre en place un système de classification unique (voir tableau 7).

Toutefois, il appert que la plupart des catégories émises par l’IACS, soit de CP1 à CP5 inclusivement, ne rejoignent pas ou peu le type de navire ciblé dans la présente étude. En fait, de la classification usuelle pour les navires marchands, établie sur les bases de la Finnish-Swedish Ice Class Rules (FSICR) et qui fait figure de référence en la matière25, seulement deux classes de glace trouvent leur équivalent dans le nouveau système formulé par l’IACS (voir tableau 7). Les navires marchands les plus performants des compagnies œuvrant actuellement dans l’Arctique, tel que le MV Arctic chez Fednav ou les jumeaux Mastera et Tempera chez Neste, correspondent habituellement à la classe CP6, quelques rares navires de marchandises, tels que l’Umiak I et le

24 Les sociétés de classification sont des organismes indépendants qui émettent des certificats attestant du respect des normes de construction et de l’état de navigabilité des navires (site Service canadien des glaces, Environnement Canada, consulté le 25 septembre 2012).

25 L’ensemble des documents publiés par les diverses sociétés de classification (Germanischer Lloyd, Nippon Kaiji Kyokai, Lloyd's Register, IACS), consultés dans le cadre de la présente recherche, et présentant des comparatifs entre les différentes typologies utilisées, réfère systématiquement à la Finnish-Swedish Ice Class

Stena Arctica, propriété de Fednav et Neste respectivement, respectent les normes de la classe CP5. Dans le même ordre d’idée, des 234 navires à coque renforcée en commande en 2008, 165 ont un niveau CP7 et seulement 3 ont un niveau CP626, (Choi, 2008 : 282), ce qui tend à démontrer que les cotes de glace les plus élevées sont également les plus rares, ce qui est principalement attribuable au coût de construction plus important pour ce type de navire (Lasserre dans Lasserre et al., 2010d; 400 – 401). En contrepartie, le développement de navires commerciaux avec des classes de glace plus élevées semble lié à des projets spécifiques, comme à Mary River, où l’exploitant de la mine de fer, Baffinland Iron Mines Corp., a récemment commandé huit vraquiers de classe CP4 (idem. : 399), alors que du côté russe l’exploitant Sovcomflot a acquis deux navires de classe CP527, les jumeaux Mikhail Ulyanov et Kirill Lavrov, afin de desservir le projet pétrolier de Prirazlomnoye (Aker Arctic, Pamphlet (non daté); Staalesen, 2012b) .

Tableau 7 : Description des critères des classes de glace polaire selon la nomenclature de l’IACS

PC 1 Navigation sur l'ensemble de l'année dans toutes les eaux polaires

PC 2 Navigation sur l'ensemble de l'année à travers des glaces pluriannuelles de niveau modéré PC 3 Navigation sur l'ensemble de l'année à travers des glaces de deuxième année et pouvant contenir des inclusions de glaces pluriannuelles PC 4 Navigation sur l'ensemble de l'année à travers des glaces épaisses de première année et pouvant contenir des inclusions de vieille glace

PC 5 Navigation sur l'ensemble de l'année à travers des glaces moyennes de première année et pouvant contenir des inclusions de vieille glace PC 6 Navigation estivale et automnale à travers des glaces moyennes de première année et

pouvant contenir des inclusions de vieille glace

PC 7 Navigation estivale et automnale à travers des glaces minces de première année et pouvant contenir des inclusions de vieille glace

Source : International Association of Classification Societies (2011).

Ces modifications conceptuelles de l’industrie maritime face à l’environnement glaciel et arctique sont-elles représentatives d’une réelle évolution du trafic maritime dans cette zone? Certaines études permettent, à cet effet, de dresser un portrait global de la situation.

26 Des correspondances ont été établies avec la classification de l’IACS, puisque, dans le texte, les cotes utilisées sont celles de la société de classification Lloyd’s Register, soit IA et IA Super.

27 Des correspondances ont été établies avec la classification de l’IACS, puisque, dans le texte, la cote utilisée est celle de la société de classification Russian Maritime Register of Shipping, soit ARC6.